Elise Lucet est-elle devenue un Gilet Jaune du journalisme ?

A l’instar de l’actuel mouvement populaire de contestation anti-système, Elise Lucet a fait de sa marque de fabrique éditoriale, l’opposition systématique et récurrente à tout ce qu’elle déteste ouvertement et publiquement. A savoir les entreprises, les politiques, les communicants, les dirigeants. Son casting et sa distribution des rôles sont invariables et inflexibles qu’il s’agisse de “Cash Investigation” ou d’“Envoyé Spécial”. Quel que soit le sujet, il faut que la boîte à baffes fonctionne à plein tube. A tel point que l’égérie des “anti-tout” voit désormais des complots sciemment fomentés pour liguer les citoyens contre les journalistes. Mais de quelle manipulation parle-t-elle exactement quand on connaît ses propres méthodes ? Envie de mettre les points sur les “i” par un communicant qui sort d’une école de journalisme et qui a exercé sur le terrain.

On savait que les Gilets Jaunes étaient prompts à faire circuler les théories conspirationnistes les plus aberrantes sur les réseaux sociaux (comme celle de l’attentat de Strasbourg qui aurait été orchestré par le gouvernement pour briser les manifestations sur les ronds-points). De même, a-t-on vu nombre d’entre eux insulter copieusement les journalistes lors des rassemblements à Paris et en province quand ils ne sont pas purement et simplement molestés et chassés manu militari par des manifestants remontés. Sur ces scènes déplorables, Elise Lucet vient récemment de livrer une hallucinante analyse de la situation (1) : “Les politiques sont en train de monter les citoyens contre les médias”. La “badass” de l’investigation se convertirait-elle au populisme éditorial et conspirationniste ?

Un complot contre le journalisme ?

Quelques jours avant la bûche et le foie gras, Elise Lucet était conviée à l’émission de radio “Secrets d’Info” sur France Inter. Fidèle à son habitude, elle a enfourché son dada favori : la liberté de l’information et le respect à l’égard des journalistes. Sur ces valeurs fondamentales, qui d’un peu sérieux et démocrate songerait d’ailleurs à remettre en question ces deux points ? Même si la profession journalistique est décriée (souvent à tort et par méconnaissance ou mauvaise foi) et qu’elle commet en effet des bourdes (BFMTV étant le parangon indiqué), elle demeure un indispensable pivot du débat sociétal. C’est d’ailleurs dans cette optique que les têtes d’affiche des Gilets Jaunes ont vite acquis des galons médiatiques. Lesquels posent par ailleurs question pour d’aucuns tant leurs propos excessifs ont été diffusés en boucle et sans réel recul critique dans quelques rédactions.

Sauf qu’aux yeux d’Elise Lucet, tout cela n’est que billevesées et manipulations. Le coupable in fine ? Le pouvoir politique qui entretient à dessein la détestation des journalistes auprès de la population. Au micro de France Inter, la tata flingueuse de l’info ne met pas des gants (2) :  » Toute critique est bonne à entendre, mais ça non. Maintenant c’est devenu un argument politique de dire que les journalistes ne font pas leur boulot, qu’ils sont complètement à côté de la plaque, qu’ils ne reflètent pas le monde réel (…) C’est inexcusable dans la bouche des politiques d’entendre ça parce qu’ils savent très bien ce qu’ils sont en train de dire, ils savent très bien qu’ils sont en train de globaliser et qu’ils sont en train de monter la population c’est-à-dire les citoyens contre les médias.« . Tranquillement et sans l’air d’y toucher, Elise Lucet succombe donc à la mode conspirationniste dont les réseaux sociaux bruissent en permanence.

