Buzz Cantona : le « King » est à deux doigts du carton rouge !

A force de jongler intempestivement avec son image d’aiguillon indomptable, Eric Cantona risque de brouiller sa réputation d’homme engagé et affranchi des codes. Son récent coup médiatique opéré par le truchement  d’une fausse candidature à la présidentielle n’est pas du meilleur goût même s’il découle de bonnes intentions, en l’occurrence soutenir la Fondation Abbé-Pierre sur la problématique du logement des défavorisés.

A peine avait-il réussi à susciter le buzz dans la presse et la blogosphère tout en obtenant un bien consensuel satisfecit de la classe politique qu’il est prestement sorti du terrain du débat pour retourner sur les planches du théâtre où il joue actuellement. S’indigner, c’est bien surtout quand la cause est juste. S’engager est mieux surtout lorsqu’on est une personnalité capable de cristalliser des énergies et faire bouger les lignes. Attention à ne pas gâcher une popularité qui pourrait servir autrement des causes que par des saillies sans véritable lendemain.

Mister Canto et King Eric

Le mythe du « King » naît à coups de dribbles ravageurs, de passes décisives et de buts venus d’ailleurs

Imprévisible et atypique, Eric Cantona l’a toujours été depuis que les projecteurs des médias se sont braqués sur lui en 1985. A l’époque, il est un talentueux footballeur en herbe qui empile les buts pour son club formateur, l’A.J Auxerre et le qualifie même pour une compétition européenne. A maintes reprises, il signera des exploits mémorables sur les différents maillots qu’il portera avec des actions de jeu inscrites pour l’éternité dans les annales du football. C’est surtout en Angleterre, d’abord à Leeds puis à Manchester United, que le fantasque « Canto » forgera le mythe du « King » à coups de dribbles ravageurs, de passes décisives et de buts venus d’ailleurs.

En plus d’être un prodigieux joueur, Eric Cantona manifeste également une personnalité hors normes qui détonne dans le milieu très régenté du football. A un supporter adverse qui l’insulte copieusement, il lui flanque une prise de karaté spectaculaire digne des meilleurs Bruce Lee qui lui vaudra une condamnation judiciaire. A son sélectionneur national qui ne le retient pas pour un match officiel, il traite ce dernier de « sac à merde » et se retrouve exclu de l’équipe de France pour plusieurs mois. A son entraîneur marseillais qui décide de le faire sortir d’une rencontre, il flanque de rage son maillot à terre et se fait écarter de l’équipe titulaire. Toute sa carrière sera ainsi émaillée de coups d’éclats plus ou moins éruptifs.

Une image absolument unique

Un personnage atypique qui va au-delà du football

A la différence près que l’homme est intelligent et tranche avec l’image du footballeur moyen clinquant et obsédé par le gazon, les belles bagnoles et les jeux vidéo. Quand il ne lance pas en pâture des phrases hiératiques parlant de mouettes et de chalut, Eric Cantona assume pleinement son ténébreux caractère comme ses passions en dehors du ballon rond. C’est ainsi qu’il décide de mettre un terme à son brillant parcours sportif à seulement l’âge de 30 ans. Pile au moment où il est à son apogée avec Manchester United et en communion totale avec les fans du stade d’Old Trafford. Le mythe « Eric the King » est né au point qu’il engendrera plus tard un film remarqué de Ken Loach, « Looking for Eric », où le footballeur joue … lui-même. Mais pour Cantona, la vie est ailleurs même s’il aurait probablement pu encore accomplir quatre ou cinq belles saisons supplémentaires.

Déjà avant de raccrocher les crampons au vestiaire, Eric Cantona expose ses toiles bigarrées, prête son concours à des spots de pub décalés pour des rasoirs et endosse le costume de comédien avec un succès avéré. Bref, l’homme est bien loin de correspondre aux clichés qui collent aux basques des footballeurs et lui ne se prive guère d’en rajouter en faisant montre de surcroît d’un engagement social prononcé lors des interviews qu’il donne.

Quand Canto frôle le hors-jeu

Cantona en « Robin des Bois » (dessin de Na! – www.dessinateur.biz)

Pour les médias, Eric Cantona est ce que l’on nomme communément un « bon client ». Quand il s’exprime, l’homme ne prend pas de gants et sait donner de la voix ou user de formules percutantes. Autant dire qu’il est un porte-voix idoine pour faire entendre des combats et des contestations. Or, c’est précisément le piège qui guette Eric Cantona. Asséner des idées est bien et sain pour le débat mais encore faut-il les incarner concrètement par la suite pour ne pas passer pour une simple grande gueule opportuniste ou un contestataire aux vœux pieux.

Ce n’est pas la première fois qu’Eric Cantona se prend les pieds dans le tapis de la polémique. En octobre 2010, il accorde une interview vidéo au quotidien régional Presse-Océan. Dans un discours qui ne s’embarrasse guère de circonvolutions, il s’en prend ouvertement au système bancaire qu’il accuse de spolier les gens. Sans détours, il propose un plan d’action radical (1) : « Au lieu d’aller dans les rues faire des kilomètres pour manifester, tu vas à la banque de ton village et tu retires ton argent (…) S’il y a 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s’écroule (…) La révolution se fait par les banques (…) Le système est bâti sur le pouvoir des banques. Donc il peut être détruit par les banques ».

Cantona : « la révolution est très simple à faire » par presseocean

Le clip est un succès qui circule amplement sur YouTube et Facebook. A tel point qu’il suscite des initiatives s’inspirant des paroles du « King Eric ». Sur le réseau social, des internautes créent notamment une page intitulée « Révolution ! Le 7 décembre, on va tous retirer notre argent des banques ». Des dizaines de milliers de personnes « likent » la page. Les médias s’emparent du sujet. Eric Cantona est alors sollicité par le quotidien Libération pour recueillir sa réaction. Ni une, ni deux, le footballeur désormais acteur déclare qu’il va aller chercher tout son argent dans une petite agence bancaire de la Somme où il est en tournage.

Seulement le jour dit, Eric Cantona esquive et dribble tout le monde en effectuant un retrait « symbolique » dans un village voisin. Dans le même temps, on apprend que sa compagne comédienne avait précédemment tourné pour un spot de publicité pour le compte de LCL début 2010. En jargon footballistique, cela s’appelle un acte d’anti-jeu et peut vous valoir un carton jaune d’avertissement.

Conclusion – Attention au prochain carton

Attention au prochain carton !

Avec la volée de bois vert reçu par la suite en provenance des autorités politiques et bancaires, on aurait pu croire Eric Cantona vacciné contre la tentation d’une nouvelle initiative à l’emporte-pièce. Sur cette action-là, l’homme n’a effectivement guère brillé par sa vista et son abnégation à porter un mouvement qu’il avait pourtant contribué à faire naître et soutenu dans un premier temps. Raté ! Le 9 janvier dernier, Eric Cantona a récidivé avec son art incomparable du contre-pied.

Lire la suite du billet sur le Plus du Nouvel Observateur

Sources

(1) – « Un appel de Cantona à retirer son argent des banques fait du buzz » – Agence France Presse – 22 novembre 2010

Pour en savoir plus

– Lire l’intéressant portrait réalisé par Tristan Vey – « Les mille et une facettes d’Eric Cantona » – Le Figaro.fr – 10 janvier 2012
– Lire également le portrait rédigé par Anne-Cécile Juillet – « Eric Cantona : L’homme qui faisait ce qu’il voulait » – Le Parisien – 15 janvier 2012