Conférence Nouveau Monde : Quelles valeurs adopter pour aborder notre futur planétaire ?

Sous des airs de libellé pour épreuve de philo au baccalauréat, cette question cruciale a ouvert les débats de la 4ème édition du colloque « Nouveau Monde » organisé les 5 et 6 janvier sous l’égide du Ministère de l’Economie et des Finances et du Centre d’Analyse Stratégique. Le Blog du Communicant 2.0 a eu l’honneur d’assister à la première table ronde consacrée aux valeurs qui doivent orienter la construction du monde global dans lequel nous évoluons désormais.

Six témoins aux horizons très divers avaient été conviés pour la circonstance pour partager et confronter leurs visions et leurs expériences. Avec en filigrane, une interrogation fondamentale : Un monde multipolaire est-il durablement compatible avec des valeurs universelles ? Voici quelques réflexions fortes glanées lors des différentes interventions autour de ce que pourrait/devrait être ce Nouveau Monde en gestation et au-delà de la crise actuelle.

Plantons le décor !

« Plus que jamais l’appartenance à une humanité commune prend tout son sens, avec des réponses partagées, loin de la toute puissance du marché »

L’introduction du livret officiel de la conférence met clairement en exergue l’équation posée à l’heure actuelle : « La mondialisation des échanges, le capitalisme financier et la communication globale semblaient avoir écarté les valeurs au profit d’une relative uniformisation des modes de vie, du laissez-faire et du culte de l’instantanéité. Pourtant depuis 2008, la crise financière est venue rappeler au monde le sens d’une même destinée, nécessitant plus de responsabilité, de solidarité et de gouvernance. Plus que jamais l’appartenance à une humanité commune prend tout son sens, avec des réponses partagées, loin de la toute puissance du marché ». On ne saurait être plus clair mais pour autant peut-on se réclamer de valeurs communes ?

A cet égard, les années 2011 et 2012 sont indubitablement des périodes charnières. L’an passé, les révolutions arabes ont renversé des dictatures vieilles de plusieurs décennies, montrant ainsi que les peuples entendent être maîtres de leur destin. Pour des raisons différentes, des mouvements d’ « Indignés » ont éclaté aux Etats-Unis et en Europe pour contester la suprématie financière comme seule boussole sociétale régulant l’avenir des populations. Président de la fondation éponyme, Mo Ibrahim a souligné avec force la nécessité d’une plus grande gouvernance tant au niveau des Etats que des entreprises. A ses yeux, la crise a révélé de cruels échecs dans ce domaine qu’il résume dans une formule lapidaire mais signifiante : « On privatise les profits, on socialise les pertes » !

la capacité à écouter le discours de l’autre, discours que le Web 2.0 rend d’autant plus impactant, va clairement changer les modes d’action, de décision et de gouvernance des entreprises

Rebondissant sur ces failles, Emna Ben Jemaa, journaliste et blogueuse tunisienne, a enfoncé le clou en estimant que les capitalistes ont perdu de vue une notion essentielle : la dignité. De fait, elle a stigmatisé le comportement de certaines entreprises étrangères qui ont des comportements trahissant un manque de respect des cultures et/ou des catégories sociales. Pour elle, au lieu de se présenter en sauveuses de l’économie locale tout en profitant des salaires bas, elles devraient par exemple offrir des rémunérations décentes (300 dinars tunisiens au lieu de 150) qui permettraient réellement de stimuler le développement du marché local et redonner de la dignité. A ses yeux, c’est ce type de contrat social qui doit désormais prévaloir.

A ce titre, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, juge que les valeurs européennes de mise en commun et de compétitivité équitable, demeurent valides dans ce contexte. Avec toutefois l’accent à mettre sur le droit à l’émotion et à l’expression de chacun. Se référant au succès enregistré par l’atelier traitant de ce thème lors de la dernière université de MEDEF, elle considère que la capacité à écouter le discours de l’autre, discours que le Web 2.0 rend d’autant plus impactant, va clairement changer les modes d’action, de décision et de gouvernance des entreprises.

Consultant notoire, Alain Minc s’inscrit totalement dans ce courant démocratique avec toutefois une nuance à intégrer. Selon lui, la démocratie ne peut pas uniquement se résumer au suffrage universel. Elle doit également favoriser l’éclosion de pouvoirs et contre-pouvoirs pour assurer une meilleure régulation. Pour illustrer son propos, il a en particulier cité l’actuel gouvernement hongrois de Viktor Orban, démocratiquement élu mais ayant adopté récemment une nouvelle constitution marquant un net recul des libertés à l’égard de la presse et des opposants.

La démocratie n’est pas une valeur nue !

La révolution technologique a montré le poids de l’expression individuelle et de l’ouverture à l’autre. Les responsables qui décideraient de s’en affranchir manqueront de légitimité

La démocratie ne peut pas être une valeur efficace qu’on invoque en toute circonstance si elle n’est pas effectivement accompagnée de fondamentaux non-négociables. Pour Line Beauchamp, Ministre de l’Education, du Loisir et du Sport au Québec, la démocratie doit incarner le nécessaire équilibre entre les forces du marché et la gouvernance des Etats. En d’autres termes, cela signifie adopter des cadres au nom du bien commun tout en permettant l’audace et l’innovation. C’est là le véritable enjeu démocratique actuel qui passe aussi par un rapport plus étroit entre gouvernants, entreprises et citoyens.

