Fake news & complots en ligne : Le ménage s’impose même avec une loi imparfaite et d’autres actions conjointes

Les rumeurs et les fausses nouvelles ne sont pas nées avec le Web social. En revanche, celui-ci  a considérablement amplifié leur pouvoir de prolifération et d’influence auprès des publics. C’est l’effet collatéral des médias sociaux : ils ont créé un appel d’air sans précédent pour que des voix minoritaires, farfelues, extrémistes jusque-là confinées dans leurs théories paranoïaques et binaires parviennent dorénavant à peser lourdement et en temps réel sur le débat public. Au point d’embrouiller les esprits et de rendre « véridique » des choses falsifiées ou subtilement biaisées. Or, une série d’élections aux USA, en France ou encore en Allemagne a montré que ce conglomérat de fakers en tout genre est « no limit » lorsqu’il s’agit de faire de la propagande à tout va qui (Et c’est le pire) prend progressivement racine dans le climat de défiance exacerbé des sociétés occidentales. Longtemps, les infos « bidon » d’Internet ont été considérées comme un épiphénomène. En voulant instaurer un projet de loi « anti fake-news », Emmanuel Macron ouvre enfin un sujet de discussion qui va bien au-delà de la simple rédaction d’un arsenal juridique. Explications.

Avant d’aller plus en avant dans la réflexion sur la lutte contre les « fake news », saviez-vous que ces dernières ne sont en fin de compte que les « dignes » descendantes de pratiques séculaires qui eurent en France les noms de « pamphlets » ou « libellés ». Affichés sur des parchemins dans la rue ou alors publiés sous le manteau et diffusés sur des places publiques, ces textes virulents entendaient (déjà) dénoncer la vérité qu’on cachait au peuple à travers les publications officielles. Tout style y est permis : pastiche, insulte, caricature, affirmation gratuite, médisance, potins mondains, etc. Les pamphlets et les libellés ne s’interdisent rien pour contester le pouvoir établi et salir ainsi leur réputation et leur crédibilité. Avec les « fake news », il se rejoue exactement la même partie de bonneteau éditorial menteur où les réseaux sociaux et les blogs anticonformistes (ou s’autoqualifiant de sites de contre-information, de ré-information, d’alter-information et j’en passe !) assurent le même rôle. Avec en plus une capacité de propagation et de rémanence jamais atteinte dans l’histoire de l’expression des idées. Les « fake news » se diffusent vite mais elles restent également gravées dans les entrailles mémorielles du Web et ressurgissent sporadiquement, quite à être remises au goût du jour pour exciter les peurs et les croyances.

La systémique de la propagation des fake news

Premier grand changement de paradigme : le critère temps. Dans leur ouvrage « L’information à tout prix » paru en 2017, les chercheurs Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud ont relevé des constants marquants dans la vitesse de propagation d’une information. Se basant sur l’étude d’un corpus de 2,5 millions d’articles en 2013, ils ont retracé le circuit de diffusion pour 25 000 événements de l’année. Selon eux, 64% des contenus sont ainsi de purs copier-coller d’autres articles, en particulier de dépêches AFP. Autre constat : l’information se propage très rapidement. Il faut en moyenne 175 minutes pour qu’un événement couvert par un site le soit aussi par un autre. La moitié des événements donne lieu à des reprises en seulement 25 minutes et un quart en 230 secondes, généralement des reprises de dépêches AFP. Les explications sont nombreuses : manque de moyens et de temps au sein des rédactions, pression concurrentielle intense pour annoncer le premier, etc. Autant d’éléments qui dévalorisent le travail des rédactions mais donnent du grain à moudre aux éditeurs de fake news. Lesquels fonctionnement pourtant selon le schéma de diffusion mais en s’affranchissant allègrement des considérations éditoriales et éthiques. Plus vite cela tape au sein de la communauté et plus, cela est repris par un média faisant office de « tampon validateur », meilleur est l’impact.

En avril 2017, Radio Canada s’était penché avec acuité sur la façon dont un fait divers majeur survenu en France a été ensuite répercuté sur les médias sociaux (sans oublier les médias classiques qui désormais surveillent de près ce qui se dit et se raconte sur les premiers). Le 20 avril, un fanatique islamiste tire sur des policiers en en tuant un et en blessant deux autres sur les Champs-Elysées. Compte-tenu du contexte, l’émoi est évidemment vif. Les agences de presse sont rapidement sur le coup (avec elles aussi des imprécisions) mais la famille des grandes gueules conspirationnistes et autres est également sur le pont comme le raconte factuellement Radio Canada (2) : « Jean-Paul Louis Ney (NDLR : un barbouze mi-journaliste, mi-extrémiste de droite) publie sur Twitter le nom et la photo d’un suspect recherché par les services policiers, potentiellement en lien avec l’attaque. Il s’agit de Youssouf El-Osri, un ressortissant belge (en date du 21 avril, les services policiers français n’ont toujours pas confirmé s’il était lié ou non à l’attaque) (…) Déjà, une heure plus tard, le message original de Jean-Paul Ney est retweeté plus de 1000 fois. (…) 21 h 58 (heure de Paris). Le populaire conspirationniste Paul Joseph Watson publie à son tour la photo et l’identité du supposé suspect. Il l’identifie clairement comme « le suspect en cavale en lien avec l’attaque terroriste de Paris ». Il ne dévoile pas où il a obtenu son information. Son message est retweeté plusieurs centaines de fois en quelques minutes ». Et la suite de l’article est à l’aune du delirium tremens digital où tout côtoie tout sans plus aucune notion de précaution, ni de distanciation. Mais trop tard, la propagation a opéré. Quand bien même les autorités communiqueront ultérieurement l’identité du vrai tueur, le bruit général adjoint à la méfiance permanente que subissent les médias pros (parfois à juste titre) a semé une fois de plus le doute.

