Communication digitale : A quoi peut servir un baromètre de mesure de la qualité des contenus ?

Toujours à l’affût des tendances linguistiques mais également soucieux de cohérence des discours et des contenus, l’Institut de la Qualité de l’Expression se penche déjà depuis plusieurs années sur la « lingua nova » que le Web et les réseaux sociaux ont induite. Un travail d’observation et d’analyse qui a débouché sur la création d’un baromètre de mesure de la qualité du langage digital. Dans cette première édition, sept marques ont été passées au crible des nouveaux critères sémantiques définis par l’Institut. Explications.

« Avec ce baromètre que l’Institut publiera chaque année, nous avons voulu créer une grille de lecture sémantique, un label de qualité d’expression pour l’écosystème digital d’une marque.», explique Jeanne Bordeau, fondatrice et présidente de l’Institut de la qualité de l’expression. La profusion du Web charrie en effet d’impressionnants volumes de contenus mais qui ne trouvent pas toujours leur cible à cause d’impairs linguistiques ou de manque d’alignement avec l’ADN d’une marque ou d’une entreprise. Le baromètre vise précisément à constituer une boussole pour gagner en cohérence et en pertinence. Et des entreprises ont déjà su emprunter le bon chemin dans leur conversation avec leurs communautés.

Pourquoi avez-vous créé un baromètre de mesure de la qualité du langage digital ? Est-ce à dire que ce dernier s’est appauvri malgré la profusion de contenus jamais atteinte et qui confine même parfois à l’infobésité ?

iqe-2-jeanne-bordeauJeanne Bordeau : Le web, c’est infobésité et textes à l’infini. Cet infini doit être défini. Pour aider les marques à y voir plus clair dans la « babelweb », l’Institut a créé une grille de lecture sémantique, un label de qualité d’expression, tous contenus digitaux confondus. La langue digitale n’est pas synonyme d’appauvrissement, au contraire. Sur le web, le visuel et l’audiovisuel viennent à tout moment renforcer le texte. L’écriture digitale est sociale, collaborative, visuelle, mouvante. Elle est multidimensionnelle, puissante. Mais elle vit son adolescence.

Elle peine à susciter l’émotion. Elle manque, en termes de style, parfois de nuance. On ne transporte pas l’internaute en écrivant « Regardez » ou « Découvrez » ! Les plus grands auteurs peinent parfois à écrire l’émotion, les marques aussi. Sur le web, l’image possède de l’avance sur l’écrit. Le langage digital est encore peu démonstratif – s’appuie peu sur des preuves -, il manque, plus qu’on ne l’imaginait, de créativité, crée déjà des stéréotypes, mais certaines marques évaluées dans ce baromètre s’en sortent avec brio !

Quels sont les critères principaux qui constituent ce baromètre et comment procédez-vous pour réaliser la mesure du langage digital d’une marque ou d’une entreprise ?

Jeanne Bordeau : Le baromètre examine d’abord la clarté de l’identité et de l’offre, la relation créée avec l’internaute, la personnalité sémantique, la qualité visuelle et audiovisuelle, l’efficacité du service rendu. Pour cette première édition, la démonstration, l’émotion, la force de créativité le complètent. Mais ces trois derniers critères varient en fonction du secteur, de l’identité et des cibles de la marque. Notre méthode ? Après 8 études menées sur le langage digital, trois livres publiés sur le sujet et plus de 1000 entreprises rencontrées en 15 ans, la définition des critères du baromètre s’appuie sur une démarche empirique nourrie de cette longue expérience des mots et de leur sémantique.

Le baromètre se fonde ensuite sur l’analyse préalable de la culture de la marque, sur le criblage quantitatif et qualitatif de son site web, des réseaux sociaux, de ses applis. Pour compléter notre analyse, les étudiants en M1 de l’European Communication School Paris ont donné leur perçu et leurs attentes de la marque en se posant des questions comme « Qui remporte le label de la créativité ? » ou « Que retient-on après quinze minutes de balade dans l’écosystème de la marque ? ».

