Conférence Nouveau Monde 2.0 – Réseaux : Fin de la bagarre entre geeks et telcos ?

J’ai eu l’honneur d’être convié comme blogueur à la 1ère édition de la conférence « Nouveau Monde 2.0 : concrétisons l’Internet du futur ». Sous l’égide d’Eric Besson, ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, l’événement a rassemblé les 20 et 21 octobre, des ministres de l’économie numérique du monde entier, des grandes entreprises, des start-up, des capital-risqueurs, des blogueurs et des think tanks autour de l’Internet d’aujourd’hui et de demain.

Même si le sujet traité ci-après va au-delà du cadre éditorial habituel du Blog du Communicant 2.0, j’ai suivi en particulier avec beaucoup d’attention les exposés et les discussions autour de la thématique intitulée « Innovation, amie ou ennemie des réseaux ? » et animée avec doigté par la journaliste high-tech de France 24, Marjorie Paillon. Ce thème m’est cher à double titre. D’une part parce qu’il a largement occupé mes quatre dernières années professionnelles et d’autre part parce qu’il conditionne inévitablement les usages actuels et à venir d’Internet dans la vie quotidienne de chaque individu connecté. Petit résumé des points saillants de la conversation entre décideurs du secteur où acteurs du Web et des telcos ont semblé cesser de s’étriper au sujet des réseaux.

L’Internet sous le signe du Z comme Zettabyte !

Robert Pepper, vice-président de Cisco, parle de l’ère du zettabyte pour jauger la volumétrie des contenus numériques circulant dans les réseaux

C’est un truisme de le dire mais la croissance des usages d’Internet est fulgurante. A tel point que les unités de mesure se succèdent à cadence rapprochée pour calibrer la déferlante des données numériques dans les réseaux fixes et mobiles des infrastructures de télécommunications. Jusqu’à présent, on parlait volontiers de megabytes, de gigabytes, de terrabytes, voire de petabytes et exabytes. Dans sa note introductive de cadrage, Robert Pepper, vice-président de Cisco, parle désormais de l’ère du zettabyte (soit l’équivalent de 10 puissance 21 de l’unité de mesure référente, le byte – ou octet en français !) pour jauger la volumétrie des contenus numériques circulant dans les réseaux.

Il a dévoilé à cet effet quelques extraits d’une étude menée par l’équipementier américain sur les modes de consommation d’Internet dans les 5 ans à venir. Résultat : le trafic global des réseaux IP sera multiplié par 4 entre 2010 et 2015. Une hausse hallucinante qui est très majoritairement tiré par les consommateurs eux-mêmes. En 2010, ils pesaient (déjà !) 81% du trafic. D’ici 2015, ils compteront pour 87%, le reste étant l’apanage des petites et grandes entreprises.

Rapporté à l’échelle d’un individu, le boom du trafic demeure tout aussi impressionnant. Ainsi, un abonné Internet consommait 7,3 gigabytes de données par mois en 2010. Cisco estime que ce même abonné atteindra 24,8 gigabytes en 2015 et la barre des 100 gigabytes dans un futur proche. Autant dire que les réseaux n’ont pas fini d’être sollicités pour acheminer et échanger les contenus numériques !

La vidéo à l’assaut du réseau

La vidéo issues des TV connectées ne pèse encore que 16,7% mais elle est la catégorie ayant la croissance la plus rapide

D’autres études en avaient déjà fait la preuve mais la présentation de Robert Pepper n’a fait que confirmer la tendance. Le levier clé de cette croissance foudroyante provient de la vidéo (60% du trafic d’ici 2015). Derrière le vocable « vidéo », reposent en fait plusieurs types d’usage mais le vice-président de Cisco en souligne deux qui sont particulièrement gourmands en bande passante : la vidéo regardée sur PC (par exemple, le visionnage des plateformes comme YouTube, DailyMotion, etc) qui représente 38% des usages et la vidéo issues des télévisions connectées. Si cette dernière ne pèse encore que 16,7%, elle est en revanche la catégorie ayant la croissance la plus rapide. Or, à l’heure où constructeurs, télédiffuseurs et géants du Web rivalisent d’ardeur pour mettre à disposition la TV connectée auprès des usagers, il n’est guère besoin d’être grand clerc pour comprendre que le flot de données vidéo n’est pas prêt de se tarir !

Autre enseignement : la vidéo n’est pas exclusivement consommée sur les réseaux fixes. Bien au contraire, Robert Pepper estime que 69% de la consommation sera mobile d’ici 2015, soit à travers des réseaux sans fil de type WiFi, soit via des réseaux télécoms 3G et 4G. Dans ce contexte, il apparaît évident que les ressources spectrales en matière de fréquences radio et les licences d’exploitation vont devenir des outils ardemment recherchés et disputés par les acteurs du marché numérique.