Fake news : Juste un problème légal ?

Alors que faire ? Cet exemple est loin d’être un cas isolé. L’élection présidentielle française de mai 2017 a objectivement montré que le candidat Emmanuel Manuel (finalement vainqueur et élu) a été celui le plus matraqué sur les réseaux sociaux, mais pas pour des débats politiques légitimes mais plutôt des rumeurs sur sa sexualité, sa proximité supposée avec untel ou untel, l’existence de comptes dans des paradis fiscaux. Il ne fut pas le seul à subir le feu nourri de la calomnie 2.0. Alain Juppé, pourtant précurseur en matière de communication sur les réseaux sociaux, a eu droit à son avatar de « Ali Juppé » derrière lesquels on retrouvera vite des communautés militantes chauffées à blanc comme les pro-Fillon et évidemment la fachosphère et sa myriade de petits doigts prompts à répercuter n’importe quoi.

Récemment, la réaction du gouvernement ayant essuyé justement les plâtres de ces attaques réputationnelles sans fondements, fut d’émettre un projet de loi pour contre les « fake news » et leurs émetteurs, voire relayeurs. Même si les moqueries et critiques n’ont guère tardé au motif qu’une loi ne résoudra pas à 100% le problème (et c’est vrai), cette idée ne doit pas être gratuitement morigénée. Après tout et si l’on remonte un peu le curseur de l’histoire, une loi sur la presse a bien été adoptée en 1881 pour parer et punir excès et dérives à une époque où les journaux n’y allaient pas de main morte. Pour autant, il est évident qu’une loi n’est pas la panacée infaillible. A contrario, elle permet de poser des jalons dans un Droit qui a (reconnaissons-le) bien du mal à suivre les impacts judiciaires que les technos et usage digitaux ont imposés. Dans une tribune signée le 21 janvier 2018 dans le JDD, Florian Bachelier (député LREM et 1er questeur de l’Assemblée Nationale) remet utilement les choses en perspective (3) : « La nouvelle loi devra tout d’abord permettre d’agir en temps réel sur les hébergeurs de fake news. A cette fin, il fut pouvoir saisir la justice par un nouveau référé, en urgence : 24 heures de partages sur les réseaux sociaux peuvent déjà être désastreux. Cette action déboucherait sur la suppression du contenu en cause, le déréférencement voire le blocage du site ».

Une loi mais pas seulement …

Pour beaucoup de gens (y compris des énarques à la tête bien pleine), un article de loi suffit à éradiquer un problème. Si seulement, l’approche judiciaire était aussi « baguette magique » pour contraindre des dérives sociétales, alors comment expliquer que le Code Pénal n’empêche toujours pas les meurtres les plus ignobles ? Loin de moi pour autant qu’il faille faire abstraction du cadre juridique. C’est même essentiel pour poser une première pierre référentielle. L’Allemagne l’a fait bien en votant une loi obligeant les réseaux sociaux à supprimer les contenus haineux sinon c’est une amende de 50 000 € s’appliquant pour l’hébergeur. C’est un point de repère utile mais ne nous leurrons pas. Lorsque des propos racistes, antisémites, etc sont proférés depuis des plateformes relevant d’une conception du droit à l’expression différente(et là on pense aux USA et aux GAFA longtemps traîne-savates sur le dossier), Il devient plus complexe de lutter contre les « fakes news » (je n’ai pas dit opinions différentes au cas où certains lecteurs me verraient comme un censeur inflexible).

Alors, quelles options développer en parallèle pour éviter que notre démocratie (si imparfaite soit-elle) devienne un café du commerce intellectuellement limité mais technologiquement viral. En plus de la loi que je soutiens (qui pose à nouveau un premier jalon et qu’elle s’impose au niveau européen), il y a ces axes urgents à bousculer :

  • Fournir de vrais moyens de formation, de ressources et de temps aux médias professionnels pour réagir vite grâce au Big Data et re-contextualiser les sujets d’actus
  • Exiger des GAFA des moyens autrement que cosmétiques pour cesser que des Dreuzh.info, BoulevardVoltaire (et j’en passe …) deviennent des sources équivalentes au Monde, à Newsweek, au Guardian etc dans leurs fils d’info
  • Faire une promotion plus intensive des sites de désintox comme (Hoaxbuster, Snopes, Les Décodeurs, etc)
  • Soutenir activement des ONG impliquées dans la traque aux fake news comme Disinfo Lab (https://twitter.com/DisinfoEU)
  • Intégrer un module annuel dans le cursus de l’Education Nationale dès le CM1 sur l’analyse critique de l’information et le croisement des sources

    Voilà, ce que souhaite voir un blogueur comme moi, ex-journaliste et ex-dircom …Je ne sais pas si je serai encore vivant pour y contribuer mais c’est l’avenir que je souhaite. Sinon, nous allons vers un monde de clivages qui n’a jamais engendré quelque chose de positif et constructif mais des haines sourdes, aveugles, binaires où n’importe quel mensonge est érigé en vérité.

Sources

(1) – « Vitesse moyenne de propagation d’une information : 175 minutes » – CB News – 22 mars 2017 –
(2) – Jeff Yates – « Attaque des Champs-Élysées : voici comment se propage une fausse rumeur sur Twitter » – Radio Canada – 21 avril 2017
(3) – Florian Bachelier – «  Fake news : pourquoi il faut une loi » – Le JDD – 21 janvier 2017

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