Et si on mesurait autrement l’image des grandes entreprises ?

Sur 30 entreprises passées au crible du baromètre Posternak (du nom du président de l’agence), 24 enregistrent une dégradation de leur cote de popularité avec un bonnet d’âne particulier pour trois enseignes bancaires : Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole qui reculent de respectivement, 38, 30 et 29 points par rapport au dernier sondage de juin 2011. Dans les commentaires qui ont accompagné les résultats bruts du baromètre, la crise financière actuelle et l’impact qui en découle sur le moral des ménages tricolores sont évidemment cités au premier rang des explications de ce désaveu franc et massif.

Ce n’est certes qu’un coup de sonde donné à intervalles réguliers par l’agence de communication La Matrice (avec le concours du Journal du Dimanche et d’Ipsos) mais la nouvelle livraison dévoilée ce week-end confirme une nouvelle fois une tendance de fond qui ne cesse de s’affirmer au fil du temps : le divorce latent entre l’opinion publique française et les grands fleurons du capitalisme hexagonal. Intéressant mais comme d’habitude avec ce type de sondages, on ne retient que le petit bout de la lorgnette. Ainsi, la crise rendrait l’entreprise mal aimée. Et on regardait un peu plus loin ?

Trop de sous pour les derniers du bahut réputationnel

Les banquiers sont les plus épinglés par l’opinion publique

L’argument peut se concevoir puisqu’on retrouve en effet dans la charrette des cancres de la réputation, d’autres enseignes financières comme LCL (-14), Banque Populaire (-13) et AXA (-11) mais aussi La Poste (-7), Crédit Mutuel et Caisse d’Epargne avec un tir groupé à – 6. Bref, on l’aura compris. Il ne fait pas bon être un banquier jonglant nerveusement avec les aléas de la zone Euro, le cours capricieux des places boursières et autres subtils produits de boursicoteur tout en distribuant pourtant de rondelets profits et primes à ses traders et de juteux dividendes à ses actionnaires !

Il est évident qu’en ces temps troublés de serrage de ceinture et d’impôts et taxes à gogo, voir les banques et autres organismes financiers fichées haut sur les piques de la vindicte populaire n’est guère surprenant. Ils ont beau s’échiner à pondre des spots TV rigolos ou célébrant l’esprit d’équipe, la réalité est forcément plus crue et du coup l’image dégradée. D’autant plus quand le client ou la petite PME lambda se voient chroniquement stigmatisés à coups d’agios intempestifs, de refus frileux de prêts, quitte à enfoncer un peu plus des personnes qui sont déjà sur la corde raide.

Pas étonnant non plus Total reste vissé à sa dernière place tant le replet pétrolier alimente à tire-larigot les sujets de reproches. Première capitalisation boursière française, Total s’est fait épingler par un rapport parlementaire paru en juin 2011 pour son non-paiement d’impôts sur les sociétés en France grâce à d’astucieux (et légaux qu’on le veuille ou non) systèmes de défiscalisation. Déjà objet de tous les courroux pour ses bénéfices astronomiques et sa gestion opportuniste des prix des carburants à la pompe, Total est l’épouvantail idéal en période de crise en dépit du potentiel nouveau gisement de pétrole qu’il vient de découvrir (avec Shell) aux larges des côtes de la Guyane française.

Mais pourquoi tant de haine ?

Point de crise financière pour écorner l’image de la SNCF

Pourtant, en lisant ce classement, je reste sur ma faim. Outre qu’il ne porte que sur 30 grandes entreprises françaises et qu’il n’a interrogé que 947 personnes représentatives de la population française, ce baromètre laisse entendre au final que la crise serait la principale responsable de l’image en berne des grandes entreprises. Son effet est certes indéniable et n’aide probablement pas à redorer le blason de quelques illustres noms de l’entrepreneuriat hexagonal.  Toutefois, l’argumentation semble un peu courte.

En d’autres termes et si on lit au pied de la lettre le palmarès Posternak, il suffit que la croissance rebondisse pour que l’image s’embellisse. L’analyse livrée à l’issue de ce palmarès aurait mérité que l’on s’attarde et mesure un peu plus profondément d’autres facteurs de dégradation, autrement plus sérieux que les impacts conjoncturels. Ainsi, en parcourant les quelques articles parus sur les résultats, aucun commentateur ne relève par exemple les reculs de sociétés comme SNCF et Air France qui abandonnent respectivement -3 et – 13 points.

Ici pourtant, point de crise financière pour justifier cette mauvaise performance réputationnelle même le maquis indéchiffrable des tarifs aériens et ferroviaires a de quoi nourrir quelque énervement chez le « cochon de payant » d’usager ! Ces deux vénérables entreprises régressent tout simplement parce qu’elles fournissent un service de plus en plus contestable entre retards abusifs à répétition et grèves tombant comme par hasard lors des traditionnelles migrations vacancières pour défendre des avantages sociaux plus tellement justifiables aujourd’hui (par exemple, le maintien de la prime au charbon des conducteurs de la SNCF) ou par trop décalés.

