Comment fonctionne le dispositif de désinformation russe ? Décryptage avec le cas ukrainien

En parallèle des théâtres militaires d’Ukraine où son armée opère actuellement, le régime de Vladimir Poutine mène un autre conflit à l’intensité tout aussi impitoyable et sans état d’âme : celui de l’information et de la désinformation pour discréditer ses adversaires (Ukraine et Occidentaux en premier lieu) et leurrer les opinions publiques. En brouillant volontairement les perceptions, il s’agit de mieux asseoir son storytelling, de le faire percoler dans son propre camp mais aussi de s’insinuer dans des interstices plus réceptifs qui existent dans les camps adverses ou de potentiels alliés comme la Chine. Décryptage d’une redoutable machine de guerre informationnelle.

Si Volodymyr Zelensky peut donner l’impression d’avoir pris l’avantage dans la guerre de communication qui l’oppose à Vladimir Poutine, il n’en demeure pas moins que l’échiquier informationnel fait l’objet d’une lutte sans merci et sans relâche pour faire basculer les opinions publiques ou introduire de la confusion pour imposer in fine sa version narrative du conflit ukrainien. L’objectif de cette désinformation made in Russia n’est pas tant forcément de convaincre mais aussi d’instiller le doute qui lui profite. De la propagande classique au musèlement des journalistes en passant par l’épandage de fake news, le soft power et la manipulation d’idiots utiles ou d’aficionados assumés, rien n’est négligé par le rouleau compresseur informationnel poutinien.

Un contexte culturel propice

C’est une règle intangible de l’art militaire si l’on vise le succès : d’abord s’assurer du soutien de sa propre population et des communautés russophones frontalières plutôt enclines à rester dans l’orbite de la Russie. Dans cette optique, Vladimir Poutine nourrit une rhétorique nostalgique et revancharde d’une Grande Russie ou de l’ex-URSS depuis plus de quinze ans. Cette mythologie informationnelle où la détestation de l’Occident est un puissant ferment, constitue le socle du dispositif de désinformation avec moult références symboliques d’un temps où le pays était un empire puissant et craint.

Ce socle est d’autant plus efficace qu’aujourd’hui, des enquêtes indiquent qu’environ 70% de l’opinion publique russe soutient les opérations militaires menées en Ukraine (chiffre à tempérer compte tenu du contrôle total du gouvernement russe sur les sondages). Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue certaines caractéristiques culturelles profondes qui laissent penser que la réceptivité à cette mise en scène constante, n’est pas molle au sein de la population russe (particulièrement chez les plus vieux et les classes sociales ouvrières et paysannes).

Docteur en géopolitique et spécialiste du monde russe, Viatcheslav Avioutskii met en avant un paradigme qui fonctionne encore fortement (1) : « L’Occident est marqué par le cartésianisme, par une pensée rationnelle. Les Occidentaux ont donc du mal à comprendre la mentalité russe et sa mythologie qui ne sépare pas le réel de l’irréel. L’Occident a également du mal à percevoir la direction de l’histoire russe. D’une manière erronée, les Occidentaux ont pensé que la Russie devait suivre une trajectoire européenne, en passant d’une société qui n’est pas très développée à un modèle occidental ou européen, allant vers la vision progressiste de l’histoire […] Si on leur [NDRL : les Russes] communique des informations sur les pertes civiles, sur les villes détruites, sur des massacres, ils vont s’inscrire dans ce schéma relativiste. Ils vont considérer que leur version de la réalité est plus juste ».

Axe n°1 :
Etanchéifier et canaliser la circulation de l’information

Assurer une bulle informationnelle d’Etat

Qu’il s’agisse de journaux, de radios, de sites Web ou de chaînes de télévision, tous les médias encore actifs sont totalement contrôlés par l’appareil d’Etat. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au récent témoignage extrêmement courageux de la journaliste russe Zhanna Agalakova sur le fonctionnement de la ligne éditoriale de la chaîne publique Perviy Kanal (l’équivalent d’un TF1 en Russie). Elle a longtemps été correspondante aux Etats-Unis et en France pour ce média et a vu les pressions s’accroître sur son travail journalistique. A partir de 2014 avec l’éclatement de la guerre au Donbass, tout se complique (2) : « Je n’étais plus à l’abri de la propagande. Je ne devais parler que de choses négatives au sujet des Etats-Unis, comme des enfants adoptés maltraités. Je n’ai pas menti, chaque fait était réel. Mais prenez des faits réels, mélangez-les et vous aboutirez à un gros mensonge ». Aujourd’hui, elle est sous la menace de représailles bien qu’elle ne soit plus en Russie.

