Entreprise & Communication : Les valeurs ont-elles encore de la valeur ?

Le réseau international ECCO et l’agence de conseil en communication Wellcom viennent de publier la 4ème livraison de leur Index international des valeurs corporate. Ce baromètre a passé au crible les valeurs revendiquées par plus de 4000 entreprises dans 13 pays. Avec une nouveauté pour le cru 2013 : 2500 salariés issus de 5 pays européens ont également été interrogés. Que retenir de cette instructive étude ?

Quiconque a traîné ses guêtres dans les couloirs d’une entreprise s’est forcément trouvé confronté aux valeurs que celle-ci revendique comme boussole intrinsèque de son ADN entrepreneurial. Les valeurs sont en effet essentielles pour assurer la cohérence d’une organisation, véhiculer du sens en son sein et affirmer son identité dans l’écosystème où elle évolue. A mesure que les enjeux se sont complexifiés, les entreprises se sont progressivement emparées des valeurs pour en faire des piliers fondamentaux garants de leur corpus institutionnel, culturel, social et industriel. Le grand mérite de cette étude est précisément de livrer une cartographie évolutive des focales culturelles dont se réclament les sociétés et de discerner les tendances du moment.

De quoi et de qui parle-t-on ?

Près de 23000 valeurs recensées par l’étude ECCO-Wellcom

Avec un vaste échantillon de 4348 entreprises réparties dans 11 pays européens, les Etats-Unis et l’Australie, l’investigation menée par le réseau ECCO et l’agence Wellcom offre un intéressant coup de projecteur sur les valeurs cardinales qui animent les sociétés occidentales. A cet égard, il serait d’ailleurs très intéressant de mettre cette étude en perspective avec des travaux similaires menés parmi des entreprises d’origine asiatique, africaine ou encore indienne pour voir si les motivations et les références convergent autour d’un socle universel ou se réclament au contraire d’autres horizons.

De l’étude en question, il ressort en tout cas un vertigineux décompte. Pas moins de 22 993 valeurs ont été citées par le panel passé au crible. De cet amas conséquent, ECCO et Wellcom ont établi des groupes de « valeurs pilotes » et des sous-groupes de « valeurs associées ». Ils ont ainsi identifié et cartographié 8 grandes familles de valeur qui se décomposent et s’assemblent de la façon suivante :

  • Les valeurs de compétence et les valeurs de conquête illustrent la culture professionnelle de l’entreprise mais aussi son attitude vis-à-vis du marché et de ses concurrents.
  • Les valeurs de conduite et les valeurs relationnelles actualisent l’existence au sein de l’entreprise de valeurs, de règles portant sur l’échange, les relations entre les membres de l’entreprise, son environnement et ses partenaires.
  • Les valeurs sociétales et les valeurs sociales nous donnent des informations sur la pénétration de la société civile au sein de l’entreprise.
  • Les valeurs morales et les valeurs d’épanouissement se situent toutes les deux à un niveau plus individuel mais avec des valorisations différentes

Quel résultat des courses ?

La mobilisation du corps de l’entreprise : une valeur clé

Au final, il s’avère que chaque entreprise s’appuie en moyenne sur un peu plus de 5 valeurs cardinales empruntant à différents registres selon leur profil, leur secteur d’activité et leur origine culturelle. Si l’on creuse catégorie par catégorie, on obtient un instantané plutôt révélateur des tropismes actuels des entreprises en termes de valeur à l’heure où le contexte économique est aléatoire et les ruptures technologiques accélérées.

Ce sont ainsi les valeurs de compétence et les valeurs de conquête qui emportent haut la main la majorité des suffrages. Comme lors de la précédente édition de l’Index international d’ECCO et Wellcom, les valeurs de compétence se maintiennent fortement à hauteur de 33% des valeurs exprimées (contre 35% en 2009), notamment à travers des items comme « qualité », « satisfaction-client », « savoir-faire », « esprit d’équipe », « excellence » et « service ». Quant aux valeurs de conquête, elles demeurent également plébiscitées malgré un petit tassement en 2013 avec 21% contre 22% en 2009. Néanmoins, les mots comme « innovation », « ambition », « succès » et « performance » imprègnent toujours fortement la hiérarchie des valeurs d’entreprise.