Autre point abordé nulle part mais qui pourtant concourt à la bonne ou mauvaise réputation d’une entreprise : la qualité du management, de l’épanouissement professionnel et du cadre de travail. D’autres sondages récents ont pourtant nettement montré le désinvestissement et/ou la peur de plus en plus prononcés des salariés, y compris dans les strates les plus élevées de l’entreprise. Sans parler de la versatilité désenchantée des plus jeunes générations qui ont vu ou voient encore leurs parents se faire éreinter par une pressurisation managériale de plus en plus ubuesque et sombrer parfois dans les troubles musculo-squelettiques, la dépression, le burn-out ou pire le suicide.

Et si on mettait un peu de vision et de sens dans l’entreprise ?

Le sens, clef du succès d’image d’Yves Rocher

Dans ce classement, la crise ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Trop facile de tout mettre sur le dos de celle-ci bien qu’elle n’aide incontestablement pas à améliorer la perception qu’ont les Français des entreprises. A cet égard, il est intéressant de noter dans le palmarès Posternak que seulement 8 entreprises se hissent au-dessus de la moyenne en termes d’indice d’image positive (c’est-à-dire au-dessus de 50). Toutes les autres sont en-dessous des 50% d’opinions positives (excepté Auchan qui est pile dans la moyenne) même si d’aucunes grapillent çà et là des points en plus.

Or, à observer de plus près ces huit « bons élèves », qui trouve-t-on ? Des entreprises industrielles qui fabriquent des produits ayant du sens, apportant un service avéré et produisant de la valeur technologique. Que ce soit Yves Rocher, Airbus, Peugeot, Citroën, Danone, Michelin, toutes incarnent des entreprises qui innovent et vont de l’avant tout en s’efforçant d’être socialement responsable. Elles ont toutes bien sûr rencontré des écueils et/ou commis des erreurs qui ont à un moment éraflé leur image (par exemple, « Bibendum » annonçant quasi concomitamment des profits records et un plan de licenciement). Pour autant et bien qu’elles ne soient pas parfaites (mais qui l’est vraiment ?), nier leur bonne volonté serait d’une cruelle injustice.

Les deux autres larrons à obtenir un indice favorable sont eux issus pourtant d’un secteur très décrié pour ses marges abusives : la grande distribution. Or qui retrouve-t-on à la 5ème et 8ème place ? Leclerc et Système U, deux enseignes qui communiquent ouvertement sur le bénéfice qu’elles apportent à la communauté. Pour le premier, c’est l’obsession du « moins cher » (visiter à ce propos le site Web dédié) et pour le second, c’est le souci d’être des « nouveaux commerçants » privilégiant les produits régionaux. Evidemment, ce discours doit se traduire en actes concrets et palpables pour être crédibles. Sinon, on retombe dans les effets pervers de la communication cosmétique qui ripoline sans compter jusqu’au jour où la belle vitrine tant vantée s’effondre pour laisser place à une arrière-boutique pitoyable.

A quand donc un classement qui mixerait et croiserait plus finement les baromètres sociaux internes comme par exemple « Great Place To Work » et les sondages réguliers qui fleurissent sur la réputation externe des sociétés ? Pourquoi un tel outil ? Tout simplement, parce que des salariés convaincus, motivés, respectés sont les meilleurs emblèmes et moteurs pour dynamiser la perception de l’image d’une entreprise vis-à-vis de ses publics externes. N’y aurait-il donc pas un financier quelque part qui saurait ensuite inventer un tel outil de mesure et qui le substituerait aux indécrottables clignotants actuels que sont le cash-flow, l’EBITDA, les marges et j’en passe ?

Pour en savoir plus

– Classement intégral et détaillée du baromètre Posternak
– « Yves Rocher, entreprise préférée des Français » – Le Figaro.fr – 2 octobre 2011
– « La crise décote l’image des entreprises » – Le Journal du Dimanche – 2 octobre 2011



4 commentaires sur “Et si on mesurait autrement l’image des grandes entreprises ?

  1. Alain Hemelinckx  - 

    mesurer autrement est un premier pas et comme souvent il est le plus difficile… une inspiration potentielle pour ce nouvel instrument de mesure serait la triple comptabilité. Une passerelle permettant à des financiers qui n’ont fait que euro en premiere langue d’integrer les valeurs intangibles mais o combien tangibles en ces temps troublés ( il suffit de voir la capitalisation boursiere des banques.. en ne perdant pas 1 client, ni 1 batiment, ni 1 agence, ni 1 employe … ils arrivent en bourse à etre reduits en euros à une peau de chagrin ).

    contnuons à nous creuser la tête pour trouver des passerelles afin d’enclencher le changement dans notre monde ! merci pour cet article, comme souvent pointu, détaillé mais digeste !!!
    Alain

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Alain en tout cas pour ce sympathique commentaire. Et tout à fait d’accord pour qu’on intègre nettement plus au bilan « comptable » de l’entreprise, sa valeur humaine. Ce sont encore les hommes et les femmes qui rendent performantes une entreprise et pas simplement des ratios financiers décortiqués par des personnes qui n’ont bien souvent jamais mis les pieds dans une vraie entreprise !

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