L’outrance peut-elle être une stratégie de communication politique viable ?

Les bisbilles fleuries et les dérapages verbaux ont toujours émaillé les débats politiques en France. En revanche, ces dernières semaines ont vu un seuil alarmant être franchi. Désormais, l’outrance et la caricature sont devenues le modus operandi des politiciens de droite comme de gauche. N’importe quelle opportunité est bonne pour donner de la voix, biaiser la réalité, injurier si besoin et tenter d’exister au détriment de l’autre. Au risque non-négligeable de servir la communication des extrêmes qui n’en demandent pas tant.

Certes, le climat délétère n’aide guère à la sérénité des esprits. Courbe obstinément haussière du chômage, floraison obsessionnelle de taxes en tout genre, matraquage fiscal des petites entreprises, coups de boutoir à répétition sur l’euro et creusement inexorable du fossé entre riches et pauvres, tout cela ne concourt guère à des visions politiques de lendemains enchanteurs. Il y a quasiment un an, Nicolas Sarkozy avait été tenu pour comptable de la déliquescence et du désespoir dans lesquels s’enfonce le pays. Dix mois plus tard, son successeur cristallise tout autant (sinon plus) un rejet diffus mais virulent où s’expriment pêle-mêle crispations militantes, déceptions électorales et attentes irréalistes. La solution réside-t-elle dans l’outrance des discours ?

Dans la grande lessiveuse des réseaux sociaux

François Hollande, cible favorite aujourd’hui sur le Web 2.0

Lorsque Nicolas Sarkozy était au pouvoir, nombreux étaient ceux qui abominaient et suspectaient les réseaux sociaux d’être le repère de sales gauchistes toujours prompts à étriller l’action et les déclarations du chef du gouvernement.

De fait, force est de reconnaître que la blogosphère hexagonale a longtemps mitraillé sans vergogne sur ce Président qui avait l’art de susciter les passions les plus vives dans un sens comme dans l’autre. Le « Sarko bashing » digital fut loin d’être un épiphénomène au point même de consacrer des blogs à la pointe du combat comme  celui de Juan SarkoFrance. Du 6 mai 2007 au 15 juin 2012, ce blogueur militant invétéré a cogné de tout son saoul sur le chef de l’Etat.

Les médias sociaux n’ont certes pas fait seuls basculer Nicolas Sarkozy dans la défaite mais ils ont incontestablement fourni une chambre d’écho de poids où les critiques perfides n’en finissaient pas de rebondir sur la Toile, dans les médias classiques et au final au sein de l’opinion publique. Le temps où  pour maugréer, le citoyen n’avait que son bulletin de vote et le zinc du comptoir de son café préféré, est bien révolu. Aujourd’hui, l’expression est libérée et l’action politique commentée ou plutôt hachée menu tant le discrédit des décideurs politiques est avéré. La dernière livraison du baromètre annuel Edelman Trust a encore confirmé que les politiciens n’étaient guère plus crédibles. Ainsi, seulement 15% pensent qu’ils peuvent encore résoudre les problèmes sociétaux, 14% faire preuve de décisions éthiques et 13% capables de dire la vérité même si elle est complexe ou impopulaire.

Le Web 2.0 est à cet égard le parfait reflet de cette défiance béante qui abomine sans barguigner les dirigeants politiques. Nicolas Sarkozy parti, c’est désormais François Hollande qui fait office de punching-ball numérique. Dans la blogosphère, les contempteurs ne sont plus les mêmes. Ils proviennent désormais en majorité de la droite dure, de l’extrême-droite, des catholiques traditionnalistes mais aussi de l’aile gauche radicale encore dans l’illusion sauvage du Grand Soir. « Sarkoléon » courant maintenant les colloques internationaux tout en entretenant la flamme d’un potentiel retour, c’est désormais la tête d’« Hollandouille 1er » qui encaisse les banderilles les plus excessives et acerbes. Il suffit de faire un rapide tour sur Facebook et Twitter pour mesurer la violence des propos tenus à l’égard du nouveau Président.