Le monde selon Lucet

De la part de celle qui se veut le chantre d’un journalisme implacable et offensif, la rhétorique sent toutefois la grosse ficelle “attrape-mouches”. Que certains éditocrates de salon soient sans cesse fourrés dans les bureaux des ministères ou les bonnes tables gastronomiques parisiennes, nul n’en doute. Des connivences ont toujours existé et parfois fait obstruction au travail d’une rédaction. Quelques-uns ont même bâti leur carrière avec une boîte à cirage dans une main pour les politiques qu’ils servent et un marteau pilon dans l’autre pour ceux qu’ils abhorrent. Mais de là à faire de ces cas spécieux, une généralité applicable en toutes circonstances, relève de la malhonnêteté intellectuelle. De même, tous les politiques ne s’adonnent pas systématiquement au casse-pipe sur les journalistes. Si certains sont évidemment prompts à les remettre systématiquement en cause lorsqu’ils se font épingler, personne n’a entrepris de démolir sciemment des organes de presse. D’autant qu’il en existe suffisamment en France pour que la diversité des opinions puisse s’exprimer. Y compris les plus nauséabondes au demeurant.

Alors que révèle au juste cette saillie verbale d’Elise Lucet ? La réponse est claire : son mode de pensée binaire à l’aune de son logiciel journalistique simplet où le monde se divise en deux camps distincts : les gentils, honnêtes, petits et innocents contre les méchants, tricheurs, gros et coupables. Dans cette représentation mentale de la société, les entreprises ont une place de choix dans le panthéon honni de la Jeanne Hachette du journalisme. Pourtant, l’intéressée s’en défend (3) : “À Cash Investigation et Cash Impact, on n’est pas du tout anti-entreprises ! Heureusement qu’il y a des entreprises qui fonctionnent en France et qui fonctionnent bien ! On est simplement attachés à la possibilité de leur dire qu’à partir du moment où elles font des chartes et disent aux consommateurs qu’elles prennent soin d’eux, on va vérifier si c’est vrai« .

Si seulement c’était vrai

Il y a effectivement, Mme Lucet, des entreprises qui fonctionnent bien. Fort heureusement d’ailleurs et quels que soient leur taille et leur volume de chiffre d’affaires. A la différence près qu’il est impossible de le faire savoir durant un “Cash Investigation” ou un “Envoyé Spécial”. Même si pendant l’enregistrement d’une interview, le porte-parole évoque un sujet positif, ce dernier passera inéluctablement à la trappe. Dans les reportages, un gros nom de l’industrie doit forcément être dépeint comme un hydre paré de tous les vices et maquillé comme un camion volé par les sbires communicants. Voilà la réalité éditoriale d’Elise Lucet et les équipes de reporters auxquelles elle commande des reportages pré-formatés. Quitte à y consacrer des mois pour rassembler tous les éléments uniquement à charge qui viendront étayer sa conviction première.

Pour s’en convaincre, il suffit de relire le témoignage de Catherine Chapalain, directrice générale de l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires). En septembre 2016, celle-ci s’est trouvée confrontée à l’interrogatrice en chef à propos des labels nutritionnels. Ses remarques sont édifiantes (4) : “ Lors de l’entretien, pour une raison que j’ignore, l’équipe de Cash Investigation ne voulait pas évoquer ces quatre propositions (NDLR : d’information nutritionnelle). Tout semblait orienté pour un débat unique « pour ou contre le système de M. Hercberg » (5C ou nutri-score). A de très nombreuses reprises, j’ai tenté d’expliquer que le consommateur aura le choix entre quatre logos lors de l’expérimentation menée par le ministère de la santé, incluant la proposition 5C. Malheureusement, les échanges n’ont porté que sur ce dernier, niant l’existence des quatre autres. (…) Madame Lucet m’a également étonnée en m’indiquant que le monde de l’alimentation était divisé en deux. D’un côté les bons produits du terroir et de l’autre les mauvais produits de l’industrie. Quelle méconnaissance du secteur agroalimentaire et de la fabrication des aliments en France”.

Mise en scène à tous les étages

Il n’y a pas que le propos qui est automatiquement biaisé et/ou tronqué dans la démarche éditoriale d’Elise Lucet. Lorsque cela est possible, la Rouletabille version procureur adore se faire claquer une porte au nez sous l’oeil de la caméra, faire bafouiller et suer son interlocuteur, voir son micro repoussé ou encore débouler comme un chien dans un jeu de quilles au beau milieu d’une assemblée à l’instar d’un syndicaliste mécontent. Toutes ces séquences “culte” sont alors insérées au montage final et assorties d’effets spéciaux pour souligner avec encore plus de vigueur, la vilenie des dirigeants qu’elle pourchasse sans relâche. Mme Lucet n’est plus dans l’enquête d’investigation mais dans la mise en scène de soi-même au service de ses croyances journalistiques dichotomiques.

