#UkraineRussie : La communication peut-elle sauver le soldat Zelensky ?

Longtemps regardé comme un président presqu’élu par effraction du fait de son passé de comédien humoriste et particulièrement méprisé par Vladimir Poutine qui le décrit comme une marionnette à la botte des USA, Volodymyr Zelensky a soudainement changé de dimension depuis que la Russie a envahi le pays qu’il dirige depuis 2019. En s’appuyant sur des codes de communication très efficaces sur les réseaux sociaux, il a vite su s’imposer comme un leader solide autant auprès de sa population que des dirigeants du monde entier. Au point d’enrayer la stratégie propagandiste du chef du Kremlin qui vise à légitimer l’attaque de l’armée russe.

Son élection en avril 2019 à la présidence de l’Ukraine (déjà axée sur une campagne massive sur les réseaux sociaux), avait plutôt interloqué les observateurs. Uniquement connu nationalement pour son rôle de professeur d’histoire devenu président dans une série télévisée, Volodymyr Zelensky avait effectué de surcroît des premiers pas diplomatiques balbutiants. Quelques mois plus tard, il avait été en effet fortement sollicité par Donald Trump pour déclencher une enquête sur le fils de Joe Biden que l’hôte de la Maison Blanche accusait de corruption par le biais d’une holding ukrainienne implantée dans le secteur de l’énergie.

Dans son propre pays, le nouveau venu a également peiné à convaincre. L’opinion reste dubitative quant à sa volonté de lutter contre la corruption endémique et sa capacité à régler le conflit larvé avec les séparatistes pro-russes de la région du Donbass. Enfin, sa gestion de la pandémie du coronavirus avait fait l’objet de virulentes critiques. Et soudainement, tout change. Le 24 février, les frappes russes s’abattent en plusieurs endroits du territoire ukrainien.

Le soldat Zelensky débarque sur les réseaux sociaux

Quelques heures plus tard suite à la déclaration de guerre de Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky publie une première vidéo sur Facebook (1) : « Pas de panique, nous sommes prêts pour tout, nous allons vaincre ». Peu importe que le rapport de force numérique et matériel soit nettement en défaveur des Ukrainiens sur le terrain et dans les airs, sa détermination reste intacte. Le lendemain, celui que Poutine dénigre ouvertement, récidive. Entouré de plusieurs collaborateurs, il se tient devant le bâtiment de la présidence à Kiev. Sans gilet pare-balles ni casque, il déclare (2) : « Nous sommes tous ici, nos militaires sont ici, les citoyens, la société, nous sommes tous ici, à défendre notre indépendance, notre Etat ». La vidéo cartonne sur les réseaux sociaux.

Le décor est planté. Le président Zelensky ne lâchera rien. A Joe Biden qui lui suggère d’être exfiltré du pays pour sa propre sécurité, il aurait répliqué sans ciller (3) : « C’est ici qu’est le combat. J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ». La phrase fait florès sur Twitter d’autant qu’il troque désormais son costume présidentiel contre un uniforme militaire. Qu’il parle depuis son smartphone ou depuis son pupitre officiel, Volodymyr Zelensky est tout de kaki vêtu. Le contraste est imparablement clair face à un Poutine qui parle du haut de sa chaire cravatée et formatée du Kremlin.

C’est d’ailleurs ce que souligne avec acuité la chercheuse franco-ukrainienne Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Lyon 3 (4) : « Le contraste est frappant : Zelensky est toujours debout, rarement assis, il est toujours dynamique et non pas statique, à la différence de M. Poutine, souvent assis à sa table, même le décor est différent ». Sans oublier le choc des formats. Là où Zelensky est bref, Poutine s’étend dans des discours longs. Là où Zelensky intervient régulièrement, Poutine parle au compte-goutte. Là où Zelensky est factuel et concret, Poutine s’aventure dans les menaces et les objurgations. Un pareil décalage ne pouvait que profiter au premier en termes de perception d’autant plus qu’il est dans la position de l’agressé.

Une asymétrie d’image qui fonctionne à plein

Cette asymétrie soigneusement cultivée lui confère un avantage d’image indéniable face à un Poutine au visage en permanence impassible et inflexible. Pour Romain Pigenel, actuellement directeur de la communication de la Cité des Sciences et de l’Industrie mais aussi fin expert et praticien de la communication politique, cette posture constitue (5) un « cas d’école de communication asymétrique, puisque ce système de communication est à la fois plus agile, et en définitive plus performant, que tout un appareil de propagande classique – sous réserve, bien sûr, du libre accès de ses « cibles » potentielles à Internet. En outre, chaque vidéo contribue à l’augmentation exponentielle de son nombre d’abonnés, et donc de soutiens potentiels (ou au moins de témoins) à sa cause ».

