Médias sociaux : piège à politiques ou martingale électorale ?

A l’heure où le fracas de la bataille électorale grimpe en intensité dans la perspectives des Présidentielles 2012, un fait est d’ores et déjà acquis. Les médias sociaux joueront un rôle crucial tant dans la campagne que dans l’instant fugace où chaque citoyen devra glisser son bulletin de vote dans l’urne. Il n’en demeure pas moins que les candidats à l’investiture et/ou au poste suprême entretiennent des rapports ambivalents avec les réseaux sociaux.

Tous rêvent de rééditer les coups numériques magistraux de Barack Obama lors de son élection en 2008 à la tête des Etats-Unis puis plus récemment, pour l’adoption en force de sa réforme de l’assurance maladie du pays. Mais paradoxe suprême, tous craignent plus ou moins les débordements que la démocratie digitale peut parfois engendrer à leurs dépens et se faire ensuite happer dans un buzz qui vire souvent au déchiquetage réputationnel. Du coup, tous les états-majors se triturent les méninges pour concocter la stratégie gagnante qui saura le mieux tirer parti des médias sociaux tout en évitant d’hypothéquer l’influence et l’image de leur champion sur la Toile. Revue des pratiques et des opportunités.

Un baromètre pour politicien numérique

Ce nouveau baromètre entend étalonner la présence et l’impact des principaux acteurs de la campagne électorale sur les médias sociaux

Signe des temps, l’agence de communication Image & Stratégie, vient de lancer ce mois-ci un outil destiné à suivre la campagne présidentielle sur le web. Baptisé le « Baromètre E-Réputation Présidentielles 2012 », il entend étalonner la présence et l’impact des principaux acteurs de la campagne électorale sur les médias sociaux confirmés comme Facebook, Twitter, Google+ et les plateformes de partage vidéo comme YouTube et DailyMotion. Au fil des semaines, l’agence livrera des billets d’analyse et de décryptage sur les tactiques des politiciens numériques en lice.

Sur le site de l’agence, son président Bruno Fuchs (par ailleurs ancien journaliste politique chevronné) explique les motifs qui l’ont conduit à assembler ce baromètre de la vie politique digitale (1) : « La présence des candidats sur Internet sera l’un des enjeux politiques de 2012. Plus que jamais, le web est le média de la prescription. Il sert la communication politique. On y devine les dynamiques électorales. Le nom des candidats, en premier lieu, sera l’objet d’une bataille : les recherches Google sur les candidats, les tweets publiés citant leurs noms ou encore les commentaires Facebook sont déjà étroitement scrutés. Bientôt, c’est toute l’opinion publique qui partira à la recherche aux informations, aux vidéos, aux « posts », sur les candidats pour se forger une opinion, lisant et commentant l’actualité immédiate ».

Avec l’avènement des réseaux sociaux, le pouls de la vie politique s’est incontestablement accéléré ces dernières années. Déjà en 2007, Nicolas Sarkozy avait été le premier à y effectuer une incursion remarquée et extrêmement ciselée avec son site NS.tv qui comptait par le menu toutes les interventions et les activités du candidat. Il était conscient que le Web constituait d’ores et déjà un levier d’influence critique pour la conquête du pouvoir présidentiel. Quatre ans plus tard, cette démarche novatrice à l’époque semble diablement obsolète tant la vie politique s’anime au gré des clics, des tweets et des vidéos postées illico par quiconque au sujet des politiciens.

Lien direct et exposition maximale

La phrase de Nicolas Sarkozy n’aurait jamais eu l’impact médiatique qu’ils ont connu sans l’effet turbo d’Internet et la vitesse de dissémination des vidéos parmi les internautes

Franck Louvrier, l’historique conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, est très clair sur le constat qui prévaut aujourd’hui pour toute personnalité politique (2) : « Il faut être pro-actif, en faire un atout plutôt que de le subir et ne jamais oublier qu’en 2012, le taux d’équipement des ménages en ordinateur sera équivalent à celui de la télévision aujourd’hui ». A cela, il faut également ajouter les infinies possibilités d’interaction qu’offre le nombre sans cesse croissant de smartphones et de tablettes connectées. Le communicant de l’Elysée en est convaincu (3) : « Les outils Internet et les réseaux sociaux prendront de plus en plus de place dans la communication : ils donnent un lien direct avec les Français, pour un coût minime ».

