TV connectée et contenus : une magistrale opportunité mais sous condition d’équité entre tous les acteurs du marché
Qualifiée récemment de « tsunami qui se prépare » par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, la télévision connectée et les nouveaux contenus numériques qu’elle véhicule dans son sillage n’en finissent pas d’alimenter autant les ardeurs que les réticences des acteurs du monde de la production, de la diffusion et des réseaux en France comme en Europe.
Lors de la 4ème édition des Assises du Numérique qui s’est tenu à Paris le 30 novembre, une allocution ministérielle et une table ronde d’experts ont tenu à souligner les opportunités que recèle cette inéluctable révolution technologique et sociétale. Toutefois, ils ont également nettement insisté sur la nécessaire révision des règles du jeu à plusieurs niveaux entre les acteurs télévisuels et culturels européens et leurs tout-puissants homologues américains afin d’éviter des distorsions concurrentielles pouvant être fatales pour les premiers. Résumé des faits saillants sur un sujet qui est loin d’avoir épuisé les questions et les débats.
Mais au fait, la télé connectée, c’est quoi ?
Souvent dépeinte comme une énorme révolution technologique qui enterrera soudainement la « télé de papa » à la sauce hertzienne, la télévision connectée est pourtant dans les faits déjà une réalité pour bon nombre d’entreprises du secteur et de téléspectateurs abonnés au câble ou à l’ADSL. Alexandre Fourmond, directeur Marketing de LG Electronics France, un des constructeurs d’écrans particulièrement en pointe dans le domaine de la TV connectée, a d’ailleurs judicieusement rappelé que cette dernière n’est « qu’une prolongation » plus évoluée des offres télévisuelles actuelles des fournisseurs d’accès.
Preuve en est actuellement avec la TNT (télévision numérique terrestre) qui couvre désormais 100% du territoire français depuis le 29 novembre. Depuis leur box ADSL, les téléspectateurs peuvent accéder à une offre qui passe des 6 chaînes classiques à 29 chaînes (dont 19 gratuites). De même, ils peuvent accéder à Internet pour disposer de services de vidéo à la demande et/ou de télévision de rattrapage.
Aux yeux du représentant du constructeur sud-coréen, la TV connectée constitue simplement l’étape majeure suivante d’un progrès technologique déjà bien avancé puisque d’ici 2013, 80% des téléviseurs seront directement connectables à Internet et ne nécessiteront plus de boîtiers intermédiaires. Depuis sa télécommande à l’ergonomie totalement refondue, il sera alors possible en quelques clics de surfer sur Internet, lancer des contenus, bénéficier de services interactifs comme regarder un match de football en direct tout en tweetant avec ses amis, voire se servir de son écran télé pour gérer des usages domotiques comme la télésurveillance ou la programmation à distance du chauffage d’une pièce.
Attendre la vague ou se préparer à surfer ?
Ces nouvelles TV connectées sont consubstantiellement porteuses de nouvelles façons de regarder la télévision. Exemple : la délinéarisation de la consommation de programmes télévisuels ne cesse de s’affirmer, notamment auprès des technophiles et des générations plus jeunes. Ceux-ci n’ont cure des horaires fixes et regardent leurs programmes favoris à leur guise, sur le terminal et à l’heure qui les arrangent. Avec la TV connectée, l’immixtion accru des contenus numériques issus d’Internet aux côtés des grilles de programme traditionnelles est appelé à augmenter encore plus rapidement. Pour les acteurs de la filière, c’est un bouleversement qui prend souvent les formes d’une menace létale.
PDG du groupe NextRadio TV (BFM, RMC, 01, etc), Alain Weill refuse de s’inscrire dans ce fatalisme. Pour lui, le défi est clair : « Pour maintenir l’attractivité de l’offre, il faut se remuer plutôt que subir ». A ce titre, il a cité la possibilité qu’offrent désormais ses chaînes BFM TV et BFM Business aux téléspectateurs pour personnaliser les bandeaux informatifs défilants en fonction de leurs sujets de prédilection. De même, il a évoqué un test qu’il mène avec une tablette Samsung qui permettra à chaque individu de composer son propre journal télévisé d’après les contenus proposés par BFM.
Grâce à la TV connectée, Alain Weill imagine même des développements de ses contenus au-delà des frontières pour toucher l’univers francophone du monde entier, notamment les grands voyageurs et les expatriés désireux de s’informer sur l’actualité de leur pays et leur culture. Martin Rogard, directeur général de Daily Motion, s’inscrit totalement dans cet enthousiasme où l’offre de contenus va acquérir une nouvelle dimension comme la chaîne thématique qu’il a bâti avec Europe 1 sur sa plateforme vidéo.