Un populisme qui déteint

Le populisme gagne tous les partis (dessin Bloem)

Ce populisme ravageur, amplifié par les réseaux sociaux, a malheureusement pour conséquence d’inspirer de plus en plus de responsables politiques. Dans un récent reportage du Monde, des élus UMP s’accordent à reconnaître que le climat s’est considérablement durci. Ainsi, Benoist Apparu remarque (1) « davantage de reproches et d’agressivité qui se traduit par une recherche de bouc émissaire : le chef d’entreprise, le banquier, l’étranger ou nous les politiques ». Son homologue, Gérald Darmanin, est à l’unisson (2) : « Il y a un rejet total de la gauche et pas d’adhésion à la droite ». Ce que résume autrement une troisième élue, Sophie Dion (3) : « On est passé de la déception à la consternation puis à l’exaspération ».

Confrontés à cette délicate équation brandie par leurs électeurs et concitoyens, les politiciens ont de plus en plus tendance à s’affranchir des lignes jaunes discursives pour garder un peu de consistance. Certes, les francs-tireurs au langage musclé et aux coups d’éclats provocateurs ont toujours existé. Par exemple, l’élu communiste Maxime Gremetz enrichissait régulièrement la rubrique « faits divers » de l’Assemblée nationale avec ses coups de sang intempestifs allant jusqu’à l’action physique contre ses opposants. Toutefois, ce qui constituait jusqu’à présent un « folklore » plutôt confiné aux extrêmes et autres hurluberlus, est en train de devenir une norme sémantique en pleine croissance dans tous les partis.

Christian Delporte, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin, constate le développement exponentiel de cette stratégie de communication qui consiste à dézinguer à tout va et asséner les arguments les plus massifs, quitte à sortir des clous du nécessaire mais respectueux débat république. Il explique cette propension par l’impuissance accrue des politiques face aux événements (4) : « Quand on est privé d’action, il ne reste plus que les mots. Et pour que les mots aient le maximum de puissance, il faut les hisser au plus haut niveau. Il y a aujourd’hui une certaine banalité de la polémique (…) quitte à verser dans l’injure ».

Le virus de l’outrance s’étend

Jean-Luc Mélenchon, parangon de l’outrance en politique (dessin Plantu)

L’actualité récente vient conforter cette analyse. Ainsi, le Front de Gauche n’a-t-il pas hésité à calomnier et formuler de sordides sous-entendus pour signifier son désaccord profond avec la politique économique défendue par le ministre des Finances, Pierre Moscovici. François Delapierre, secrétaire national du parti l’a carrément traité comme faisant « parti des 17 salopards de l’Eurogroupe » avant que l’incontournable Jean-Luc Mélenchon n’en rajoute une couche en soupçonnant le ministre d’être « quelqu’un qui ne pense plus en français mais dans la langue de la finance internationale ».

A droite, la dramatisation à outrance et l’emphase sans précaution sont également devenues des leviers volontiers actionnés pour signifier une irréductible opposition. Lors de l’annonce de la mise en examen de Nicolas Sarkozy par le juge Gentil dans l’affaire Bettancourt, Nadine Morano n’y est pas allé par quatre chemins en établissant un parallèle gonflé et abusif (5) : « Il y a eu l’affaire d’Outreau avec un juge d’instruction dépassé. Et là, nous avons l’affaire Sarkozy avec un magistrat engagé ». Et d’autres figures pourtant respectables d’embrayer aussitôt sur un ton victimaire qui ferait presque passer l’affaire Dreyfus pour une bluette de roman rose.

La dernière manifestation contre le mariage pour tous du 24 mars dernier à Paris a également mis en évidence un renversement de paradigme plutôt préoccupant. A mesure que le cortège s’ébrouait pour rejoindre la place de l’Etoile, les réseaux sociaux bruissaient de tous les faits et gestes survenant sur le parcours jusqu’aux fameux incidents entre les cordons policiers et les premiers rangs des manifestants. Il s’est alors fallu peu de temps pour que les smartphones crépitent, captent et diffusent sur la Toile, les images des accrochages parfois spectaculaires mais au final isolés par rapport au reste de l’événement. Cela a pourtant suffi pour que des politiques d’envergure comme Laurent Wauquiez et Jean-François Copé stigmatisent à corps et à cri en donnant aux faits des proportions de quasi guerre civile. Ceci sans même avoir été témoins directs des faits incriminés et imputés prestement au gouvernement. Et la gauche de répondre sur un ton du même acabit et peu enclin à faire redescendre la pression pourtant excessive.

