Lance Armstrong : la fin d’un storytelling abusif et c’est tant mieux !

Pendant des années, Lance Armstrong a bâti un storytelling épique où de rescapé in extremis du cancer, il est devenu l’indétrônable Maillot Jaune du Tour de France pour 7 ans d’affilée. De cette résurrection toute-puissante, le cycliste américain en a conçu une stratégie de réputation au service de son mythe et de ses affaires. Aujourd’hui, le roi est nu et c’est tant mieux.

Lui qui avait coutume de balayer d’un revers de main méprisant toute critique ou suspicion de dopage à son égard, vient pour la première fois de mettre un pied à terre. Ce n’est certes pas encore un aveu de la part du miraculé du cyclisme mais le champion américain change de braquet. Il annonce désormais renoncer à la bataille judiciaire entamée contre l’agence américaine antidopage (USADA) le soupçonnant de tricherie et de pratiques dopantes. Conséquence : l’extra-terrestre du vélo pourrait être déchu de ses sept victoires enregistrées sur la Grande Boucle entre 1999 et 2005.

C’est l’histoire d’un petit Américain teigneux et mordu de vélo

Armstrong à ses débuts de jeune coureur déjà ambitieux

De Lance Armstrong, chacun a en mémoire son insolente domination sans partage sur le Tour de France après avoir triomphé d’un cancer des testicules où les pronostics médicaux étaient pourtant initialement très sombres quant à ses chances de survie. C’est un peu vite oublier qu’avant d’endosser l’image de coureur invincible de la Grande Boucle, Lance Armstrong n’était qu’un coureur cycliste sans carrure particulière mais qui s’adonnait sans restriction à sa passion pour fuir un milieu familial plutôt délétère (son beau-père le frappait) et devenir un champion hors classe.

C’est en 1992 qu’il débarque dans les pelotons européens pour se frotter aux meilleurs du Vieux Continent. Le jeune Texan possède un bon coup de pédale et un tropisme certain pour les échappées fulgurantes et les chevauchées au long cours. Un an plus tard, il chipe même le titre de champion du monde los d’une course à Oslo au nez et à la barbe du leader espagnol de l’époque, Miguel Indurain. Fort logiquement, il s’aligne alors sur le Tour de France en 1995 pour s’étalonner et afficher ses ambitions. Il remporte une étape dans un contexte douloureux. Deux jours auparavant, son coéquipier et ami Fabio Casartelli s’est tué dans une chute en pleine descente d’une étape montagnarde. L’image de Lance Armstrong franchissant la ligne d’arrivée le doigt pointé vers le ciel en hommage à son pote disparu, créé la sensation médiatique.

Néanmoins, côté palmarès, Lance Armstrong n’a pour l’heure rien d’un requin vorace. Il glane certes quelques beaux titres sur les courses d’un jour mais apparaît moins fringant dans les courses à étapes en dépit de jolis coups d’éclat sporadiques, notamment dans les épreuves de montagne. En 1995, il termine son premier Tour de France à une honorable 36ème place. Pas un souci pour le microcosme médiatique qui s’emballe d’autant plus pour ce jeune coureur teigneux qu’il doit alors mettre entre parenthèses sa carrière dès l’année suivante, à cause d’un très grave cancer.

Le Phénix se remet en selle et fonde son mythe

Toute l’image d’Armstrong va désormais se fonder autour de sa fondation

Après un lourd traitement chimio-thérapeutique et une convalescence menée au pas de charge, Lance Armstrong remonte en selle en 1998. Il signe un contrat avec l’équipe phare US Postal et surtout lance sa célèbre fondation éponyme. Celle-ci va désormais constituer la pierre angulaire de l’image de champion ressuscité des enfers du cancer et devenu plus fort que jamais. Avec un slogan qui affiche d’emblée le mythe qu’Armstrong entend cultiver (« unity is strength, knowledge is power and attitude is everything»), la fondation entend « inspirer et rendre plus fort » tous les maladies affrontant le cancer tout en récoltant des fonds pour accélérer la recherche.

Le succès est très vite au rendez-vous d’autant que l’histoire personnelle de Lance Armstrong est digne des résurrections humaines dont raffole le storytelling à l’américaine. Un mythe que le cycliste peaufine avec une attention extrême en publiant notamment deux ouvrages en 2000 (« Il n’y a pas que le vélo dans la vie ») et en 2003Chaque seconde compte »). Dans ces deux opus, Lance Armstrong fend l’armure avec dextérité et fait résonner la corde sensible. Il conte notamment son combat contre la maladie, sa volonté farouche de revenir à la compétition avec l’aide de ses quelques amis restés proches et sa famille. Il y écrit même : « Le cancer est la meilleure chose qui me soit arrivée. Cette maladie a opéré des merveilles, et pour rien au monde je ne voudrais avoir été épargné ». Tous les ingrédients sont réunis pour alimenter la légende hors du commun que se construit Armstrong sportivement et médiatiquement.

