Note de lecture : Journal intime d’un banquier d’Hugues Le Bret

A peine le procès Kerviel s’était-il refermé que la Société Générale a dû affronter quasi concomitamment un inattendu pavé dans la mare sous la forme d’un livre choc de son ancien directeur de la communication, Hugues Le Bret. Dans un exhaustif carnet de bord, il narre dans les moindres recoins les circonstances de la découverte de la fraude commise par le trader déchu et les épreuves que l’état-major de la banque va ensuite traverser dans les semaines qui suivent. Un témoignage inédit, parfois subjectif mais toujours instructif. Un livre que tout professionnel de la communication devrait lire comme un cas d’étude transposable à n’importe quel secteur d’activité.

En plus de fournir une hallucinante plongée au cœur du réacteur bancaire de la Société Générale, l’ouvrage d’Hugues Le Bret constitue en effet un enrichissant regard d’un directeur de la communication confronté à une crise aussi violente qu’inattendue et aux répercussions potentielles dramatiques pour le système financier mondial. A cet égard, le livre fournit un bien meilleur cas d’étude de communication de crise que n’importe lequel des manuels et précis universitaires qui glosent sur le sujet sans jamais vraiment l’avoir touché du doigt.

Ce que j’ai aimé

Le livre se dévore d’abord comme un thriller financier. Dès la première page, le lecteur est happé par la plume de l’auteur qui déroule un incroyable scénario où les zéros valsent dans un étourdissant Tchernobyl bancaire. Rien que pour le côté « romanesque », le récit mérite d’être lu tellement le suspense, les rebondissements, les coups fourrés abondent et relancent la mécanique narrative sans aucun temps mort.

Une plongée vertigineuse dans les coulisses du monde du trading bancaire

Cependant, le grand intérêt de ce livre réside également dans la multiplicité des niveaux de lecture qu’il offre. Au-delà du « fait divers » hitchcockien, l’histoire que raconte Hugues Le Bret offre en plus une passionnante description des jeux de pouvoir et des engrenages politiques qui s’exercent au plus haut niveau de l’entreprise. En marge des stratégies entrepreneuriales, le livre montre sans fard les mesquines ouvertures de parapluie et les sordides petits calculs de certains acteurs. A cet égard, l’ex-numéro 2 de la Société Générale, Philippe Citerne, ne sort guère grandi. A plusieurs reprises, il apparaît comme un personnage ambivalent, s’empêtrant dans des manœuvres dilatoires tout en tentant vainement de tirer son épingle du jeu et de faire vaciller Daniel Bouton, le PDG de l’époque.

Le livre offre ensuite un miroir du monde impitoyable et presque darwinien des affaires surtout lorsque celles-ci sont suivies de près par le pouvoir politique. Hugues Le Bret ne se prive pas de raconter la rancune vindicative avec laquelle Nicolas Sarkozy n’a cessé de poursuivre Daniel Bouton et son état-major, vexé qu’il était de n’avoir pas été aussitôt mis dans la confidence lorsque l’affaire Kerviel a explosé. De même, l’auteur dévoile les tentatives souterraines de déstabilisation nourries par le grand et éternel rival, BNP Paribas. Il explique notamment comment Christophe Reille, le premier conseiller communication de Jérôme Kerviel, était un « spin doctor » plus ou moins téléguidé par le réseau adverse où s’entrecroisent d’éminents banquiers, d’influents communicants et d’anciens ministres.

Enfin d’un point de vue purement professionnel, le livre fait forcément écho aux situations les plus communément rencontrées par les directeurs de la communication en situation de crise. A ce titre, il constitue un cas d’école ultra instructif. Outre une description précise des tactiques communicantes qu’il a mises en place pour essayer d’atténuer l’onde de choc médiatico-politique, Hugues Le Bret reflète bien le paradoxal dénuement du dircom soudainement confronté à l’agglutinement des questions pressantes et la pénurie des réponses immédiates à l’instar d’un pompier qui serait seulement muni d’un seau pour éteindre un incendie de forêt.

De même, il rend bien compte de cette schizophrénie quasiment ingérable entre le nécessaire temps de la compréhension et de l’investigation en interne et l’exigence instantanée d’explications de l’externe, journalistes et opinion publique en tête. Il évoque même la duperie de quelques journalistes prêts à tout pour décrocher un scoop. Jean-Pierre Elkabbach n’hésite ainsi pas à piétiner et trahir des années de relations de confiance avec Hugues Le Bret pour s’offrir un coup médiatique à peu de frais.

L’auteur n’oublie pas non plus de mentionner les difficultés des salariés, en particulier les chargés de clientèle et les guichetiers des agences qui se font carrément agresser et insulter par des clients mécontents et inquiets de voir leurs économies potentiellement évaporées. Au final, le livre est d’une grande valeur testimoniale qui assume de surcroît pleinement et honnêtement sa possible subjectivité. Hugues Le Bret n’a d’ailleurs de cesse de le redire : « Cet ouvrage est une affaire personnelle ».

