Politique et Numérique : « Aux tweets, citoyens ! Formez vos opinions »

En 2012, les réseaux sociaux se sont immiscés plus que jamais dans la campagne électorale. Si les partis avaient déjà massivement investi le Web, le taux de participation des citoyens s’est à son tour nettement orienté à la hausse depuis la dernière présidentielle.

Sous l’égide de la Fédération française des Télécoms, deux chercheuses ont dévoilé le 10 mai les résultats d’une étude terrain qu’elles ont conduite in vivo pendant 2 mois auprès d’un échantillon représentatif d’électeurs de 18 à 80 ans. Premiers enseignements des usages et des impacts du numérique sur le bulletin de vote.

L’avènement du citoyen transmédia

Le site « Véritomètre » d’i>Télés et Owni a particulièrement marqué l’empreinte du « fact-checking » pendant la campagne

De spectateur plutôt passif se contentant des médias classiques, le citoyen lambda est devenu en 2012 un authentique protagoniste de la joute électorale. C’est le premier constat formulé par Laurence Allard, maîtresse de conférences en sciences de l’Information et de la Communication à Lille et Joëlle Menrath, directrice de la société de conseil Discours & Pratiques. Qu’il soit militant, sympathisant ou électeur de base, chacun s’est aujourd’hui forgé une panoplie de canaux d’information qui déborde bien au-delà des supports traditionnels de presse en englobant maintenant  les médias sociaux sous toutes leurs formes.

Objectif de ce mix informationnel que chaque personne se concocte : disposer de ce que les deux chercheuses nomment le « deuxième temps de l’information ». Le citoyen ne se contente plus de recevoir de l’information. Il entend aller au-delà en multipliant les moments de consultation (par exemple, podcast, vidéo de rattrapage, hashtag spécifique sur Twitter, etc) et les sources (blogs d’experts, recommandations d’amis sur Facebook, décryptages divers). A cet égard, la campagne 2012 a été marquée par un tropisme affirmé pour le « fact-checking » comme les sites comparant les programmes ou ceux vérifiant la validité des chiffres énoncés par les candidats.

La télévision demeure certes un pilier fondamental dans l’accès à l’information mais le rapport à celle-ci a muté. Aujourd’hui, le citoyen connecté regarde le petit écran en y ajoutant celui de sa tablette, son smartphone ou son ordinateur pour partager des commentaires, rebondir sur des propos, voire révéler avant l’heure des informations sur le scrutin comme le fil #RadioLondres de Twitter. Certains déconstruisent mêmes les débats en s’appuyant sur les mots clés de leurs centres de prédilection plutôt qu’adopter la linéarité et suivre in extenso.

Le tabou du vote demeure

Echanger oui mais pas au point d’afficher ouvertement ses opinions politiques

Si les citoyens s’investissent plus dans l’agora électorale, ils n’en affichent pas pour autant ouvertement leurs inclinaisons politiques. Ces dernières demeurent en grande partie dans le registre du privé, voire de l’individu même. Hormis les militants clairement engagés ou les sympathisants dont le vote est déjà acquis, les autres acteurs continuent d’avancer précautionneusement sur les réseaux sociaux.

Pour Laurence Allard et Joëlle Menrath, nombreux sont ceux qui évitent la confrontation directe d’idées. Les deux chercheuses notent toutefois que les mêmes multiplient les procédés indirects pour s’exprimer malgré tout sans trop en dire : « Poster des images d’affiches détournées, parler par articles de presse interposés, commenter des blagues politiques, dire son choix par un énoncé codé, retweeter un message ou simplement le « liker » sont autant de moyens de dire son penchant tout en n’entrant pas dans le débat frontal ».

Cet « évitement civique » se poursuit le jour du scrutin. D’aucuns se contentent de mentionner un « a voté » sur leur mur Facebook. D’autres un peu plus hardis osent le « coming out » après l’isoloir mais là encore de manière subliminale. Par exemple, ils prennent l’avatar de leur candidat, publient la photo d’un bulletin de vote ou d’une carte d’électeur, expriment leur joie ou leur dépit avant de souvent nettoyer le lendemain leur profil de toutes ces allusions à la couleur de leur vote.

De l’humour oui mais aussi de la curiosité

Humour et curiosité, les deux piliers de l’expression numérique

L’humour est incontestablement la vedette des médias sociaux. En période électorale, les deux chercheuses ont constaté un net regain dans l’échange de blagues et autres pastiches tournant en dérision les arguments des uns et des autres. SMS, vidéos virales, visuels « photoshopés », podcasts d’humoristes, remix musical de petites phrases, dessins et caricatures abondent et inondent les timelines des citoyens connectés.

Cependant,  si la plaisanterie est de rigueur dans les interactions entre électeurs numériques, celle-ci n’exclut pas une curiosité accrue. Laurence Allard et Joëlle Menrath ont ainsi noté que des électeurs osent plus facilement s’enquérir des opinions adverses sur les réseaux digitaux que dans la vie réelle. Elles citent notamment le cas de Luc, électeur de gauche de 51 ans qui a visité le site d’un parti d’extrême-droite alors qu’autrefois, il jugeait impensable d’acheter Minute chez son marchand de journaux.

D’autres n’hésitent pas à mettre en regard les différentes opinions exprimées par les candidats qui les intéressent le plus, quitte à parfois modifier leur vote à l’ultime moment. Les plus engagés font même de la veille informationnelle en observant attentivement ce qui se dit et s’écrit dans le camp d’en face, histoire de riposter si nécessaire mais pas forcément avec les copier-coller des slogans et des mots d’ordre officiels. Les deux font notamment remarquer que beaucoup de citoyens connectés entendent rester libres de leurs propos et utiliser leur propre vocabulaire.

Conclusion – Influence digitale ou pas ?

Le bulletin de vote n’est pas si influencé par les réseaux numériques

Excepté pour les militants et sympathisants réellement mobilisés autour de leur champion politique, les réseaux numériques n’exercent pas une influence radicale au point de faire basculer un scrutin. Pour Laurence Allard et Joëlle Menrath, « Internet n’est pas un lieu de débat public mais plutôt un espace hybride où chacun effeuille ses opinions ou au contraire, les masque ». La connexion permet d’assouvir son besoin d’expression en dévoilant par exemple qu’on a participé à un meeting électoral via une photo de l’événement sur Instagram.

Mais cette expression reste souvent dans le registre métaphorique et beaucoup moins dans le registre dialectique qui lui s’opère hors médias dans des discussions entre amis, dans la famille ou dans des réunions spécifiques. A cet égard, il est assez amusant de noter que les ténors politiques et leur entourage n’hésitent désormais plus à reprendre à leur compte les commentaires émis par des internautes. Tous bords confondus, des personnalités politiques ont par exemple souvent retweeté des messages qui leur étaient favorables. Histoire sans doute de montrer que la ferveur populaire s’exprimait en leur faveur et pas envers leurs adversaires.

Mais plus que l’influence sur le vote, le numérique a surtout engendré un nouveau rapport à la vie politique en libérant la parole, en fournissant l’accès à de multiples sources d’information en toutes circonstances. Quitte à « live-tweeter » les grands meetings en plein air qui ont scandé le rythme de la campagne présidentielle et des mobilisations collectives.

Pour en savoir en plus

– Consulter et écouter la présentation intégrale de Laurence Allard et Joëlle Menrath sur le site de la Fédération française des Télécoms