Vous avez récemment dévoilé les lauréats de la première édition du baromètre. Qui sont-ils et en quoi justement constituent-ils des exemples de langage digital performant ?

iqe-maif-social-clubJeanne Bordeau : Médecins du Monde et la MAIF. Le premier pour sa capacité à informer et engager avec efficacité. Pour sa langue qui place d’emblée l’internaute dans une situation de bénévole, de donneur et qui alterne le long et le court avec brio. Pour sa capacité à créer une conversation avec justesse, sans sur-interpeller, sans tomber dans le pathos. Pour la qualité de ses visuels qui vous regardent droit dans les yeux. Pour sa force de mémorisation enfin. La MAIF elle, frappe par sa cohérence de ton. Discours publicitaire, clips pédagogiques sur YouTube, contenus du site web, applis, MAIF social club, réseaux sociaux, etc. Et la pertinence crée la confiance. Le micro-ciblage de ses offres, une langue centrée sur la preuve et le besoin du client, ses dessins simples dessinés au trait qui ont frappé l’inconscient collectif.

Ensuite, il y a aussi l’enseigne de mode Jules, pour ses tournures qui interpellent l’internaute avec créativité, sans jamais le pousser à « partager », « liker », « relayer » ou « acheter ». Le langage de Jules enrôle et embrasse l’internaute avec légèreté. Jules se distingue aussi pour ses conseils de style, son lexique de la mode. Et l’efficacité de son écosystème qui se concentre sur le service rendu au client. C’est fluide, heureux et incitatif.

Le langage digital doit-il obéir à ses propres codes par rapport aux autres langages de l’entreprise (publications écrites, prises de parole publiques, etc) ou doit-il au contraire demeurer en cohérence avec l’ensemble du corpus sémantique tout en s’adaptant à un écosystème en ligne où l’expression diffère effectivement sur de nombreux aspects ?

iqe-mots-digital-communicationJeanne Bordeau : Le langage digital possède ses propres codes. Raccourci à l’extrême, il est dense, visuel, mouvant, e-mouvant même ! Le lien hypertexte remplace la subordonnée. La grammaire devient visuelle. L’écriture digitale serait l’écriture totale parce qu’elle associe linguistique, stylistique, sciences cognitives et sémiologie.

Mais certains critères d’écriture sont universels. Même « print », la langue doit développer des preuves et des arguments, déployer des images. Même « print », elle doit être claire, interpeller l’autre, créer du rythme, porter des verbes d’action. Fort de 19 études de tendances en langage, l’Institut de la Qualité de l’Expression tient plus que jamais à souligner un incontournable prérequis : l’entreprise doit s’exprimer dans une langue qui lui correspond. S’adapter aux lieux d’expression et à ses publics, à ses personas, ce n’est pas se renier. Print et web doivent créer une cohérence dans l’esprit du consommateur. L’un ne tuera pas l’autre, ils sont complémentaires : l’entreprise n’a jamais eu autant d’opportunités de contact avec le public, c’est tant mieux. A condition qu’elle possède une personnalité sémantique, une stratégie éditoriale et qu’elle forme ses collaborateurs au langage ! L’entreprise peut désormais utiliser le langage comme outil d’efficacité.

Les critères de ce baromètre sont-ils applicables dans chaque entreprise ?

Jeanne Bordeau : Un baromètre de mesure de la qualité du langage digital est un outil interne d’auto-application et évaluation à l’usage des webmasters, des équipes de l’éditorial web et de la relation client : mon texte est-il, sur le fond et la forme, en cohérence avec les principes d’expression de mon entreprise ? Se relie-t-il à mes publics ? Nous avons présenté les 5 premiers critères. Ceux-ci fondent une grille de lecture commune, transversale, partagée. Mais les cinq autres critères doivent être conçus en lien avec le secteur et la culture de l’entreprise, avec son identité, ses objectifs, ses valeurs. Comme elle possède sa propre culture, chaque entreprise possède son propre baromètre. On ne parle pas de la même manière lorsque l’on vend de l’électricité ou des médicaments. Le client d’une entreprise BtoB n’est pas celui d’une entreprise grand public.

Notre tout premier baromètre a été conçu pour le Groupe La Poste en 1998. Depuis, l’Institut a conçu des dizaines de baromètres. Ils sont à chaque fois différents. Alors que les écrivains de la marque se démultiplient, dans des entreprises apprenantes, un baromètre est une boussole, un outil garant de la qualité et de la cohérence du langage dans l’entreprise.



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