Faut-il y voir ensuite un effet des réseaux sociaux et de l’expression accrue du public sur les entreprises, voire de la pression critique exercée à leur encontre ? Toujours est-il que les valeurs de conduite et les valeurs sociétales poursuivent leur percée parmi les valeurs affichées des sociétés. Les valeurs de conduite augmentent de 2% pour atteindre 15% des citations avec des vocables récurrents comme « responsabilité », « implication du personnel », « tradition » et « passion ». Les valeurs sociétales sont plus stables mais les critères comme « environnement », « responsabilité sociale », « durabilité » et « santé » restent solides et prégnants.

Ce classement dénote par conséquent un état d’esprit plutôt tourné autour de la mobilisation des forces vives de l’entreprise qui doit faire face à une concurrence exacerbée, une visibilité économique réduite (pour ne pas dire court-termiste !). Ainsi quel que soit le secteur considéré, l’innovation arrive en tête et enregistre une forte progression.  Celle-ci est clairement perçue comme un levier stratégique pour valoriser la différence d’une entreprise par rapport à ses concurrents.

Avec cependant une dimension grandissante : l’intégration de la perception du corps sociétal envers l’entreprise. Si longtemps cette dernière s’est pensée quasiment ex-nihilo, elle intègre désormais le regard (voire le jugement) des parties prenantes à des degrés divers. Autre point notable additionnel : le retour à un certain nombre de basiques économiques des entreprises avec la progression de la croissance (8%, + 2 places par rapport à 2009), la différenciation (3%, + 4 places) ou encore la compétitivité (9%, + 3 places). La conquête des parts de marché restent bien à l’ordre du jour !

Mais où est l’humain ?

Les valeurs humanistes : Encore du chemin pour percer

Dans ce contexte de sonnerie du tocsin, on peut légitimement se demander si l’humain parvient encore à se frayer un chemin parmi les valeurs fédératrices du corps de l’entreprise. Il est certes question d’implication et de mobilisation des équipes. Néanmoins, derrière ces mots, se profile avant tout un souci et/ou une exigence de performance à l’instar d’une équipe de football censée obligatoirement gagner et éloigner à tout prix les affres de la défaite.

Sur ce plan, l’étude ECCO-Wellcom révèle que les valeurs d’inspiration plus humaniste (et donc moins mécaniste) sont présentes. Mieux, elles progressent substantiellement mais sans jamais atteindre les niveaux des valeurs « structurelles » précédemment citées.  Les valeurs relationnelles (avec pour pivots les mots de « respect » et « confiance ») ne pèsent que 9% des valeurs exprimées soit un point de plus qu’en 2009. De même, les valeurs d’épanouissement incarnées par les vocables « humanisme » et « développement personnel » grignotent du terrain (4%, + 1 point par rapport à 2009) mais restent malgré tout confinées à la marge des professions de foi des entreprises.

On est donc encore loin du manifeste de l’entrepreneur indien Vineet Nayar intitulé « Employee first, customer second » qui avait pourtant suscité en 2011 une salutaire réflexion sur la nécessité d’accorder plus d’importance aux gens qui travaillent et impulsent la vie de l’entreprise. A la lumière de cette étude, on peut noter que celle-ci demeure écartelée entre d’évidents impératifs économiques à satisfaire en ces temps de darwinisme industriel et des aspirations plus humanistes basées sur le respect et la prise en compte plus larges des personnes qui la composent.

L’humain comme levier de performance ?

