Communication : Un porte-parole doit-il systématiquement fermer sa « gueule » ?

Le rôle de porte-parole est crucial dans la stratégie de communication d’une entreprise, d’une institution ou d’un parti politique. En plus des dirigeants et des experts qui composent une structure, il est le maillon entre cette dernière et son écosystème médiatique. A lui de relayer les messages et d’amplifier l’écho d’un discours officiel.

Pour autant, est-il condamné à n’être qu’un docile perroquet jacassant les éléments de discours à longueur de temps ou peut-il parfois s’absoudre de sa cage discursive et faire valoir sa personnalité et ses valeurs ? Petite réflexion autour d’un sujet d’actualité que Nathalie Kosciusko-Morizet a relancé à son détriment !

Coup de gueule et langue de bois

David Martinon fut porte-parole de l’Elysée de mai 2007 à mars 2008 sans jamais avoir une grande marge de manoeuvre

Il fut un temps pas si lointain où le ministre de la Recherche et de la Technologie qu’était alors Jean-Pierre Chevènement avait prononcé une phrase demeurée célèbre : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». De fait, il passa à l’acte et claqua la porte le 22 mars 1983  en guise de protestation contre la « parenthèse libérale » qu’amorçait le gouvernement socialiste de l’époque. Certes, il n’était pas porte-parole en tant que tel mais toute prise de position publique pouvait à un moment donné l’amener à cultiver une corde dissonante au sein de son camp politique.

Plus près de nous, Nicolas Sarkozy inaugura sa présidence en mai 2007 avec la nomination d’un porte-parole en charge d’animer des points presse réguliers pour répondre aux questions liées à l’actualité. Le premier à s’y coller fut David Martinon. Enarque rompu aux arcanes de la communication, il endosse cette fonction inédite de porte-parole de l’Elysée. Une fonction qui s’inspire directement des rencontres hebdomadaires de la Maison Blanche avec les journalistes où sont traités à bâtons rompus les sujets alimentant les conversations du moment. Très vite pourtant, l’idée va fréquemment accoucher de monuments de langue de bois et de formules pré-moulées dont se désintéresseront progressivement les journalistes. En mars 2008, la fonction est même supprimée dans la foulée du fiasco électoral que dut subir David Martinon aux municipales de Neuilly-sur-Seine.

Le cas du porte-parolat de David Martinon est loin d’être unique en son genre. Souvent, le porte-parole est le paratonnerre qu’on délègue « courageusement » à la communication de mauvaises nouvelles pour ne pas exposer des dirigeants ou des figures plus importantes. Si tactiquement, l’approche peut se concevoir, elle relève en revanche souvent de la manœuvre dilatoire. De parole, la personne ne porte pas grand-chose hormis des mots valises, des phrases convenues et de la prose aseptisée des éléments de langage pondus en haut lieu. Lorsque le rôle confine à pareille vacuité, il est effectivement urgent de repenser l’approche.

N’en déplaise aux esprits chagrins, un porte-parole n’est pas forcément un individu atteint de psittacisme aigu et incapable d’articuler une formulation autre que celle rédigée dans le « position paper ». Il est évident que si le porte-parole se contente de coller comme une sangsue à sa précieuse plateforme discursive officielle, l’exercice tournera vite à vide.

Porte-parole = perroquet ?

Porte-parole : condamné à n’être qu’un perroquet ?

En revanche, un porte-parole peut constituer un solide atout s’il sait utiliser avec dextérité les règles qu’applique Paul Stallard, un professionnel britannique des relations publiques dans le domaine des nouvelles technologies. A ses yeux, il n’y a pas de secret pour éviter de sombrer dans une logorrhée verbale dont tout le monde se moque éperdument. Pour illustrer son propos, il distingue 6 points essentiels (1) qui feront d’un porte-parole, un acteur crédible :

  •  Connaître son message. Cela suppose notamment de choisir les points clés que l’on souhaite mettre en avant en fonction de l’interlocuteur plutôt que se réfugier derrière un charabia stéréotypé et décliné à l’envi.
  • Se préparer. Mais pas dans le sens d’apprendre par cœur comme un premier communiant son document de référence mais plutôt de s’interroger sur les questions qui pourraient être posées, y compris les plus dérangeantes, d’avoir un minimum d’informations sur ses interlocuteurs, le média qu’ils représentent. Cela peut sembler évident et pourtant combien de porte-paroles se transforment alors en porte-flingues car ils n’admettent pas de devoir « sortir » du cadre dans lequel ils veulent rester.
  • Se relaxer. Là aussi, le conseil peut sembler superfétatoire mais une attitude empathique servira toujours mieux le dialogue que quelqu’un crispé sur ses messages sans jamais déroger au moindre mot non prévu.
  • Etre confiant. Cela implique de connaître le sujet que l’on évoque, d’être capable d’aller au-delà de la lecture passive d’un communiqué et d’entamer une conversation avec des arguments.
  • Ne pas se laisser distraire. Une interview ou une allocution ne sont pas forcément un long fleuve tranquille. Tout l’enjeu consiste donc à savoir conserver le fil de ce que l’on veut dire et des points clés qu’on tient à mettre en avant sans se laisser embarquer par des questions périphériques pas toujours de bon aloi et/ou carrément partisanes.
  • Ne pas éluder les questions. Pour autant, il ne s’agit pas d’évacuer illico les questions épineuses ou même totalement impromptues. Mieux vaut encore y répondre, quitte à admettre qu’on ne sait pas plutôt que balayer d’un revers de main et recouvrir ses propos avec la confiture communicante qui rassure tellement soi-même mais pas l’audience !