Ce que j’ai moins aimé

Le livre s’égare parfois dans des digressions un peu trop techniques pour un lecteur non-initié (comme moi !) aux arcanes de la spéculation boursière même si l’on sent clairement l’intention louable de l’auteur de vulgariser et rendre le plus accessible possible le monde tellement immatériel et mathématique de la finance mondiale.

Hugues Le Bret tient une rigoureuse chronique des événements mais manque parfois d’un peu d’empathie

A certains moments, l’ouvrage aurait également gagné à s’affranchir un peu plus d’un style pète-sec qui frôle le chirurgical compte-rendu de gendarmerie. C’est notamment vrai lors des passages où les personnages fendent un peu l’armure pour dévoiler leurs faiblesses, leurs angoisses, le stress qui les étreint à n’en plus pouvoir. La chronique des événements est certes rigoureuse mais pêche quelquefois d’un manque d’humanité. A moins que l’univers bancaire ne soit réellement empreint de cette froideur en toutes circonstances, y compris lorsque le n°1 de la banque est assommé par les anxiolytiques.

J’aurais enfin aimé voir l’auteur développer une réflexion un poil plus critique sur le déni arrogant du monde bancaire et cette spirale spéculative gloutonne qui l’habite dans certains de ses métiers. Cà et là, on sent bien poindre quelques allusions mordantes et quelques remises en cause salutaires, notamment dans l’introduction de l’ouvrage.

Néanmoins, la conclusion laisse un léger goût d’inachevé. Au final, elle impute grandement les responsabilités des dérives aux « cygnes noirs », ces « rogue traders » dont Jérôme Kerviel est une émanation, et aux décisionnaires politiques qui ont, aux yeux d’Hugues Le Bret, abusivement cogné sur la Société Générale au lieu de s’efforcer de calmer le jeu et d’éviter de plus grands périls. Même si l’auteur écrit qu’ « il faut sûrement penser à un monde différent, plus juste, à une autre organisation de la finance », on aurait aimé voir s’esquisser des pistes et des suggestions plus étayées de la part d’un témoin qui connaît par cœur la mécanique bancaire.

Le passage à ne pas rater

Le livre d’Hugues Le Bret fourmille tellement d’anecdotes prises sur le vif qu’il est malaisé d’en extraire l’une plutôt que l’autre. Pour ma part, j’ai sélectionné deux passages qui rendent bien compte de la versatilité de certains acteurs lorsqu’une crise éclate et fait tanguer une entreprise. Mon premier choix porte sur l’interview qu’ont acceptée Daniel Bouton, PDG de la Société Générale et Hugues Le Bret, directeur de la communication. Ce dernier a finalement accepté la proposition de Jean-Pierre Elkabbach de venir enregistrer dans les studios d’Europe 1 (page 174) :

« Elkabbach ne nous dit pas qu’il a un autre invité le lendemain matin, après l’enregistrement de Daniel. Il a invité l’avocat de Kerviel dans la foulée, qui va détruire tous les arguments de la banque en réponse. Si j’avais su, je n’aurais jamais donné mon feu vert et il le sait. Je lui ai accordé l’exclusivité et il me trompe. Il ne laisse même pas une minute d’impact à Daniel le lendemain. Il a négocié avec la partie adverse en même temps qu’avec moi. Il ne m’a rien dit. Je suis trahi et humilié. C’est la première fois que cela m’arrive. Le constat est très clair : à ses yeux, Daniel Bouton et moi sommes déjà morts. Il peut nous tromper car nous allons disparaître de son paysage, celui des puissants, de ceux que l’on invite, avec qui l’on négocie, que l’on sollicite au micro. Cela me fait mal »

Le second passage choisi est emblématique de la pusillanimité des politiques. Prêts à abattre un acteur si leur propre intérêt le dicte, ils peuvent aussi opérer une reculade à 180° pour peu que l’on parvienne à les dissuader ou à les affoler. C’est précisément le coup de poker qu’ a opéré Hugues Le Bret en intimidant un « visiteur du soir » de l’Elysée (NDLR : s’agirait-il d’Alain Minc ?). A ce dernier, il indique qu’il mobilisera les 160 000 collaborateurs de la Société Générale si l’Elysée ne bloque pas le projet de rapprochement de la banque avec BNP Paribas (page 235) :

« Si Bercy, Matignon et l’Elysée reçoivent chacun quelques centaines de lettres, cela les fera réfléchir à deux fois : le précédent de 2006 sur la réforme des services locaux des douanes avait été un cas d’école. J’ai toujours été surpris de la sensibilité des dirigeants face à quelques courriers. A partir d’un certain nombre, ils considèrent que le phénomène est massif et que toute la France s’en émeut. Ce nombre est compris entre 500 et 1000. C’est assez facile à coordonner, ne serait-ce qu’avec les familles et amis de quelques salariés. Cette stratégie « France d’en bas » est sommaire, mais elle peut être redoutablement efficace et contrebalancer un lobbying « France d’en haut » où Michel Pébereau risque d’exceller »