La recette fonctionne à merveille. Adulé et admiré, Lance Armstrong croule sous les sollicitations. En 2004, sa fondation reçoit le soutien du ticket démocrate John Kerry-John Edwards, candidats à la présidence des Etats-Unis, ainsi que l’appui de nombreux athlètes engagés aux Jeux Olympiques d’Athènes. La même année, la fondation s’associe avec Nike pour vendre des bracelets jaunes en silicone et estampillés « Live Strong » dont les fonds récoltés serviront à financer la démarche caritative du champion et assurer le prestige de cette vitrine hors normes pour un sportif en activité.

Dopage, vous avez dit dopage ?

Très vite, les suspicions de dopage autour d’Armstrong surgissent (photo Abaca)

Le prestige médiatique de Lance Armstrong est immédiatement à l’aune de ses performances sur les routes du Tour de France. 1999 marque son grand retour et l’Américain frappe fort puisqu’il grimpe d’emblée sur la plus haute marche du podium. Il ne va plus la quitter pendant 7 ans, pulvérisant au passage les records de titres d’Eddy Merckx et Bernard Hinault (5 Tour de France à leur actif chacun). Nombreux sont les fans, les journalistes et les sponsors à se pâmer devant ce coureur qui atomise sans fléchir tous ses adversaires et qui empile les victoires d’étape sans ciller.

Pourtant, dès la première victoire de Lance Armstrong, les doutes affleurent. A l’issue de la première étape, l’Américain a en effet été contrôlé positif aux corticoïdes. La presse s’en fait l’écho quelques jours plus tard mais l’Union Cycliste Internationale (UCI) qui n’est pas la plus regardante des autorités en matière de dopage, tue la polémique dans l’œuf en estimant qu’Armstrong dispose d’une ordonnance pour une crème dermatologique aux corticoïdes.

Lance Armstrong se charge lui-même de faire taire les quelques voix divergentes comme celle du coureur français Christophe Bassons qui s’est publiquement engagé contre le dopage dans le cyclisme. L’Américain déclare alors à l’Equipe (1) : « Ses accusations ne sont pas bonnes pour le cyclisme, pour son équipe, pour moi ni personne. S’il pense que le cyclisme fonctionne comme cela, il se trompe et c’est mieux qu’il reste chez lui ». De fait, Bassons sera vite ostracisé et jettera quelque temps plus tard l’éponge en stoppant sa carrière pro.

Même si les accusations perdurent au fil des ans et des révélations, Lance Armstrong demeure inflexible. Qu’il s’agisse du journal L’Equipe ou des trois enquêtes menées par les reporters spécialisés Pierre Ballester et David Walsh, la tactique communicante de Lance Armstrong demeure inamovible. A chaque fois, la réplique se traduit par un déni prompt et massif qui surfe de surcroît sur une cote de popularité énorme et nombre de supporter voulant croire mordicus à la belle histoire du champion texan.

Quand le mythe s’écaille

La presse plante des banderilles mais Armstrong nie en bloc

En 2005, Armstrong se retire du Tour de France sur une ultime victoire. Une révérence victorieuse qui solidifie encore un peu plus la réputation de champion insubmersible qu’est le coureur texan. Pourtant, les aveux progressifs de plusieurs ex-coéquipiers de Lance Armstrong commencent à poindre et à écorner le mythe onirique du cancéreux aux sept tuniques jaunes. Frankie Andreu, Tyler Hamilton ou encore Floyd Landis (lui-même vainqueur du Tour en 2006 puis destitué pour dopage) entrouvrent la porte sur les coulisses de l’entreprise Armstrong. Une entreprise où circule des noms sulfureux du dopage sportif comme celui du « professeur » Michele Ferrari, déjà impliqué dans d’autres affaires de tricherie médicale avec des sportifs.

Il n’en demeure pas moins que Lance Armstrong n’en démord pas. Chaque soupçon, chaque mise en cause sont inexorablement fracassés par l’hubris inflexible du mythe cycliste vivant. Ce dernier ne cesse de marteler que c’est sa technique révolutionnaire de pédalage et sa force mentale acquise contre le cancer qui lui ont permis de décrocher les titres qu’on lui ergote. Néanmoins, alors que sa fondation n’a jamais été aussi rayonnante et influente, Lance Armstrong se décide à effectuer un come-back sur le Tour de France en 2009. Coup médiatique pour briser le front des suspicions qui s’accumulent ? En revenant sur le terrain de ses exploits, Lance Armstrong entend probablement couper court aux insinuations. Il n’est pas loin de réussir son pari puisqu’en dépit d’une surveillance médicale accrue autour de son cas, il parvient à finir 3ème de l’épreuve mais sans être celui qui autrefois surclassait tout le monde.