Le reportage à la sauce Lucet n’est qu’un gigantesque défouloir où l’on amalgame de vraies et utiles dénonciations à des allégations carrément orientées pour lesquelles il est absolument impossible de pondérer et de contextualiser. A part les audimats et sa cote de popularité chez les téléspectateurs convaincus d’y voir une justicière cathodique pure et dure, cette ligne éditoriale s’avère contre-productive. L’information (la vraie, l’équilibrée) en sort d’autant moins gagnante que nombreuses sont les entreprises à adopter les portes closes plutôt que de se risquer à tenter de répondre. C’est par exemple la consigne qu’a imposée Antoine Arnault, directeur de la communication du groupe LVMH (5) : « Quand vous avez quelqu’un qui ne joue pas à armes égales contre vous, vous n’allez pas au débat, ce serait inutile pour nous. Le scénario est écrit à l’avance. C’est difficile pour nous d’y aller en sachant qu’on va perdre. Ils ont cherché une image avec nous, ils ne l’ont pas eue. Ils se sont retrouvés ensuite dans le hall d’accueil de notre siège social à harceler une jeune fille à l’accueil et des vigiles ». Il n’en reste pas moins que l’image de l’entreprise en prend quand même un coup. En refusant de parler, elle accrédite par ricochet l’idée qu’elle se défile et qu’elle cache. Ce qui vient nourrir par extension la perception binaire qu’entend véhiculer Elise Lucet.

Elle cause pas, elle flingue !

Si la politique de la chaise vide ne constitue pas vraiment un contrefeu habile, faut-il pour autant oser braver celle qui arrive toujours avec des liasses de papier sous le bras comme si elle détenait un inavouable secret d’Etat ? Pour Gaspard Gantzer, ex-conseiller communication de François Hollande et co-fondateur de l’agence conseil 2017, la réponse est oui (6) : “Tout finit par se savoir. Il faut donc se préparer à répondre à tout, en toute transparence et en conservant son sang-froid. C’est ce que nous tentons d’apprendre à nos clients”. D’ailleurs, Elise Lucet est devenu un tel sujet de préoccupation chez les communicants qu’elle génère des formations ad hoc et des vademecums comme en atteste cet article de la revue professionnelle Stratégies (7) “1/Ne pas refuser le dialogue. 2/Ne pas répondre à chaud. 3/Se préparer aux sujets les plus sensibles. 4/Répondre aux questions gênantes. 5/Ne rien avoir à se reprocher”. D’autres recourent à des astuces diverses comme restreindre le temps d’interview accordé à l’impétrante ou encore filmer l’interview qu’effectue la journaliste, histoire d’avoir soi-même des rushes vidéo à objecter en cas de divergence.

En fait, le journalisme tel que pratiqué par Elise Lucet est un piège sans réelle issue de secours. Cette dernière est à l’image des Gilets Jaunes les plus irréductibles. Quoi que vous disiez ou donniez, tout est potentiellement retournable contre vous. Ceci d’autant plus que le montage des reportages de “Cash Investigation” et d’”Envoyé Spécial” est particulièrement ciselé. Même une phrase anodine peut prendre une coloration embarrassante à la faveur d’un banc-titre bien placé ou d’un jingle ironique. Certes, les succès d’audience de ces émissions confèrent à Elise Lucet, une sorte d’aura de crédibilité auprès du grand public dans un climat de défiance sociétale actuellement à son climax.

Mais peut-on honnêtement se réjouir de voir ce genre de journalisme prospérer ? L’investigation éditoriale est indéniablement indispensable pour pointer les dérives de certains acteurs et il existe à cet égard des médias autrement plus sérieux (même s’ils peuvent être acides) pour l’exercer. En revanche, le côté Gilet Jaune de l’information que revêt Elise Lucet est préoccupant. En 2016, j’avais pourtant sollicité à 12 reprises une demande d’interview à la Robespierre des équipes communication pour mieux comprendre son acharnement. J’attends toujours une réponse. Visiblement, la transparence prônée ne fonctionne qu’en sens unilatéral !