Si les médias sociaux ont effectivement procuré l’opportunité au quidam citoyen d’interpeler directement son élu et de lui poser des questions au vu et su de toute la blogosphère, ils ont aussi accentué l’exposition des hommes et femmes politiques de manière nettement plus aléatoire. La célèbre réplique du « Casse toi, pauv’ con » de Nicolas Sarkozy au salon de l’Agriculture ou les anathèmes cinglants de Ségolène Royal à l’encontre du corps enseignant n’auraient probablement jamais eu l’impact médiatique qu’ils ont connu sans l’effet turbo d’Internet et la vitesse de dissémination des vidéos parmi les internautes. Sans perdre de vue de surcroît que ces « traces » numériques sont définitivement gravées dans la Toile !

Aujourd’hui, on ne compte plus les bourdes, les lapsus et les déclarations hâtives qui circulent sur le Web à la moindre étincelle. Les conversations les plus privées peuvent se retrouver sur le devant de la scène digitale en moins que temps que les protagonistes ne peuvent l’imaginer. Michel Bettan, qui fut conseiller de l’actuel ministre de la Santé, Xavier Bertrand, confirme le phénomène (4) : « On est sur un événement, vingt minutes plus tard, vous constatez sur votre iPhone que les photos sont déjà sur la Toile ». Et malheur à ceux qui s’empressent de contester la véracité ou de dégainer le gourdin judiciaire pour tenter d’effacer la boulette ou le « off » devenu soudainement « on » ! Lorsque Nadine Morano a assigné en justice une internaute qui s’était amusé à la traiter de menteuse, la Toile s’est enflammé de commentaires indignés et a donné une chambre d’écho à la vidéo polémique, une publicité qu’elle n’aurait sans doute jamais acquise si la ministre n’avait pas réagi de manière si véhémente.

Loin des yeux, loin du Web ?

Nathalie Kosciusko-Morizet est une des rares politiques à avoir pleinement adopté les médias sociaux

Face à cette capillarité galopante d’Internet, la tentation pour nombre de figures politiques pourrait être celle du repli à l’égard du Web pour privilégier les bonnes vieilles recettes où l’on tracte à tour de bras et l’on arpente les marchés et les brocantes pour convaincre l’électeur. Pour Jérôme Delaveau, président de Human to Human, une agence de veille sur Internet, cette approche est dépassée. La Toile n’est plus une option mais une obligation (5) : « Si des personnalités comme Nathalie Kosciusko-Morizet et Benoît Hamon ont totalement intégré le ton adapté à ces médias, elles font encore figure d’exception ». Or, la seule façon d’exercer un impact consiste à ses yeux à être « audacieux, spontané, libre dans ses propos ».

Au lieu de continuer à cultiver l’antique prédilection pour les reportages-photos en famille et au petit déjeuner complaisamment étalés sur des magazines de papier glacé, les politiques ont en effet une opportunité unique de « tomber le masque », d’être véritablement eux-mêmes et d’humaniser leur réputation médiatique souvent décalée, exagérée ou réductrice. Il ne s’agit pas pour autant de déballer ostensiblement sa vie privée ou de tenir un véritable carnet de bord de son existence. Il s’agit uniquement de laisser entrer l’émotionnel sincère et savoir s’affranchir des discours calibrées et des interventions millimétrées qui dupent de moins en moins les gens et dont le « Petit Journal » de Yann Barthes sur Canal + prend un malin et ironique plaisir à décortiquer les figures convenues et les platitudes cosmétiques.

