Un ministre qui twitte est-il un « ministre démotivé » ?

En rédigeant ce billet au sujet d’Eric Besson et Twitter, j’étais loin d’imaginer que mon texte à suivre s’inscrirait dans une « polémique » naissante où d’une part, Cécile Duflot traite élégamment le ministre de l’Industrie de « kéké » (sous-entendant qu’il ne fait que tweeter toute la journée) et d’autre part, où le président de la République jugerait ce même ministre « totalement démotivé » parce que « passant des heures sur Twitter ». Au départ, j’envisageais en effet de narrer comment Twitter m’a amené à rencontrer en réel Eric Besson au cours d’un #birl organisé à Bercy en compagnie d’une trentaine de blogueurs de divers horizons suivant le compte @Eric_Besson.

A la lecture du Monde de ce soir où un article assimile la supposée démotivation d’un ministre à son temps passé sur Twitter et son nombre de followers, j’ai sursauté. Mais quelle est cette étrange perception où Twitter semble rimer avec fainéantise et/ou désintérêt pour son activité professionnelle ? A-t-on déjà formulé pareille remarque aux maniaques compulsifs des SMS envoyés à point d’heure ou aux noctambules numériques arrosant de courriels les boîtes électroniques de leurs correspondants ? Aux élus qui ont un blog autrement plus accaparant ? 

Stop aux clichés gratuits

Non, les Twittos ne sont pas des dilettantes résumant le monde en 140 caractères

Honnêtement, cela relève soit d’une méconnaissance profonde des réseaux sociaux (qui sont moins gourmands en temps si on sait bien les gérer), soit d’une méchanceté quelque peu gratuite. Non, les Twittos ne sont pas des dilettantes résumant le monde en 140 caractères. Il n’est nul besoin de passer 8 heures par jour pour tweeter utile et sympa pour fédérer des abonnés, surtout si en plus vous disposez déjà d’une notoriété publique établie et d’une fonction relevant de l’intérêt public comme Eric Besson.

Avant d’aller plus avant dans ce billet un tantinet agacé par tant de raccourcis faciles et un brin méprisants, je tiens à préciser certains points avant que d’être taxé de militantisme enamouré ou ami personnel d’Eric Besson. Pour être très clair, je ne suis ni l’un, ni l’autre. Je ne suis pas un électeur de son camp politique (ni d’en face d’ailleurs) et je ne suis pas un proche du ministre même s’il m’a été donné de le rencontrer antérieurement dans un contexte totalement professionnel du temps où il était secrétaire d’Etat au Numérique. Et pour être encore plus transparent, j’ai même été assez interloqué par le personnage lorsqu’il a quitté le PS avec pertes et fracas pour rallier le camp adverse sans état d’âme. Ces clarifications étant faites, revenons-en à Twitter !

Il n’y a pas si longtemps nombreux étaient les élus de tous bords à diaboliser les réseaux sociaux, à y voir des repères sordides de pédophiles, terroristes, trafiquants et excités en tout genre. J’épargnerai au lecteur la litanie des commentaires inspirés de ces détracteurs préférant probablement la bonne vieille injure publique pour gagner le prix de l’humour du Press Club de France à l’opportunité de tisser un nouveau langage avec le corps sociétal.

Twitter et @Eric_Besson

Eric Besson : « Twitter, c’est deux tiers sérieux, un tiers provo »

Eric Besson n’est pourtant pas le premier, ni même parmi les pionniers à s’être lancé sur Twitter. Avant lui, Nathalie Kosciusko-Morizet, Benoît Hamon pour ne citer que les noms les plus célèbres se sont emparés de l’outil avec célérité et dextérité pour communiquer autrement et élargir la palette des interactions avec les citoyens. Pour autant que je me souvienne, cela avait plutôt engendré des remarques flatteuses ou au pire des regards perplexes mais point de récriminations mordantes où Twitter serait un passe-temps pour désœuvré en mal de challenge excitant.