83% des salariés croient dans l’importance des valeurs d’entreprise

Les entreprises auraient pourtant tort de mésestimer ce formidable réservoir aspirationnel que constitue le corps salarial. L’étude complémentaire d’ECCO-Wellcom auprès des salariés est sans ambages sur ce point. 83% des salariés acceptent l’idée de définition de valeurs clairement formalisées pour une entreprise et jugent cette démarche utile. A noter toutefois une dichotomie croissante dans la cohérence entre les valeurs et les actes à mesure que l’on s’élève dans les niveaux hiérarchiques de l’entreprise. Le top management se sentirait-il moins concerné par les valeurs ? !

Cette observation est néanmoins cruciale et renvoie au concept de management par l’exemple. En d’autres termes, si les valeurs professées par les équipes dirigeantes de l’entreprise ne se traduisent pas en actes tangibles, le risque de décrochage et de décrédibilisation est patent. Président et fondateur de l’agence Wellcom qui est à l’origine de cette étude, Thierry Wellhoff est catégorique sur le sujet. Pour lui, l’adhésion des salariés aux valeurs est incontestablement un territoire à capitaliser (1) : « C’est la grande révélation de l’enquête, ce qui m’a le plus surpris : les salariés approuvent ce système des valeurs, le jugent même nécessaire. Ils ont bien perçu qu’il s’agit d’éthique, ce qui permet de distinguer les bonnes et mauvaises conduites, et non exclusivement de morale ».

Conclusion – De la valeur oui mais pas n’importe comment

Les valeurs, épine dorsale de l’entreprise à condition d’être vraiment incarnées

Indubitablement, les valeurs ont leur place dans l’entreprise et tout particulièrement dans cette époque actuelle d’incertitude économique et de mutation profonde. Pour autant, celles-ci ne doivent pas se transformer en vernis cosmétique ou en ex-votos magnifiés camouflant les véritables ressorts de l’entreprise. De deux choses l’une. Soit l’entreprise applique véritablement, au quotidien et sans exception les valeurs auxquelles elle se réfère et dans ce cas, elle peut espérer en tirer un formidable gisement structurant et référent pour ses équipes. Soit elle l’envisage comme un exercice imposé plus ou moins sincère et elle s’expose alors à de dangereux avatars.

Thierry Wellhof est sans concession sur ce point (2) : « Les valeurs servent à décrire les sociétés, elles leur donnent une colonne vertébrale et signifient ce que l’on peut en attendre. En interne, elles donnent du sens, fédèrent, rassemblent de manière que le salarié se sente bien dans son entreprise. En externe, elles permettent de passer à l’action, d’agir pour satisfaire le client, elles apportent de la cohérence pour construire l’image et la réputation, notamment auprès des actionnaires. Maintenant, si la question est de savoir si c’est parfois pipeau, la réponse est oui : dans certaines entreprises, elles ont été écrites en trois minutes sur un bout de table, à la fin d’un conseil d’administration, et n’apprennent rien sur la société ».

Au-delà de la potentielle dérive de panurgisme où toutes les entreprises se singent en se réclamant des mêmes valeurs au risque de les vider de leur substance intrinsèque, il est évident que les valeurs d’entreprise n’ont et n’auront précisément de valeur que si elles imbibent la conduite de l’entreprise à tous les niveaux. Combien de fois des salariés et des managers ont-ils vu des hauts dirigeants invoquer la main sur le cœur telle ou telle valeur tandis qu’ils opèrent aux antipodes de celles-ci ? Si ce pré-requis non-négociable n’est pas rempli, alors les valeurs deviennent une bluette corporate tout juste à garnir les rayons des étagères du bureau du patron. Cela serait dommage de les réduire à ce sort pitoyable.

Sources

(1) – Marie-Sophie Ramspacher – « Avec les valeurs d’entreprise, il est plus difficile de mentir » – Les Echos – 17 janvier 2013
(2) – Ibid.

En savoir plus

– Visiteur le site des valeurs corporate