Sur l’Ukraine, les effets sont immédiatement palpables. Journaliste pour le magazine américain The Atlantic, Olga Khazan a regardé la télévision russe pendant une semaine. Le constat est édifiant avec comme fil conducteur, le relais systématique du discours du Kremlin (3) : « Dans la version russe de la guerre, les Russes sont des libérateurs, les Ukrainiens des Nazis, et l’Occident une bande de menteurs hypocrites […] Celle d’une invasion injustifiée, où les Russes sont les envahisseurs, est trop horrible à entendre ».

Paysage médiatique russe contrôlé par l’Etat
par @selectedwisdom et @EUvsDisinfo

Bâillonner les médias indépendants

Dans le sillage du contrôle resserré des médias publics, le régime de Poutine mène effectivement la vie dure à la presse qui entend dévier du discours officiel. Depuis le début du conflit en Ukraine, les autorités n’ont cessé de porter des coups aux récalcitrants. Une des premières radios libres apparues en 1990, L’Echo de Moscou, a dû se replier sur YouTube après avoir vu son autorisation d’émettre supprimée par la tutelle d’Etat. Un sort quasi identique a été réservé aux chaînes comme Dojd et TV Rain qui ont dû arrêter leurs programmes. Nombre de journalistes russes ont même quitté le pays pour s’établir à l’étranger et tenter de poursuivre leur métier. Enfin, symbolique bastion anti-Poutine et principal média d’opposition en Russie depuis les années 1990, Novaïa Gazeta a suspendu sa publication le 28 mars dernier.

Les correspondants de la presse étrangère ne sont guère mieux traités. Début mars, la direction du New York Times a décidé de retirer ses reporters de Russie, rejoignant ainsi l’exode d’autres organismes de presse internationaux craignant pour la sécurité de leurs équipes. Mais également pour leur liberté depuis que la loi « anti-fake-news » est entrée en vigueur le 4 mars. Celle-ci donne aux autorités russes un large pouvoir pour emprisonner les journalistes (jusqu’à 15 ans) dont le travail est jugé déplaisant ou qui mentionnerait les mots « guerre » et « invasion » à propos de l’Ukraine. Rédacteur en chef de l’Echo de Moscou, Alexeï Venediktov résume la situation (4) : « Nous vivons maintenant dans un quasi-état de guerre, et le gouvernement introduit pas à pas des lois restrictives qui touchent à la liberté d’expression en général, pas seulement les journalistes ».

Recentrer les réseaux sociaux sur l’écosystème russe

Avec l’invasion en Ukraine, les réseaux sociaux ont très vite été à leur tour dans le collimateur du Kremlin qui a par ailleurs méthodiquement construit un arsenal législatif très restrictif depuis plus de dix ans. Le 4 mars, c’est Facebook qui a été le premier à subir les foudres du régime de Poutine en étant tout simplement coupé depuis la Russie. Quant à Twitter, l’accès à son gazouillis est largement restreint. Puis, c’est Instagram qui a été banni quelques jours plus tard au motif que le réseau ne supprimait pas les messages hostiles à l’armée et aux dirigeants russes. Dernier acte de censure à date : la limitation d’accès à Google News accusé de répandre de fausses informations sur la guerre en Ukraine. Dorénavant, c’est YouTube qui est en ligne de mire des autorités russes.