En complément

Deux autres blogs ont également lu et chroniqué le livre d’Hugues Le Bret. Les commentaires y sont nettement plus critiques. Ils estiment que l’ex-dircom se fait mousser et absous un peu trop facilement son ancien employeur. Bien que je ne partage pas vraiment leurs avis respectifs et les trouvent même injustes, ceux-ci peuvent toutefois éclairer sous un autre jour « Journal intime d’un banquier » :

– Lire le blog « La plume d’Aliocha » – « Hugues Le Bret peut dire merci à ses potes journalistes » – 12 octobre 2010
– Lire le blog de Flore Vasseur – « Le cri d’amour d’Hugues Le Bret » – 19 octobre 2010

Pour en savoir plus sur l’auteur, on peut se référer aux éléments suivants :

– Biographie express d’Hugues Le Bret
– Interview donnée à Bruno Abescat – « J’étais dans le cockpit de la Société générale au moment de l’affaire Kerviel » – L’Express.fr – 5 octobre 2010
– Interview par Raphaël Kahane – France 24 (voir ci-dessous)

Sur l’affaire Kerviel/Société Générale, on peut également relire les billets du Blog du Communicant 2.0 :

– « Exclusif : la conseillère com’ de Jérôme Kerviel décrypte sa stratégie média » – 7 juin 2010
– « Kerviel contre Société Générale : agios éternels ou erreur de la banque ? » – 17 octobre 2010

Le pitch de l’éditeur

« Journal intime d’un banquier – La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial », Hugues Le Bret, Editions Les Arènes, 333 pages, 19,80 €.

« Cet ouvrage est une affaire personnelle. Je n’ai demandé la permission à personne avant de le publier. Je n’aurais pas pu laisser l’histoire se terminer sans y apporter ma contribution. » – Hugues Le Bret

À l’époque de l’affaire Kerviel, Hugues Le Bret était l’un des adjoints de Daniel Bouton, le P.-D.G. de la Société Générale. Le livre commence le dimanche 20 janvier 2008 quand un gouffre s’ouvre sous les pieds des dirigeants de la Générale. Ils apprennent qu’un jeune trader a engagé la signature de la banque pour 50 milliards d’euros. Si l’information « fuite », ce sera la panique. Le système financier mondial peut s’écrouler en quelques heures.

L’auteur ne cache rien de la violence des émotions éprouvées. Les caractères se révèlent, les dialogues fusent. Daniel Bouton, Christine Lagarde, Michel Pébereau ( président de BNP Paribas ), Nicolas Sarkozy… Jamais cet éclairage n’avait été donné. Pendant des mois, les grands fauves de la politique et de la banque se déchirent.
Certains dirigeants craquent sous la pression, mais la banque sera sauvée.

C’est le livre d’un banquier au cœur de l’action et non une enquête de journaliste ou un précis d’économiste. Il se lit d’une traite. Il sonne juste, comme une histoire folle où tout est vrai, hélas. Hugues Le Bret, 46 ans, était le P.-D.G. de Boursorama, le n° 1 de la banque en ligne.



4 commentaires sur “Note de lecture : Journal intime d’un banquier d’Hugues Le Bret

  1. boursomax  - 

    Apres avoir lu en quelques heures le livre, passionnant, de M Le Bret, on comprend mieux pourquoi l’ex-directeur a demissionne de son poste de Boursorama. Avec ce temoignage de celui qui etait dans le cockpit de l’appareil au moment ou les moteurs sont en feu, HLB nous fait rentrer dans l’envers du decor d’une communication de crise avec ses coups tordus (Christopthe Reille qui se passionne gratuitement pour le cas Kerviel), la desolidarisation au niveau de la direction (Philippe Citerne), les portraits peu flatteur mais authentiques de Daniel Bouton, de Claude Bebear, Michel Pebereau et surtout une copieuse couche sur l’irresponsabilite de Nicolas Sarkozy. Celui ci, pique au vif de ne pas avoir ete consulte dans les premiers jours de la decouverte de la fraude massive, ne pardonnera pas a Daniel Bouton ce crime de lese majeste (le gouverneur de la Banque de France et l’AMF ont ete prevenus pour eviter le risque systemique). Il n’aura de cesse de reclamer sa tete alors que celui ci se debat au detriment de sa sante pour sauver la banque qu il a forge.Parallelement a la vidicte du President Sarkozy le seul a faire figure d’homme responsable et mesure est… Francois Fillon qui pense avant tout a eteindre l’incendie mediatique et a assurer la continuite de l’activite de la SG.

    Le Bret ne masque pas sa colere contre Jerome Kerviel qui parle de milliards comme s’il jouait sur sa Game Boy.
    Il a mis en peril le job de 160 000 employes et au moment de passe aux aveux, le trader est tout sauf cooperatif.
    De quoi ternir l’image de nouvel heros que certains ont bien voulu lui donner.

    En resume un temoignage essentiel sur cette formidable affaire qui, a n’en pas douter, sera tot ou tard porte a l’ecran. Alors qui dans le role du mechant Jerome?

    http://www.boursomax.com/Pourquoi-Hugues-Le-Bret-quitte-Boursorama_a546.html

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