Mais où est passé mon business model ?

Quel business model pour continuer à investir dans les réseaux mais sans dégrader les revenus ?

Une perspective qui n’est pas sans provoquer un renversement de paradigme pour les modèles de business qui prévalaient jusqu’à présent, en particulier pour les opérateurs télécoms. Là où pendant longtemps, le produit était la voix, la mesure était la minute et la tarification était élaborée selon la distance et le temps passé, seules comptent aujourd’hui la connectivité que l’opérateur peut assurer avec le maximum de bande passante et ceci quels que soient la localisation et le temps écoulé. En d’autres termes, pour accompagner les usages inexorablement grandissants et assurer un haut niveau de qualité, il faut investir encore et encore dans les infrastructures, les solutions techniques et la capacité de transmission des données.

Cette équation diabolique mais inéluctable, les opérateurs la voient avec quelque schizophrénie. Ils sont les premiers à se réjouir de voir de nouveaux services et applications transiter par leurs réseaux et générer des revenus et des abonnés. A la limite près que la courbe de croissance du trafic est largement plus ample que celles du chiffre d’affaires. D’où un grand écart délicat entre obligation de continuer à investir dans les réseaux mais sans laisser se dégrader les revenus. Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom, a d’ailleurs cité un chiffre éloquent : le trafic des données du réseau mobile d’Orange en France a progressé de 90% à fin septembre 2011 !

Geeks et telcos enfin d’accord pour combiner et soutenir ensemble réseaux et contenus numériques ?

Lors de la table ronde qui s’est déroulée à Bercy, l’heure était étonnamment à l’apaisement des propos entre industriels traditionnels (opérateurs et équipementiers) et acteurs de l’Internet (start-ups mais aussi et surtout les géants du Web comme Google). Etonnant dans la mesure où les passes d’armes entre les deux « camps » étaient plutôt virulentes et musclées il n’y a pas si longtemps, les uns accusant les autres de « bourrer » leurs réseaux sans s’acquitter de nécessaires investissements pour en augmenter les capacités.

A cet égard, Stéphane Richard a clairement appelé à sortir de cette spirale frontale où s’opposent les « vieux techniciens dépassés » des industries télécoms et les start-ups entreprenantes du Web. A ses yeux, cela constitue une impasse qui risque d’hypothéquer au final l’innovation autant du côté des réseaux que du côté des contenus. Autrement dit, chacun a besoin de l’autre et tous les acteurs ont leur part à apporter à condition d’établir des règles au préalable.

David Drummond, vice-président du Développement de Google, a d’ailleurs répondu en écho à Stéphane Richard en soulignant effectivement l’impérieuse nécessité de créer un cercle vertueux. « Nous croyons dans un développement mutuel avec un environnement approprié pour une innovation florissante » a-t-il souligné en ajoutant au passage que Google investit déjà plusieurs milliards de dollars par an dans la construction d’infrastructures réseaux. En d’autres termes, le géant de Mountain View ne se contente pas uniquement de relever les compteurs de YouTube où l’équivalent de 48 heures de vidéo est mis en ligne chaque minute dans le monde entier.

Et que fait-on de la crise financière actuelle ?

Le rapport McKinsey de mars 2011 l’a souligné : Internet est un atout pour la croissance française

Devant ces belles paroles de « réconciliation » publique entre Google et France Télécom, Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée du numérique, s’est aussitôt engouffrée dans la brèche. Elle a ainsi vivement encouragé tous les acteurs privés à ne surtout pas freiner la dynamique enclenchée autour du numérique même si la crise financière a tendance à gripper la volonté d’investir.

Pour elle, réseaux et contenus sont indissociables. De la connectivité des premiers, découlera la créativité des seconds et vice versa. C’est dans cette optique que Neelie Kroes a rappelé la décision de la Commission Européenne de consacrer près de 9,2 milliards d’euros entre 2014 et 2020 à des projets paneuropéens visant à donner aux particuliers et aux entreprises de l’Union l’accès à des réseaux à haut débit très rapides.

Jean-Philippe Courtois, président de Microsoft International, a particulièrement rebondi sur cet effort à consacrer collectivement pour adopter largement les réseaux de nouvelle génération qu’ils soient fixes avec la fibre optique ou mobiles avec l’introduction de la 4G/LTE. Il y voit notamment la possibilité de déployer l’informatique en nuage (plus connue sous l’expression anglaise de « cloud computing ») et par extension l’accès qui bénéficiera aux petites et moyennes entreprises qui ne peuvent/veulent pas investir dans des structures informatiques lourdes. A la clé, il s’agit au final de générer des points de croissance et des emplois comme l’a mis en évidence le rapport McKinsey paru en mars 2011 sur la contribution d’Internet à l’économie française.