Il faut dépoussiérer la réglementation
Pour faire de la TV connectée un succès pour les acteurs nationaux des secteurs concernés, tous les acteurs se sont en revanche concertés pour dire que la réglementation actuelle a grand besoin d’être dépoussiérée. Par exemple, des notions actuellement imposées aux chaînes hertziennes et satellitaires comme le temps de parole de candidats politiques, l’encadrement du nombre de spots publicitaires ou du nombre de films diffusés tel ou tel jour, vont devenir obsolètes avec les canaux numériques mais aussi des handicaps potentiels pour les acteurs historiques.
Emmanuel Gabla, membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, abonde dans le sens d’une remise à plat des réglementations. Néanmoins, il refuse qu’Internet ne détricote toute la régulation qui a été conduite jusqu’à présent pour des enjeux aussi cruciaux que le financement de la création française, la protection des consommateurs et de l’enfance. Selon lui, le nœud gordien à trancher est d’éviter d’introduire une disparité réglementaire trop forte entre acteurs de la télévision et ceux d’Internet. A cet effet, il milite fortement pour une co-régulation avec ceux-ci tout en élargissant le périmètre aux fournisseurs d’accès, aux hébergeurs et aux acteurs étrangers et en s’appuyant sur les instances communautaires européennes.
Martin Rogard de Daily Motion a d’ailleurs évoqué comme voie à suivre l’accord récemment signé entre Facebook et la FTC (Federal Trade Commission) sur la protection de la confidentialité des données. Cette co-régulation pourrait permettre de redéfinir des cadres réglementaires plus adaptés où chacun doit respecter les mêmes contraintes. Sinon, on risque d’aboutir comme le cite Jérémie Manigne, directeur général innovation, services et contenus de SFR, à des désavantages criants comme par exemple l’écart de 10% de TVA qui existe entre les contenus iTunes d’Apple et ceux de SFR.
Equité, j’écris ton nom !
Plus que la TV connectée en elle-même, ce sont effectivement les grands acteurs nord-américains du secteur qui inquiètent et agacent du fait de leur nette avance. Le ministre de la Communication et de la Culture, Frédéric Mitterrand, ne s’est d’ailleurs pas privé d’enfoncer une nouvelle fois le clou à l’égard d’Apple, Amazon, Google et Netflix qui inondent l’Europe avec leurs technologies et leurs contenus tout en se prévalant des règles nord-américaines et en bénéficiant habilement d’une asymétrie fiscale. Deux faits qui font qu’ils ne sont pas astreints à certaines redevances pour le financement de la création entre autres.
Pour le ministre et nombre des intervenants de la table ronde, ce décalage concurrentiel doit être gommé au profit d’une plus grand harmonisation entre Américains et Européens. François Momboisse, président de la FEVAD (fédération du e-commerce et vente à distance) est probablement l’un de ceux qui s’est le plus ému de cet état de fait. Pour alerter sur les conséquences d’une réglementation non adaptée dans la TV connectée, il a fait le parallèle le monde du livre physique et numérique. La dématérialisation des ouvrages a ainsi divisé par deux le nombre de librairies au Royaume-Uni en l’espace de quelques années.
Conclusion
L’équité de traitement réglementaire est clairement le mot-clé qui a émergé dans les discussions entre les intervenants. Autant, ceux-ci ont semblé regarder la télévision connectée comme une opportunité fantastique de développement et de croissance (Selon Médiamétrie, un Français regarde en moyenne 3h43 la télévision par jour), autant ils se rejoignent autour de l’impérieuse nécessité d’un terrain de jeu réglementaire où les gros concurrents américains assument les mêmes responsabilités que leurs homologues du Vieux Continent que ce soit au niveau fiscal (TVA notamment), juridique (protection des droits par exemple) et financement de la création culturelle à parts égales.
L’adoption de la TV connectée n’est effectivement plus vraiment une question en soi. Le calendrier peut être éventuellement moins rapide que les analystes du marché ne le prédisent mais son avènement interviendra tôt ou tard d’autant que les nouvelles générations de technologies fixes (avec la fibre) et mobiles (avec la 4G) offrent des débits favorisant l’usage de contenus en haute définition, en 3D, en mobilité et en interactivité totales. L’enjeu réside désormais dans la capacité à poursuivre une politique volontariste et garante de diversité culturelle en permettant l’arrivée de vraies marques fortes européennes luttant à armes et contenus égaux avec leurs alter egos d’Outre-Atlantique. Sur ce point-là, la discussion est loin d’être close !
A noter !
Ne manquez pas l’interview vidéo exclusive d’Emmanuel Gabla, membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dans le cadre des Assises du Numérique 2011. Dans un entretien accordé au Blog du Communicant 2.0, il revient en profondeur sur les enjeux et les perspectives de la télévision connectée.