A cet égard, Line Beauchamp a évoqué en guise d’exemple la manière dont le Canada a engagé le développement des territoires nationaux situés au-delà du 49ème parallèle et riches en potentiel minier et énergétique. L’approche retenue a été d’associer élus locaux, entreprises mais également populations autochtones pour tracer une perspective commune sur … les 25 années à venir !

Cette convergence, fruit du débat démocratique, Laurence Parisot la revendique également comme condition sine qua non des futurs processus de décision. Pour elle, la révolution technologique a montré le poids de l’expression individuelle et de l’ouverture à l’autre. Les responsables qui décideraient de s’en affranchir manqueront de légitimité. Pour autant, elle ne nie pas la complexité du débat participatif qui ne doit pas aboutir à des impasses ou des non-décisions mais la tendance globale est en revanche inéluctable. Yossi Vardi, entrepreneur israélien dans les hautes technologies, abonde dans ce sens en citant le cas d’un Colombien ayant réussi à faire descendre un million de personnes dans la rue en s’appuyant sur les réseaux sociaux.

Qui pour faire l’arbitre ?

Qui pour impulser et faire respecter des règles communes ?

Si les participants de la table ronde s’accordaient globalement autour de l’indispensable dialogue démocratique, il s’est aussi posé la question de ceux qui doivent veiller à la saine application des règles du jeu. Il existe aujourd’hui un nombre impressionnant d’instances de régulation à vocation mondiale comme les Nations Unies, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire international, etc. Mo Ibrahim s’est quelque peu emporté à leur égard, particulièrement au sujet de leur véritable représentativité de la diversité planétaire.

Il déplore notamment le poids prééminent des pays occidentaux qui représentent pourtant à peine 20% de la population de la planète. De même, il a ironisé sur le FMI en se demandant s’il n’y avait pas d’autres candidats représentatifs autre qu’une tête … française ? Très en verve, il s’est aussi attaqué au G8 devenu ensuite G20 en se demandant à quand désormais un G24 !

Pour lui, les aspects de gouvernance sont fondamentaux sinon les dérives ne sont jamais très loin. Pour appuyer son propos, il a notamment évoqué la corruption qui sévit dans certaines régions du monde. Si une entreprise veut faire des affaires, elle doit impérativement passer au tiroir-caisse. Ce qui n’est plus possible à ses yeux et qui doit être traité avec la plus grande dureté au niveau global sinon le phénomène perdurera. Sur ce point, Laurence Parisot l’a rejoint tout en soulignant que des initiatives en ce sens ont déjà été engagées à l’échelle internationale comme le dernier sommet du B20 à Cannes en octobre 2011 où le sujet a été largement abordé.

Quand Alain Minc module

Alain Minc ne croit pas tant à la capacité démocratique de Twitter

Fidèle à son image de boîte à idées, Alain Minc s’est légèrement dissocié à plusieurs reprises de ses compagnons de table ronde. Sur la démocratie participative et la révolution 2.0, il s’est montré plus mesuré en soulignant le besoin de « ne pas se noyer dans le lac des bons sentiments ». Ainsi, il n’est pas convaincu que Twitter soit l’outil le plus adapté pour gérer des règles sans corps intermédiaires. Aux « Indignés » qu’il trouve sympas au demeurant, il rappelle qu’il ne faut pas non plus « s’ébaubir » devant des personnes qui certes contestent mais ne proposent pas. Selon lui, « l’agora à l’échelle de l’humanité n’est pas notre avenir mais un enfer ». Le nouveau contrat social devrait plutôt s’inspirer des modèles de l’Europe du Nord.

Alain Minc a également pris la défense des institutions internationales secouées par les propos de Mo Ibrahim. Bien qu’il admette que des réformes sont probablement nécessaires les concernant, il estime que la Banque Mondiale et le FMI ne sont pas restés les bras croisés. Là aussi, il a rappelé le danger qui guette : se laisser uniquement guider par les bonnes intentions. A son avis, cette voie néglige des aspects fondamentaux comme les différences d’intérêt et de cadence, voire les contradictions entre les multiples pays. Ainsi, les règles environnementales plus strictes voulues par les pays riches ont du mal à trouver un écho solide chez des pays comme la Chine ou l’Inde dont le souci premier est d’abord de poursuivre son rattrapage économique.

A la lumière des discussions, une chose est en tout cas certaine. Les peuples n’entendent plus rester à l’écart des grandes décisions qui façonneront le nouveau monde (Le constat s’applique également aux entreprises et leurs salariés). Bien des imperfections subsisteront probablement mais l’aspiration à maîtriser son destin et à s’exprimer librement ont incontestablement pris un nouvel élan. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se référer par exemple l’agitation contestataire qui règne actuellement en Russie contre Vladimir Poutine et la figure médiatique du blogueur Alexeï Navalny. Même si le chemin à parcourir est loin d’être achevé !

Pour en savoir plus

– Visiter le site officiel du colloque Nouveau Monde
– Voir le programme intégral de l’édition 2012
– Lire l’intéressante tribune publiée par Vinton Cerf, l’un des pionniers d’Internet – « Internet is not a human right » – New York Times – 4 janvier 2012