Sources

– (1) – Service Actu – “Le coup de gueule d’Elise Lucet : « Les politiques sont en train de monter les citoyens contre les médias » – Les Inrocks – 24 décembre 2018
– (2) – Ibid.
– (3) – Benjamin Jeanjean – “Élise Lucet : « À Cash Investigation, on n’est pas du tout anti-entreprises ! » – Sud Radio – 26 février 2018
– (4) – Tribune libre de Catherine Chapalain, directrice générale de l’Association Nationale des Industries Alimentaires – « Mon interview avec Elise Lucet de Cash Investigation » – 12 septembre 2016
– (5) – Cyril Delaune – “Elise Lucet : le conseil qu’a donné Antoine Arnault (LVMH) à ses équipes pour recevoir la journaliste de Cash Investigation” – Voici.fr – 13 octobre 2018
– (6) – Alexandre Duyck – “Elise Lucet, l’ange de la télé véritée” – Marie-Claire – 23 novembre 2018
– (7) – Emmanuel Gavard – “Comment répondre à Elise Lucet ?” – Stratégies – 27 septembre 2017

A lire par ailleurs

– “Cash Investigation & Elise Lucet : Doit-on parler de journalisme ou de marketing éditorial ?” – Le Blog du Communicant – 13 septembre 2016



8 commentaires sur “Elise Lucet est-elle devenue un Gilet Jaune du journalisme ?

  1. cyrille frank  - 

    Merci de ta réponse Olivier, en effet, c’est rare de pouvoir mesurer
    l’ouverture de quelqu’un. Et cela ne peut s’évaluer que lorsqu’on n’est pas d’accord 🙂

    Mais as-tu des exemples précis de déformations, exagérations, tromperies d’Elise Lucet et son équipe sur le fond ? Voilà qui appuierait vraiment ton propos.

    J’avoue ne pas avoir bien retenu les exemples oraux que j’ai de mon ami chercheur, en qui j’ai toute confiance sur le plan technique.

    A bientôt !

    Cyrille

    1. Olivier Cimelière  - 

      Hello Cyrille

      Je t’en prie. Je pense vraiment que c’est dans la confrontation d’idées (confrontation ne signifiant pas opposition pure et dure ou déni à l’autre d’avoir une opinion divergente !! suivez mon regard « jaune ») que naît le progrès à tout niveau …
      Ce préambule étant posé, la méthode Lucet est plus perverse que la déformation (même s’il y a des erreurs qui méritent d’être soulignées – il faut que je te retrouve les liens) et les « fake news ».

      Elise Lucet, c’est d’abord une hypothèse formulée. Je vais m’appuyer sur le sujet que je connais le mieux : le label « Nutriscore ». A l’époque, il y avait d’autres alternatives dont certaines poussées par l’industrie alimentaire. Plutôt que faire un panorama contextuel évoquant les pour et contre des 4 solutions, Mme Lucet a déjà formulé son verdict. Seul Nutriscore est valable. A partir de là, elle (et la société de prod Premières Lignes) met tout en oeuvre pour prouver sa vision et écarter tout avis contraire ou divergent (ou alors le réduire à sa plus simple expression, histoire qu’il ne vienne pas encombrer son raisonnement) …
      Et je passe sur les séquences d’interviews autorisées ou prises à la volée. C’est systématiquement le procès sur la base (et c’est le pire) de points plutôt vrais (mais ne reflétant pas une réalité plus globale). C’est cela qui me dégoûte dans le « travail » de Mme Lucet. Comme toi, je suis journaliste de formation. Et là, je ne m’y retrouve pas. Autant je suis contre la connivence et/ou la pression (et là je parle en tant que communicant), autant j’ai bcp de mal avec cette approche biaisée et intellectuellement malhonnête. Pourtant, Dieu sait si j’aime et je continuerai de défendre le métier de journaliste. Mais pas n’importe comment et pour n’importe qui … A bientôt. Olivier

  2. RAVACHOL  - 

    Une analyse à deux balles…Allez bosser chez M6 et autres faiseurs de journalisme de consommation. Vous y serez traité comme de bons toutous.

    Allez du Jaurès, histoire de relevé le niveau !