Au Canada, le Premier Ministre Stephen Harper n’a pas hésité à franchir le Rubicon numérique des médias sociaux. Il s’est ouvert un profil Google+ dans lequel il partage sa passion des chats, clichés à l’appui. Ce qui pourrait apparaître comme une lubie un peu décalée a pourtant suscité une avalanche de commentaires plutôt enthousiastes et empathiques et même l’attention des médias pour cette démarche encore peu commune parmi les puissants de ce monde. Dans un registre similaire, l’épouse de l’ancien Premier Ministre britannique Gordon Brown, a ouvert un fil Twitter. Objectif : donner une image moins techno-rigide de son mari et plus proche des gens. Pari réussi puisqu’aujourd’hui, son compte accueille plus de 1,1 millions d’abonnés ! A condition que cela soit effectué de manière authentique, cette approche peut permettre d’accroître l’engagement de ceux qui s’intéressent aux activités et aux idées d’un(e) politicien(ne).

Recréer du lien et du dialogue

Pour la nouvelle constitution, le gouvernement islandais a préféré recourir aux médias sociaux plutôt qu’à un classique référendum pour faire adopter le futur texte par les concitoyens (photo Brynjar Gauti – AP)

Personne ne le niera. Les hommes et femmes politiques sont la plupart du temps objet de suspicion et/ou de risée de la part de leurs concitoyens trop souvent désenchantés par les scandales et les tripatouillages à répétition que les médias égrènent au fil des semaines. Les médias sociaux ne résoudront évidemment pas à eux seuls ce désamour flagrant. En revanche, ils peuvent largement contribuer à esquisser une autre forme de relation entre les décideurs politiques et leurs administrés. George Yeo, ministre des Affaires étrangères de Singapour, milite fermement pour ce dialogue numérique (6) : « Les médias sociaux me permettent de partager ce que je fais avec l’homme de la rue, de dire qui je rencontre, les dossiers que je gère et les endroits où je me rends. Un ami m’a même dit qu’il se sentait comme un oiseau dans ma poche accompagnant et observant ce qui se passe ».

La possibilité de tisser durablement un lien avec les citoyens est de toute évidence un atout. En plus de s’humaniser auprès de ceux qui suivent un profil, c’est également l’occasion de développer sa vision politique, de donner du sens et de la perspective à son action mais également d’entendre les réactions, d’ajuster si nécessaire ou au contraire de s’emparer de nouvelles idées. Ce n’est ni plus ni moins que la renaissance de l’agora de l’Antiquité grecque où chacun venait débattre publiquement des sujets de la cité d’Athènes.

En Australie, le gouvernement de la région de Canberra a fait le choix en juillet 2011 d’ouvrir une telle place publique sur la Toile à travers un fil Twitter où les habitants peuvent s’engager dans un « cabinet virtuel » participatif et poser des questions aux élus, lesquels leur répondent dans la foulée. Devant le succès enregistré par cette première, le gouvernement local songe désormais à répéter l’expérience lors de prochains dossiers majeurs.

En Islande, le gouvernement national est allé encore un cran plus loin dans la démocratie digitale. Dans le cadre de la préparation de la nouvelle constitution devant régir le pays, il a préféré recourir aux médias sociaux plutôt qu’à un classique référendum pour faire adopter le futur texte par les concitoyens. C’est ainsi qu’en avril 2011, les ébauches des textes constitutionnels ont été mis en ligne sur le site et la page Facebook du Conseil constitutionnel afin que les Islandais y déposent ensuite leurs commentaires et leurs remarques. Quant aux réunions de travail, celles-ci étaient retransmises en direct via un flux vidéo sur Internet. La future constitution a désormais considérablement avancée et devrait maintenant être ratifiée avec un référendum national fin 2011.

Vivez activement les élections présidentielles de 2012 … ou nettoyez vos rues !

Une chaîne YouTube pour interpeler directement les candidats aux Présidentielles 2012

C’est dans le même ordre d’idée qu’en France, YouTube, l’Agence France Presse, le Centre de Formation des Journalistes et Twitter se sont associés en mai dernier pour concevoir une chaîne vidéo en ligne autour de la campagne présidentielle de 2012. Sur cette chaîne spéciale, les internautes peuvent se familiariser avec les différents candidats à l’élection mais également les interroger durant toute la campagne présidentielle.