Hans Vestberg, président-directeur général de l’équipementier suédois Ericsson, s’est inscrit dans la même conviction en rappelant notamment que 10% de pénétration de la connectivité dans un pays se traduit par un gain de 1% du PNB selon des études économiques.

Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer

L’Australie a investi 7 milliards de dollars australiens pour doter l’intégralité du territoire d’un réseau à très haut débit

C’est là l’autre constat majeur de cette table ronde : tous les intervenants s’accordaient à dire que le support des pouvoirs publics est indispensable pour accompagner le déploiement des réseaux de nouvelle génération en dépit de certaines différences culturelles patentes. Ainsi, Lawrence Strickling, secrétaire adjoint au Commerce américain et administrateur de la National Telecommunications & Information Association (NTIA), a précisé qu’il voyait son rôle plus comme un créateur d’opportunités pour les entreprises et des partenariats publics-privés que comme un régulateur au sens strict du terme, hormis le fait de s’assurer d’une juste concurrence.

Stephen Conroy, ministre australien des Communications, du Haut débit et de l’Economie numérique, a en revanche présenté une approche plus volontariste où le gouvernement n’a pas hésité à accorder 7 milliards de dollars australiens pour faire bénéficier l’intégralité du territoire d’un réseau à très haut débit pour des services comme la santé, l’éducation, le commerce et l’administration publique à travers le plan « National Broadband Network ». Les pouvoirs publics ont particulièrement mis l’accent sur les 40% de la population vivant en zones rurales que les opérateurs actuels couvrent de manière plus aléatoire.

Décidemment très en verve, Neelie Kroes ne s’est d’ailleurs pas privée d’interpeler Eric Besson pour sensibiliser encore plus Nicolas Sarkozy sur l’implication forte qu’il doit avoir sur ces projets d’économie numérique afin que comme en Finlande, la connectivité très haut-débit soit l’épine dorsale des activités des individus, des administrations et des entreprises ainsi que l’a expliqué Krista Kiuru, ministre finlandaise du Logement et des Communications. Puisse le titre de la conférence être entendu : « Concrétisons l’Internet du Futur » !

En savoir plus

– Pour voir ou revoir les séances plénières : www.economie.gouv.fr/nouveau-monde-2-0/plenieres
– Pour retrouver le mur Twitter de la conférence : www.economie.gouv.fr/nouveau-monde-2-0/tweet-wall



4 commentaires sur “Conférence Nouveau Monde 2.0 – Réseaux : Fin de la bagarre entre geeks et telcos ?

  1. Annuaire Français  - 

    Si l’internet du réseau qui le conduit est à la charge des autorités et des partenaires techniques et industriels concernés, il n’en demeure pas moins la préoccupante situation de dépendance vis à vis des outils de recherches étrangers et réseaux sociaux de la même provenance.

    Depuis le rachat des Pages jaunes par le groupe KKR , la recherche par internet est totalement dépendante d’acteurs étranger. La récente annonce de Google de passer toutes les recherches internet issues de comptes Google+ ou à venir des comptes Google Entreprises en mode « sécurisé » inquiète sérieusement les professionnels du domaines.

    C’est en effet un forme de « kidnapping » des mots clé que taperons les Français pour effectuer divers achats ou recherche qui deviendrons la propriété exclusive de Google sous un faux prétexte de sécurité et en l’imposant par défaut à tous les comptes Google.

    Que ce soit Google, facebook, Bing yahoo et autres acteurs principaux de l’internet en France, la guerre commerciale que se livres ces grandes entreprises ne doit pas prendre les Français en otage ou priver les sociétés Françaises de parties de données vitales pour leur bon fonctionnement.

    Nous pouvons espérer que le gouvernement prendra en compte cette réelle problématique en soutenant des initiatives indépendantes pour contre-balancer cette situation monopoliste, et surveiller de près l’égalité d’accès aux données sans se laisser abuser par des arguments techniques ou de pseudo sécurité.

    1. Olivier Cimelière  - 

      La question que vous soulevez mérite qu’on s’y attarde. Pour autant, je ne suis pas sûr que s’attaquer d’emblée aux sociétés américaines soit la solution. Elles ont su/pu avancer en temps voulu pendant qu’en France, nous acuumulions du retard. Raison de plus pour saluer les initiatives qui visent effectivement à pousser le Web français.

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