De fait, Zelensky emporte les cœurs et le respect comme cette traductrice allemande qui s’interrompt en sanglots alors qu’elle traduit en direct le discours du président ukrainien sur la BBC. Le ministère des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, s’est lui-même dit « très frappé par le sang-froid et la maîtrise de ses propos » (6). En joignant la parole et l’acte, Zelensky s’appuie sur une posture directe et sans fioritures qui a pour effet de susciter un fort sentiment de proximité et d’empathie. En dépit de l’intensification des pilonnages russes et des colonnes de chars déployées, la population ukrainienne est soudée derrière son désormais chef de guerre. A tel point que même son ancien adversaire et prédécesseur Petro Porochenko qui raillait sa piètre connaissance de la langue ukrainienne, s’est rangé derrière le leader Zelensky.

La bataille de la communication est loin d’être gagnée

Pour autant, cette stratégie du tout-image incarné reposant sur une utilisation agile des réseaux sociaux peut-elle s’inscrire dans la durée et permettre à l’Ukraine de desserrer le joug de l’envahisseur ? Jusqu’à présent, elle a contribué à encourager un vaste élan de solidarité envers l’Ukraine et des mesures de rétorsion envers la Russie avec le gel d’avoirs bancaires, l’éviction du système Swift, le bannissement des sportifs russes de toutes les compétitions mondiales et la mise en place d’un dispositif pour fournir de l’armement aux résistants ukrainiens.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les hostilités viennent seulement de commencer. Dans la durée, la stratégie de communication de Volodymyr Zelenski risque d’atteindre certaines limites, notamment si les réseaux de télécommunications sont coupés ou largement brouillés par l’ennemi, voire si le président lui-même est tué durant les combats (ou assassiné par des forces spéciales russes). Or, un Zelensky réduit au silence est un coin enfoncé dans la communication ukrainienne qui en appelle aujourd’hui à l’aide internationale. Il y a certes un autre figure emblématique en la personne de Vitali Klitschko, ancien champion du monde de boxe et actuel maire de la capitale, Kiev. Mais son impact communicationnel est plus réduit pour espérer assurer une éventuelle relève.

Tomas Ragina/iStock via Getty Images

Quand la face obscure de la guerre se fera jour

Au-delà des visages de la résistance qui s’expriment sur les réseaux sociaux et dans les médias occidentaux, un autre obstacle n’est pas à négliger : la désinformation massive opérée par le gouvernement russe auprès de ses concitoyens mais aussi et surtout auprès de l’opinion mondiale. Dès le début des hostilités, les autorités russes n’ont pas lésiné sur les infoxs en tout genre pour tenter de brouiller les perceptions. Apparition de faux comptes ukrainiens sur Twitter, photos détournées de leur véritable contexte, trucages vidéo et photo en pagaille, tout est bon pour tenter d’entamer le crédit réputationnel dont jouit actuellement l’Ukraine et celles et ceux qui la défendent. Jusqu’à présent, ces efforts de propagande n’ont guère porté leurs fruits mais la vigilance doit redoubler. Dans la durée, la répétition de la propagande finit par percoler et parfois s’imposer au gré d’événements intervenus dans l’intervalle. Surtout si le conflit s’enlise et que les projecteurs médiatiques partent investir une autre scène d’actualité.

Enfin, un dernier point redoutable est à intégrer. Il est d’ailleurs valable pour tous les belligérants actuellement en lice : l’amoncellement des victimes civiles et des jeunes militaires tombés au combat, voire des exactions et des crimes contre l’humanité qui pourraient survenir. A l’euphorie et la résilience des débuts, peuvent très vite alors succéder la lassitude et la colère des populations qui souffrent dans leurs chairs et qui voient enfler le flux des sacs mortuaires contenant les dépouilles des soldats. Ces images insoutenables avaient ainsi retourné l’opinion publique américaine en 1968 contre la guerre du Vietnam et celle des Russes en 1989 contre la guerre d’Afghanistan.

Pour le moment, il circule assez peu d’images attestant de la violence et d’une certaine barbarie des premiers combats. Hormis via des boucles Telegram et WhatsApp où de courtes vidéos attestent de l’horreur déjà installée (notamment au Donbass), on trouve essentiellement dans les médias et sur les réseaux sociaux des images de chars calcinés, d’immeubles éventrés et de tirs de missile menant à des explosions. Le jour où la réalité crue des combats va commencer à se superposer aux perceptions actuelles, la communication de Volodymyr Zelensky va devoir évoluer sur le fil du rasoir entre nécessité de dénoncer les atrocités et souci de préserver une issue viable où la paix pourrait redevenir un horizon possible.

Sources

– (1) – « Le président ukrainien prend une dimension de chef de la résistance à l’invasion russe » – Agence France Presse –
– (2) – Ibid.
– (3) – Ibid.
– (4) – Ibid.
– (5) – Billet LinkedIn de Romain Pigenel – 27 février 2022 –
– (6) – Vincent Mongaillard – « Un président prêt au sacrifice » – Le Parisien – 26 février 2022

A lire par ailleurs

– Béatrice Sutter – « Serviteur du peuple, le président ukrainien qui venait du show » – L’ADN – 28 février 2022