L’année suivante, il s’engage une dernière fois et achève cette le Tour en 23ème position. Cependant, ce Tour est plus pour Armstrong l’occasion de mener une intense campagne de communication autour de sa fondation que de se soucier du chronomètre durant les étapes.

Changement de stratégie

Armstrong passe de la lumière à l’ombre

Malgré un activisme forcené pour maintenir une vivace image de champion que le cancer a inspiré pour devenir une légende cycliste, Lance Armstrong a vu l’étau progressivement se resserrer autour de lui depuis plusieurs mois. Le point d’orgue a été atteint avec la procédure lancée en juillet 2012 à son encontre par l’agence américaine antidopage (USADA). Ce qui a pour effet d’empêcher un Armstrong reconverti au triathlon de participer à plusieurs épreuves. Celui-ci tentera de faire annuler cette procédure en portant plainte à son tour. Mais cette fois, les tribunaux ne le suivent pas et l’USADA obtient gain de cause : Armstrong va être déchu de ses titres depuis 1998 et radié à vie du cyclisme (sous réserve que l’UCI confirme).

Pour le Texan, une telle décision est une catastrophe en termes de réputation. Lui qui a fondé toute son influence sur son légendaire parcours humain et sportif, se retrouve déboulonné de tous les attributs d’image qui nourrissaient sa notoriété et son impact auprès de l’opinion publique et des médias. De Phénix inflexible du Tour de France, Lance Armstrong joue désormais la carte de la victime expiatoire. Son récent communiqué est symptomatique de ce revirement communicant pour tenter de préserver ce qui peut l’être encore (2) : « L’Usada ne peut prendre le contrôle du sport professionnel international et tenter de me priver de mes sept titres dans le Tour de France. Je sais qui a gagné ces sept Tours, mes coéquipiers savent qui a gagné ces sept Tours, et tous ceux qui ont couru contre moi savent qui a gagné ces sept Tours. (…) Aujourd’hui, je tourne la page. Je ne m’occuperai plus de cette question, quelles qu’en soient les conséquences. Je m’engagerai dans le travail que j’ai commencé avant de gagner mon premier Tour de France : être au service des gens et des familles touchés par le cancer (…) ».

Conclusion – L’éthique enfin Maillot Jaune ?

Pierre Ballester qui a mené de longues et tenaces investigations sur Lance Armstrong, estime qu’il ne pouvait pas procéder autrement que s’incliner devant la procédure de l’USADA mais que pour autant, il continuera farouchement à nier tout recours au dopage (3) : « Cette décision n’est pas un aveu – j’ai la certitude que l’Américain n’avouera jamais tant il aurait à y perdre en termes d’image et donc en termes financiers (…) Il a sa fondation contre le cancer, et ça, c’est sa vitrine. Si les bailleurs de fonds qui alimentent sa fondation n’ont plus confiance en Lance Armstrong, que va-t-il se passer ? Tout va se casser la gueule, et lui avec ».

Lire la suite du billet sur le Plus du Nouvel Observateur

Sources

(1) – L’Équipe du 17 juillet 1999, rapporté dans Sport & Vie n° 56 de septembre-octobre 1999
(2) – « Armstrong se défend sur son site Internet » – Le Point.fr – 24 août 2012
(3) – Sébastien Billaud – « Dopage : Lance Armstrong recule mais n’avouera jamais. Il a trop à perdre » – Le Plus du Nouvel Observateur – 24 août 2012

En complément

– « Chronologie de la chute d’Armstrong » – Le Monde.fr – 24 août 2012
– Laure Beaulieu – « Comment Armstrong est passé entre les mailles du filet ? » – Le Monde.fr – 24 août 2012
– Anthony Hernandez – « Le mythe Armstrong, vainqueur du cancer, était une trop belle histoire » – Le Monde.fr – 24 août 2012
– Matt Wilson – « Will LiveStrong survive its founder, Lance Armstrong’s crisis? » – Ragan.com – 28 août 2012
– Rémi Dupré – « Lance Armstrong a été prévenu avant tous les contrôles » – Le Monde – 27 août 2012
– Laurent Valdiguié – « En 2005, une perquisition a été empêchée sur le Tour » – Le JDD – 26 août 2012

Mise à jour du 5 septembre 2012 : « Dopage : Lance Armstrong avait 2 ans d’avance sur les autres coureurs » – Le Monde – 5 septembre 2012



4 commentaires sur “Lance Armstrong : la fin d’un storytelling abusif et c’est tant mieux !