Mardi soir, Eric Besson a même confié à l’assistance être venu sur Twitter parce qu’on lui avait suggéré ce canal de communication moderne en dépit de sa propre réticence. C’est en faisant l’expérience qu’il a apprécié de pouvoir transmettre autrement et de manière obligatoirement synthétique, des idées, des piques, des remarques ou tout simplement des impressions du moment. De lui-même, il nous a déclaré : « Twitter, c’est deux tiers sérieux, un tiers provo ».

Même s’il a dit ensuite ne pas avoir de stratégie particulière sur Twitter, il a évidemment admis ne rien publier qui puisse mettre en porte-à-faux la ligne gouvernementale. Pour quelqu’un de supposé démotivé, voilà une précaution bien utile ! C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il a porté plainte contre le Nouvel Obs.com qui lui attribuait une fuite sur Twitter au sujet d’un possible plan social d’Areva.

La politique autrement

Twitter et tous les outils qui concourent au partage et à l’échange d’idées sont de formidables opportunités de renouer (au moins en partie) le lien tellement distendu entre élites et citoyens

A l’heure où les politiques semblent en effet découvrir les vertus des nouvelles technologies et des outils numériques, à l’heure où les candidats rêvent tous de ré-éditer le coup de maître de Barack Obama sur les réseaux sociaux en 2008, il est vraiment surprenant (pour ne pas dire énervant) d’entendre des hauts responsables amalgamer activité sur Twitter à désintérêt pour son métier. Pourtant, ce sont souvent les mêmes qui s’extasiaient devant la révolution 2.0 du printemps arabe il y a quelques mois. Est-ce à dire que les renversements de Ben Ali et Moubarak sont l’œuvre d’oisifs uniquement capables de pianoter sur Twitter et consorts ?

Twitter et tous les outils qui concourent au partage et à l’échange d’idées sont de formidables opportunités de renouer (au moins en partie) le lien tellement distendu entre des élites cloisonnées dans les lambris parisiens et des électeurs au contact de la vraie vie. Les élus qui osent entreprendre ce dialogue doivent être remerciés, de quelque bord politique soient-ils. Surtout ceux qui jouent le jeu du dialogue, qui répondent, qui écoutent et prennent le pouls d’une opinion trop souvent réduite aux sondages et à quelques porte-paroles emblématiques mais pas toujours représentatifs.

J’ai apprécié de surcroît que ce lien numérique puisse déboucher sur un échange en réel même s’il n’est que ponctuel. Je peux dire en tout cas qu’hier soir, je n’avais pas le sentiment d’un casting trié sur le volet pour épargner le ministre. Il y a eu des questions gentilles. Il y a eu des questions de twittos. Il y a eu des questions de fans de football. Et il y a eu aussi des questions plus vachardes (sur le numérique, le financement des start-ups ou encore l’aide supposée de la France à des dictatures et j’en passe). Eric Besson ne s’est pas démonté et a répondu point par point, quitte à même solliciter un collaborateur par SMS pour vérifier un chiffre sur la capacité d’énergie issue du photovoltaïque en France. Je n’ai pas eu le sentiment d’un ministre en goguette mais au contraire plutôt punchy et soucieux de convaincre, quitte à en exploser le timing que son staff lui avait imparti par question !

Oui, Il nous a aussi fait clairement part de ses souhaits d’embrasser un jour, une carrière autre que politique et si possible dans le football qu’il adore mais dans un futur qu’il ne situe pas précisément. Evidemment, si scoop il y eût, je ne pense pas qu’il nous fût réservé ! Mais toujours est-il que j’ai apprécié d’avoir un contact direct et franc avec un élu de la République. Et çà, c’est Twitter qui l’a permis. N’est-ce pas une avancée démocratique remarquable plutôt qu’un passe-temps de roi fainéant ?



5 commentaires sur “Un ministre qui twitte est-il un « ministre démotivé » ?

  1. AnneHonimus  - 

    Merci pour ce compte-rendu de #birl2. Je te suis évidemment sur l’idée que tweeter trois fois cinq minutes dans la journée n’est pas glander. Que Duflot l’affirme, c’est de bonne guerre. Que Vanessa Schneider le reprenne, c’est étonnant.

Les commentaires sont clos.