    Monsieur le Ministre, la violence c’est chose grossière, palpable, saisissable chez les ouvriers : un geste de menace, il est vu, il est retenu. Une démarche d’intimidation est saisie, constatée, traînée devant les juges. Le propre de l’action ouvrière, dans ce conflit, lorsqu’elle s’exagère, lorsqu’elle s’exaspère, c’est de procéder, en effet, par la brutalité visible et saisissable des actes. Ah ?! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ?! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ? ; ils décident que les ouvriers qui continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit ? ; c’est le travail meurtrier de la machine qui, dans son engrenage, dans ses laminoirs, dans ses courroies, a pris l’homme palpitant et criant ; la machine ne grince même pas et c’est en silence qu’elle le broie.

    Bande de nazes.

  3. Thibaud  - 

    Bonjour,
    Merci pour ce billet très intéressant et les commentaires qui s’en suivent.
    Je ne regarde pas les émissions d’Elise Lucet car je désapprouve la méthode journalistique : l’enquête menée exclusivement à charge, l’interview surprise, et en toile de fond la scénarisation du clash. Dans le fond cependant, force est de reconnaître que sur nombre de sujets, la firme / filière faisant l’objet du sujet n’est pas exempte de défauts. Et dans la liste des 5 points proposés par Gaspard Gantzer pour traiter la crise, je positionnerais le /5 en /1 : la meilleure façon de ne pas avoir de souci est de ne rien avoir à se reprocher, socialement et éthiquement parlant. De trop nombreuses entreprises font des choix stratégiques guidés par la seule volonté de profit économique, au détriment de règles élémentaires d’éthique. Constater que Lafarge aurait potentiellement pu (l’affaire est en cours d’instruction, donc parlons au conditionnel) verser des sommes d’argent à Daesh pour préserver certaines de ses activités, est-ce éthique ? Découvrir les conditions dans lesquelles sont produites certaines peaux de cuir, en Italie, pour le compte d’industriels français du luxe, au mépris de considération sociale élémentaire, est-ce acceptable ?
    Au demeurant, certaines sociétés de production télévisuelles mènent d’excellents travaux d’investigation sur le sujet de la grande consommation, sans le tapage médiatique entourant Elise Lucet, mais – je trouve – avec une rigueur éditoriale honorable et une efficacité pédagogique comparable. Je veux notamment parler des documentaires diffusés par les « franchises » Thema d’Arte et Le monde en face de France 5. Ces émissions sont certes moins connues et/ou moins regardées, mais n’en dénoncent pas moins les errements de certaines firmes, sans recherche d’audimat ni sensationnalisme excessif.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci pour le partage de ce point de vue. Je vous rejoins pleinement sur le fond.
      Je le précise dans ce billet. Le journalisme d’investigation doit continuer à révéler des pratiques déviantes. Mon billet critique la forme adoptée par Elise Lucet. Elle aborde de vrais problèmes de fond mais la façon dont les choses sont couvertes, est simpliste et orientée. Avec elle, pas de mise en perspective. Juste du show qui résonne malheureusement bien dans l’air du temps

  4. ison toatle, pour  - 

    Cher Olivier,

    Il y a longtemps que je me pose des questions sur les pratiques d’Elise Lucet et de la boîte de production « premières lignes ». Je suis suis longtemps resté perplexe, voici pourquoi.

    Elise Lucet fait preuve d’une véhémence et met en scène la « non-réponse » et l’embarras des personnes qu’elle « coince » sans possibilité de se défendre. Cela n’est pas conforme aux pratiques du journalisme telles qu’on nous les enseigne. Et là, on flirte dangereusement avec la confusion des pouvoirs, et celui du juge.

    D’un autre côté, pour avoir regardé l’émission plusieurs fois, elle n’en vient à cette extrémité, que quand elle n’a pas obtenu de réponse, ou d’interlocuteur. On peut se demander ce qu’il serait advenu si on lui avait répondu.

    Mais je vois aussi combien les entretiens qui sont menés pour ceux qui les acceptent sont orientés en effet. Tu cites l’exemple du nutriscore (qui n’est hélas pas forcément le meilleur tant celui-ci a donné lieu à un lobbying forcené et suspect pour empêcher son adoption, c’est dire les enjeux commerciaux qui se nichent derrière).