Et si le porte-parole était autre chose qu’un simple porteur de mots ?

Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole du candidat Sarkozy mais libre de ton

Aux adeptes du discours précuit et de la réponse moulée à la perfection, l’idée d’envisager une seconde le porte-parole comme étant un acteur pouvant parfois penser par lui-même risque effectivement d’énerver les tenants du message ultra-calibré et contrôlé. Très récemment, Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole officielle de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en a fait l’expérience. Ainsi, interrogée le 4 mars dernier sur l’amalgame effectué par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant entre droit de vote des étrangers et nourriture halal dans les cantines scolaires, elle n’hésite pas à critiquer cette position.

Quelque temps plus tard, elle récidive en usant de la même liberté de parole au sujet d’un potentiel 2ème tour de l’élection présidentielle qui opposerait François Hollande à Marine Le Pen. Sans ciller, elle déclare qu’elle votera pour le candidat socialiste. Deux saillies ont fait bondir d’énervement les caciques de son parti qui estiment que ce ton est incompatible avec le porte-parolat du candidat Sarkozy.

Pourtant et sans trahir nullement son camp, Nathalie Kosciusko-Morizet est en cohérence avec ses valeurs. Une telle déclaration est au contraire d’une grande honnêteté intellectuelle. L’élue de l’Essonne n’a jamais dissimulé son aversion à l’égard des thèses lepénistes au point de consacrer un ouvrage intitulé « Le Front antinational » et publié il y a plusieurs mois. Une telle consistance dans le propos est suffisamment rare en politique pour conférer au contraire un supplément de crédibilité à la porte-parole plutôt qu’un défaut de représentation de son parti.

Conclusion – Soyez vous-même !

Au lieu de s’ingénier à bricoler un rôle et/ou mâchonner des propos passe-partout, un porte-parole sera d’autant plus efficace qu’il saura cultiver un style et une personnalité. Il ne s’agit évidemment pas de se transformer en franc-tireur s’arrogeant le droit de dire ce que bon lui semble sans rien respecter, ni tenir compte de l’entreprise, l’institution ou le parti qu’il représente. Pour autant, il ne sortira pas gagnant (et encore moins crédible) en se transformant en mégaphone soumis et tout juste bon à recracher la bouillie corporate incantatoire qui pollue encore tellement les discours et les déclarations.

Dans son excellent blog baptisé Superception, Christophe Lachnitt, par ailleurs directeur de la communication du groupe DCNS, un leader mondial du naval de défense et un innovateur dans l’énergie, affirme cette conviction que je partage pleinement (2) : « L’empathie est l’une des qualités essentielles du communicant : il faut connaître ses audiences pour bien communiquer et “se mettre dans leur peau” pour remarquablement communiquer. Or, toute notre vie, nous sommes le centre de notre propre monde. Pour l’homo sapiens, “l’enfer c’est les autres”. Pour l’homo communicatus, les autres doivent être le paradis ». Mesdames et messieurs les porte-paroles, à vous de vous en emparer !

Sources

(1) – Paul Stallard – « Tips for being a good spokesperson » – Business Zone – 15 avril 2010
(2) – Christophe Lachnitt – « La qualité première d’un communicant est tout sauf naturelle » – Blog Superception – 13 mars 2012

Lectures complémentaires

– Pauline de Saint-Remy – « NKM chahutée mais toujours là » – Le Point.fr – 21 mars 2012
– Arnaud Leparmentier & Vanessa Schneider – « NKM, porte-parole esseulée de Nicolas Sarkozy » – Le Monde – 8 mars 2012



4 commentaires sur “Communication : Un porte-parole doit-il systématiquement fermer sa « gueule » ?

  1. Sidonie Salabanzi  - 

    J’apprécie énormément l’analyse faite sur le rôle d’un porte-parle. Il doit connaître son message, se préparer, se relaxer et ne pas se laisser distraire. Il doit faire attention aux questions partisannes et il doit respecter le public tout en étant en cohérence avec les valeurs de son parti ou de son entreprise.

  2. Olivier Caussin  - 

    Olivier, merci pour cette excellente analyse du rôle de porte parole. Je pense que la situation pour un homme politique ou pour une entreprise est exactement la même. Toutes ses interfaces avec le monde reflètent sa personnalité, que ce soit le contenu d’une page facebook ou le choix du porte parole.

    A partir de là, imposer à son porte parole une attitude servile et sans personnalité ne fait que refléter en mal sur l’homme politique / l’entreprise. Le public veut de la transparence et une image forte. Museler NKM serait une erreur stratégique grave maintenant que le choix assez courageux d’une personnalité forte est fait.

    Merci aussi pour les 2 sources (blogs) que je ne connaissais pas 🙂

    A bientôt,
    Olivier Caussin

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Olivier

      Je ne peux qu’être en phase avec votre commentaire. Réduire le rôle de porte-parole à une potiche nantie d’un mégaphone est la pire utilisation qu’on puisse en faire. Pour la personne qui tient ce rôle et pour l’entité qu’elle est censée représenter.
      Beaucoup oublient qu’un porte-parole est là pour parler à un public, l’informer, le convaincre, rectifier des idées reçues ou même susciter des débats (tout en restant bien sûr dans la correction et le respect!). Personnellement, j’ai apprécié la sincérité des réponses de NKM et cette crédibilité me donne d’autant plus envie d’écouter ses propos que ceux qui sont perfusés en permanence aux médiatrainings intensifs et vidés de toute substance discursive !
      A bientôt
      Olivier

Les commentaires sont clos.