  1. Julien  - 

    « C’est un peu vite oublier qu’avant d’endosser l’image de coureur invincible de la Grande Boucle, Lance Armstrong n’était qu’un coureur cycliste sans carrure particulière »

    Il a tout de même été champion du monde en 1992 à seulement 21 ans. Il restera avant tout un très grand champion, dans le sport et dans la vie (et donc dans la communication et le storytelling).
    Malheureusement, le cyclisme est un sport où le dopage est très présent, et pour gagner ses 7 tours, il a sûrement battu des mecs beaucoup plus dopés que lui. D’ailleurs il n’a jamais été reconnu dopé sur les 500 contrôles qu’il a subi pendant ces 7 TDF… Mais bon je suis un peu hypocrite en sous-entendant qu’il était clean 😉

    Un grand respect pour sa carrière et la fondation Livestrong qu’il a créée.

    J’aimerais bien qu’on embête un peu les footballeurs un jour aussi…

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Julien

      Oui, Armstrong a été champion du monde en 1993. Mais reconnaissez qu’entre gagner une course d’un jour et remporter une épreuve de 3 semaines avec des cols Hors Catégorie, il y a un fossé que bien des Champions du Monde n’ont jamais réussi à combler en épinglant le Tour de France à leur palmarès.

      Je vous rejoins sur le fait que (malheureusement pour le cyclisme et son image), il est loin d’être le seul dopé ! D’ailleurs tous les dauphins qui pourraient récupérer son titre, ont également eu maille à partir avec le dopage (Basso, Ulrich, etc). Armstrong était le plus fort des dopés, ça c’est une évidence !

      Mais récupérer le cancer comme il l’a fait pour bâtir une abracabradantesque histoire de champion ressuscité est une honte éthique. J’ai perdu mon père et mon oncle d’un cancer, failli perdre ma mère d’un cancer. J’ai des proches qui l’ont vaincu mais qui n’ont jamais prétendu devenir ensuite des sur-hommes. Cette imposture est sans doute encore plus écoeurante à mes yeux mais nous sommes dans un siècle où on aime croire à tout prix aux belles histoires !

      D’accord en revanche avec vous pour qu’on aille traquer le dopage ailleurs. Dans le foot, le rugby et bien d’autres sports où la triche médicale sévit également.

      Cordialement
      Olivier

      1. Julien  - 

        Merci de votre réponse Olivier,

        Comme je viens de le lire dans une itw de Laurent Jalabert : « Armstrong, les gens l’aiment ou le détestent ! » (http://www.sportbreizh.com/Interview-334-103-0-1.html).

        Vous dites exactement ce qu’il a compris je pense, en écrivant dans le commentaire « On est dans un siècle où on aime les belles histoires ». J’ai lu « Il n’y a pas que le vélo dans la vie » et effectivement, c’est une belle histoire qui donne envie d’avancer, que j’ai même offert à des malades (anciens sportifs) qui m’ont remercié…

        Chacun à son rapport à ce mec je pense. Après je n’étais pas assez dupe pour l’imaginer propre donc finalement je ne tombe pas de haut en apprenant une enième affaire de dopage…

        En tout cas Olivier, l’article est très bien écrit et bien plus construit que certains journaux qui lui crachent dessus après l’avoir encensé pendant des années.

        Bref, c’est la vie, c’est le sport, le sport-business sûrement d’ailleurs 😉

        Bon weekend,
        JL

        1. Olivier Cimelière  - 

          Re-bonjour Julien

          Merci pour ces additifs ! Vous avez raison : Lance Armstrong est une personnalité clivante. Personnellement, j’ai toujours été très réticent avec le personnage même si intérieurement, j’aurais bien aimé que son histoire soit authentique. D’autant que son message à l’encontre des malades du cancer est très beau. Mais c’est précisément le dévoyer que de se fabriquer une légende abusive. Comme je l’ai dit, j’ai souvent cotoyé le cancer parmi mes proches. On peut vaincre cette cochonnerie mais jamais on n’en ressort plus puissant que jamais physiquement parlant. On peut vivre à nouveau normalement mais de là à grimper des cols HC à 484 Kw de développement sur un vélo, aucun humain ne peut atteindre ce niveau. Tous les médecins le disent.

          C’est triste car cela jette encore plus l’opprobre sur le cyclisme qui préfère l’omerta plutôt que nettoyer de fond en comble. Je préfère voir des mecs qui gagnent le Tour à 30 km/h de moyenne mais propres plutôt que des fusées qui tournent à 38 de moyenne dans les cols.

          Merci en tout cas pour les compliments. Même si je n’aimais pas Armstrong, je voulais surtout dans ce billet montrer la machine communicante élaborée par ce dernier. Laquelle marche encore d’après l’article du Monde que vous avez retweeté sur la Fondation !

          Bon WE. Olivier

Les commentaires sont clos.