    Toutefois, un ami chercheur en agroalimentaire et consultant occasionnel pour l’industrie m’avait raconté un cas similaire sur la question de l’utilisation du sucre dans l’industrie. Bref, il y a un biais évident dans la manière dont sont conduits certains de ces reportages.

    J’ai toutefois des interrogations sur le fond. Et cette question rejoint celle des gilets jaunes.
    Je résume : j’ai l’impression que pour faire évoluer le système, il faut quelquefois un pavé dans la mare. La langue de bois, la non-réponse polie à laquelle je suis habitué ne font pas évoluer les mentalités (ni du côté des consommateurs, ni du point de vue des industriels).

    Il a fallu un seul reportage sur les saumons d’élevage pulvérisés d’antibiotiques par des gens en combinaison totale, pour exprimer le non-sens de cette production folle. Et la chute des ventes a conduit à d’autres pratiques. Certains me diront que ces antibiotiques n’étaient pas nocifs pour la santé (alors pourquoi une combinaison?). Peut-être, mais le système est absurde, et nous le savons désormais.

    Elise Lucet fait de la guérilla médiatique, elle ne respecte pas les règles, certes. Mais qu’avons-nous en place, en face ? Un pouvoir tellement plus fort en termes de moyens et d’organisation, de lobbying, qu’il perdure dans certains domaines en dépit d’une nocivité avérée. Il faut aussi noter ces scientifiques achetés à prix d’or par des industriels pour dispenser la bonne parole, dans leur sens.

    A contrario, quid de la confiance en les médias, s’ils utilisent eux-mêmes les armes de la déformation ? C’est le point le plus critique pour moi. Peu importe la victoire, si elle s’est faite avec les armes de l’ennemi et qu’on y a perdu son âme. C’est ce que tu dis en expliquant qu’Elise Lucet est devenue complotiste.

    Sur ce point je ne suis pas du tout d’accord. Elise Lucet met en cause les politiques qui jouent l’opposition systématique contre les médias par démagogie. je reprends ton extrait :  » Toute critique est bonne à entendre, mais ça non. Maintenant c’est devenu un argument politique de dire que les journalistes ne font pas leur boulot, qu’ils sont complètement à côté de la plaque, qu’ils ne reflètent pas le monde réel (…) C’est inexcusable dans la bouche des politiques d’entendre ça parce qu’ils savent très bien ce qu’ils sont en train de dire, ils savent très bien qu’ils sont en train de globaliser et qu’ils sont en train de monter la population c’est-à-dire les citoyens contre les médias.«

    Il ne s’agit pas de complotisme ! Elle dénonce ce que je dénonce moi aussi : la démagogie des Mélenchon, Fillon, Bayrou, Royal contre ceux qui ne vont pas dans leur sens.

    Enfin, je te dirai aussi quelque chose que tu sais en tant évidemment, en tant qu’ancien journaliste : si on doit toujours respecter les règles, être poli et bien élevé, on n’a pas les infos qui sont importantes pour la cité. Le droit accepte d’ailleurs certains écarts en cas de bénéfice supérieur pour la société (ex: recel d’information pouvant conduire à une infraction).

    Donc, ce ne peut être que du cas par cas. Quelle infraction (légale ou déontologique) pour quel bénéfice sociétal ? Elise Lucet a tort quelquefois. Parfois elle a eu raison. Il faudrait un travail plus profond pour faire le tri et éventuellement la recadrer, car tout pouvoir a besoin de contre-pouvoir.
    🙂

    Néanmoins, si on perd confiance en une certaine forme d’impartialité en les médias, c’est mort. C’est là que ça se complique. Je ne crois pas du tout en l’objectivité. Mais en la sincérité et la volonté d’entendre sincèrement les deux positions. Cela se rapproche d’ailleurs de la méthode juridique qui n’est pas la plus mauvaise. On reproche aux médias d’être des juges, si seulement. Ils sont souvent, hélas, de mauvais juges. Donc abîmer cette relation d’ouverture, de complexité, peut vite se retourner demain contre les médias, car le « méchant » par définition change souvent de camp.