La chaîne s’articule autour de trois modules. Dans le premier module, les internautes peuvent poser des questions à des personnalités politiques qui sont interviewées toutes les deux semaines. Celles-ci sont soumises à la communauté qui peut voter grâce à l’outil Modérateur de Google. Les questions les plus populaires sont ensuite reprises par les étudiants du CFJ dans leur interview des hommes politiques.

Les internautes peuvent découvrir également un carrousel rassemblant les vidéos des chaînes des partis politiques ainsi que de plusieurs chaînes d’information partenaires de YouTube – dont BFM TV, France 24, l’AFP et Euronews. Ce deuxième module offre aux internautes une information riche et diversifiée sur un espace dédié. Enfin, un dernier module fournit des données statistiques tirées de l’outil Google Insights For Search analysant les requêtes tapées sur Google et rendant compte de la popularité des personnalités candidates auprès des internautes.

Ce type de dispositif n’est pas toutefois l’apanage exclusif des échéances électorales. Il peut également convenir pour des choses relevant du quotidien et de la vie de la commune. Au Royaume-Uni, le conseil du district londonien de Lewisham a lancé une initiative très originale pour mobiliser les citoyens autour de la propreté des rues. Ces derniers peuvent télécharger une application sur leur smartphone et signaler des détritus, des graffitis, des dégradations ou des encombrants dans une rue sur le site Lovecleanstreet.org. La requête (qui peut être accompagnée d’une photo !) est alors automatiquement envoyée au conseil pour que le problème soit résolu dans les jours qui suivent.

Conclusion

Ces quelques exemples suffisent à démontrer le pouvoir d’influence et d’engagement que recèlent indéniablement les médias sociaux. Les décideurs politiques qui sauront se mouvoir habilement et avec une vraie spontanéité seront probablement les vainqueurs de la nouvelle ère conversationnelle qui s’ouvre et qui va s’accentuer à l’orée des élections présidentielles de 2012. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas l’outil en soi qui transformera la capacité à mobiliser un corps électoral autour d’un nom mais plutôt la consistance du projet politique porté et l’aptitude à dialoguer avec les citoyens. Dans une France où les élites sont de plus en plus coupées des réalités intrinsèques du pays, les médias sociaux peuvent alors constituer un recours très appréciable pour enrayer ce fossé sans cesse grandissant et que les extrêmes se plaisent à creuser inlassablement à travers des antiennes populistes et simplistes.

Je tiens à remercier ma collègue de Google UK, Lynette Webb (Senior Manager, Speechwriting & Research)  pour les exemples d’usage de médias sociaux par les politiques étrangers. Vous pouvez la suivre sur Google + à l’adresse suivante : https://plus.google.com/106615548454096392167/

Pour en savoir plus

– Revoir sur Internet la conférence du Press Club de France qui s’este tenu le 13 septembre à 18h45 sur le thème « Quel sera le poids d’Internet dans la campagne à venir en France ? ». Franck Perrier, fondateur d’Idaos et de Digital Academy, spécialiste d’Internet et des médias sociaux, analysera le rôle du web dans la victoire d’Obama en 2008 et sa stratégie pour 2012. Il fera aussi un point sur les candidats français dans leur utilisation du digital. Pour assister au débat, cliquer sur le lien suivant : http://weboconference.com/fr/pressclub1309.htm

– Suivez le classement Web des élus politiques réalisé par le site Elus 2.0.fr

– Découvrez la cartographie mondiale des décideurs politiques qui tweetent le plus que L’Express.fr a publiée le 6 septembre 2011

Sources

(1) – Bruno Fuchs, Président Directeur Général d’Image & Stratégie – « Pourquoi ce baromètre ? » – (2) – Cécile Cornudet – « 64 millions de cameramen, et eux, et eux, et eux » – Les Echos – 26 octobre 2009
(3) – Ibid.
(4) – Ibid.
(5) – Ibid.
(6) – Lynette Webb – « Interesting Snippets »