Halte au feu de la caricature !

Envisager la communication politique autrement, y sur les réseaux sociaux

Peut-on décemment espérer que la tension irascible qui règne actuellement puisse redescendre d’un cran et revenir à un étiage plus acceptable ? La récente passe d’armes acrimonieuse entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo pour les municipales de 2014 à Paris ne laisse pourtant pas augurer d’un tel espoir. Pour Christophe Ginisty, expert en communication politique, cette tendance récurrente à verser dans l’outrance et l’attaque à tout va, trouve ses racines dans un problème majeur (6) : « Les hommes et les femmes politiques ont été submergés par la dictature de l’urgence. Ils ont abandonné leurs fonctions de guide et d’éclaireur pour celle de gestionnaire du quotidien et de notre intimité. L’émotion médiatique les a corrompus d’une certaine manière ».

Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de suivre les comptes Twitter de certaines figures de droite et de gauche. Qu’y trouve-t-on ? Souvent des vacheries, des moqueries ou des partages de commentaires fielleux quand ce ne sont pas des objurgations et des incantations à la « Reconquête » et « Résistance » si l’on est de droite ou à « l’Espoir «  et la « Confiance » si l’on se situe à gauche. A force d’empiler les formules moulées à la louche des spin doctors, il n’est donc guère étonnant que l’électorat se détourne vers d’autres qu’ils estiment (à tort ou à raison) être des alternatives potentielles. Or, continuer à frayer ainsi dans l’outrance relève de la stratégie de communication kamikaze.

Un collectif de jeunes élus UMP a justement tapé du poing sur la table en publiant une intéressante tribune exhortant leurs aînés à se ressaisir et à s’extirper des querelles de bas étage de militants aux œillères étanches. Ce dernier écrit notamment (7) : « Dérapages verbaux à l’extrême-gauche, poussée électorale de l’extrême droite, et face à ces phénomènes, des grands partis sur la défensive, comme paralysés par les outrances d’orateurs populistes, déboussolés par ce flou idéologique qui sait parfaitement flatter les peurs et les inquiétudes d’un pays traumatisé par la crise… Voici le triste constat de ces derniers jours, un constat auquel nous ne saurions nous résoudre ».

Il serait effectivement temps que les ténors politiques sachent se transcender en autre chose que des roquets aboyeurs et chiqueurs à la moindre occasion. Il serait temps qu’ils réalisent qu’il n’est pas obligatoire d’obéir à celui qui hurle le plus fort pour incarner la solution crédible. Est-ce une utopie que d’espérer un mode d’expression certes intransigeant mais débarrassé de son outrance militante. Comme Christophe Ginisty l’écrit fort bien (8) : « Il faut inventer de nouvelles formes d’expression, organiser l’agenda différemment, retrouver le sens du long terme, diversifier les canaux et renouveler les porte-paroles. C’est à ce prix que l’action politique retrouvera peut-être l’adhésion du public ». Dans le cas contraire, nous n’avons pas fini d’entendre des excités de tous bords infester médias et réseaux sociaux. Et faire le lit des extrémistes.

Sources

(1) – Hélène Bekmezian – « Des députés UMP sous pression » – Le Monde – 1er avril 2013
(2) – Ibid.
(3) – Ibid.
(4) – Jonathan Bouchet-Petersen – « Il faut parler toujours plus fort » – Libération – 26 mars 2013
(5) – Nicolas Domenach – « Attention, explosif ! » – Marianne – 30 mars 2013
(6) – Christophe Ginisty – « Pourquoi la communication politique est-elle plus compliquée que jamais » – Blog de Christophe Ginisty – 29 mars 2013
(7) – Aurore Bergé et Delphine Burkli – « Jusqu’à quand serons-nous tétanisés par les extrêmes ? » – Libération – 27 mars 2013
(8) – Christophe Ginisty – « Pourquoi la communication politique est-elle plus compliquée que jamais » – Blog de Christophe Ginisty – 29 mars 2013