    Voilà, je le devais de te livrer ma réflexion, et je sais que tu ne m’en voudras pas car tu as cette rare capacité à réfléchir vraiment, quitte à me donner tort, j’en sui conscient 🙂

    Belle année 2019 Olivier !

    Cyrille

    1. Olivier Cimelière  - 

      Cher Cyrille

      Comme toujours, ton analyse est riche, argumentée et pertinente. Tu sais pointer les justes questions et aussi les paradoxes que nous avons tous. C’est vraiment un délice de lire une telle contribution aussi étayée.

      Je vais essayer de préciser quelques points sur ton commentaire. D’abord, faire évoluer une société sans jeter un pavé dans la mare (ça me rappelle nos échanges sur Hegel !!) … L’Histoire aurait tendance à prouver qu’effectivement, les évolutions ont souvent été obtenues par la force quelle qu’elle soit. J’ai bien conscience de ce rapport de force. D’ailleurs, c’est au coeur même de mon métier actuel. Tant que cela reste sur le terrain de la discussion et de la négociation, je n’ai pas de souci. Je suis en revanche nettement plus inquiet quand des minorités (même si elles revendiquent 350000 participants au plus fort du mouvement) se font passer pour des acteurs représentatifs simplement parce qu’elles gueulent plus fort et frappent plus durement. Je n’arrive pas à accepter cette « dictature » des minorités conquérantes (amplifiées par les RS). Je ne dis pas qu’il ne faut pas les écouter. Loin de là. Et la déconnexion des élites (enfin des technocrates et énarques – souvent les mêmes) est consternante à cet égard et ne fait qu’alimenter la machine à haine ..

      Ensuite, pour en revenir sur le thème Elise Lucet, j’avoue que j’ai du mal à comprendre ce « journalisme ». J’ai fait ce métier et je continue de l’aimer plus que tout même si ce dernier est dans un état pitoyable en termes de moyens et de qualité. Pour autant, l’angle « procureur à sens unique » d’Elise Lucet relève du populisme. Elle a du succès car cela correspond bien à l’air du temps où tout ce qui est statutaire, est un coupable en puissance. Cette ambiance délétère est certes nourrie par des années de laxisme politique, connivence, excès, etc. Mais faut-il pour autant surfer éditorialement parlant sur cette ambiance ? D’un point de vue marketing, cela peut se comprendre mais est-ce bien raisonnable ? Lucet cloue au pilori. Ses reportages me font penser aux Inquisiteurs espagnols qui instruisaient à charge pour « prouver » leurs convictions et montrer qu’ils étaient dans la vérité…

      Je ne conçois pas le travail de journaliste comme cela. J’admire l’investigation qu’un New York Times est capable de faire. En France, Mediapart apporte qqch aussi même si j’ai plus de préventions envers son fondateur complexe qu’est Edwy Plenel. Mais Elise Lucet ? Franchement ! Elle travaille de surcroît avec Paul Moreira (Premières Lignes) qui a une vision très maoiste de l’info. Le monde n’est pas aussi binaire, ni simpliste. Je suis le premier à m’insurger contre les pratiques délétères (je pense que mon blog en atteste) mais j’ai vraiment bcp de mal quand je vois une Lucet faire son show. Jamais je n’attendrai d’elle une complaisance ou du cirage de pompe mais juste du travail honnête et qui fasse place aux opinions qui soient différentes de la sienne .. C’est ça le problème avec elle. Elle formule une théorie (tjs la même ) et ensuite elle assemble …

      C’est dommage car ce type d’émissions révèle des déviances qu’il est important de faire connaître. Mais pas n’importe comment et surtout pas en faisant des amalgames et des procès gratuits. Que tu parles (ou pas) à Lucet, tu es coupable si tu incarnes une entreprise. C’est excessif.

      Et pour finir, pourquoi ne me répond-t-elle jamais quand je veux justement l’interviewer sur sa vision des communicants ? A-t-elle peur ? C’est marrant de voir cette « journaliste » chouiner qu’on ne lui réponde pas dans les entreprises .. Elle pratique le même jeu avec ceux qui la sollicitent. Charité bien ordonnée commence par soi-même non ?

      En tout cas, un grand merci pour tes remarques qui éclairent et interrogent. Et rien que cela, j’aime !!

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