Si les messageries instantanées Telegram et WhatsApp continuent de fonctionner, il n’est toutefois pas exclu que Moscou ne veuille à terme effectuer des tours de vis supplémentaires. Avec pour objectif ultime de confiner le trafic des internautes russes sur l’écosystème national, à savoir VKontakte (équivalent local de Facebook), le moteur de recherche Yandex ou encore le réseau social moins connu, Odnoklassnicki. Lesquels sont tous étroitement contrôlés par le Kremlin. Seule esquive possible : recourir à un réseau virtuel privé (VPN) pour contourner les blocages. Une technique qui est loin d’être à la portée de tous les citoyens russes qui de surcroît, sont nombreux à ne pas parler anglais.

Axe n°2 : Accuser et diaboliser les autres

Là aussi, la tactique narrative est clairement établie. Il s’agit d’abord de diaboliser l’Ukraine en la faisant passer pour un Etat nazi qui commet des génocides envers les populations russophones. Notamment à travers le sulfureux régiment Azov intégré depuis à l’armée régulière ukrainienne. Un argument massue tant les ravages du nazisme en Europe de l’Est et en Russie restent vivaces dans la mémoire collective russe qui l’a douloureusement combattu lors de la deuxième guerre mondiale. Ensuite, il s’agit d’accréditer l’idée que l’OTAN est l’organisation qui tire les ficelles de l’Ukraine pour intégrer le pays dans son giron occidental. Avec dans les coulisses, les Etats-Unis qui manipulent et menacent l’influence géopolitique russe.

Mener des opérations sous « faux drapeau »

Plus communément connu sous le terme anglophone du « false flag », ce leurre informationnel consiste à imputer à son ennemi des faits ou des intentions odieux (ou imaginaires) pour mieux le discréditer et justifier ainsi une riposte à son égard. Sitôt le conflit ouvert avec l’Ukraine, la machine de guerre informationnelle russe a multiplié les attaques de ce genre. Parmi celles-ci, on peut retenir trois exemples symptomatiques de l’effet recherché :

  • La présence en Ukraine d’un réseau secret de laboratoires biologiques servant à concevoir des armes chimiques. Ces laboratoires seraient financés et soutenus en sous-main par les Etats-Unis (lire à cet effet l’excellent article des Décodeurs du Monde qui retrace l’origine de cette théorie du complot dont se sert actuellement Moscou)
  • Le bombardement d’une maternité et d’un hôpital pédiatrique à Marioupol le 9 mars relèverait de la mise en scène par des nationalistes ukrainiens et non d’une offensive russe. Autre théorie propagée : le controversé régiment Azov (connu pour ses sympathies néo-nazis) se serait servi des bâtiments comme boucliers humains (lire à cet effet l’article de France Info)
  • Les massacres de civils découverts le 2 avril dans la ville de Boutcha sont une falsification ukrainienne pour accuser l’armée russe de crimes de guerre (lire l’article des Vérificateurs de TF1)

Industrialiser en permanence les fake news

Les trois exemples mentionnés ci-dessus sont l’illustration typique de l’appareil de désinformation russe : détourner un fait, jouer sur les zones d’ombre qui peuvent subsister et inverser fortement la charge de l’accusation envers les adversaires. Spécialiste des cultures numériques à l’Université de Paris, Tristan Mendès France explique (5) : « Dès qu’une séquence est défavorable au Kremlin, la machine à propagande va chercher à créer la confusion, en diffusant systématiquement différents scénarios ».

Les chercheurs du Media Forensics Hub à l’université de Clemson en Caroline du Sud et les journalistes du site d’investigation indépendant ProPublica ont récemment mis à jour l’existence d’un dispositif quasi industriel baptisé « War on Fakes ». Née au départ sur une boucle Telegram en russe dès le 24 février, date de l’invasion russe en Ukraine, l’initiative se présente comme un service de fact-checking qui vise à débusquer la désinformation faite contre la Russie au sujet du conflit. Depuis, celle-ci s’est enrichie d’un site Web publié en 5 langues (anglais, français, espagnol, mandarin et arabe) qui passe au crible tous les fake news émanant supposément du gouvernement ukrainien.

L’audience de ce dispositif est en continuelle augmentation. Au 7 mars, elle atteignait déjà plus de 625 000 abonnés et plus de 30 millions de vus (6). Se voulant apolitique, la démarche est dans les faits ouvertement pro-russe bien qu’à ce jour, les auteurs ne soient pas clairement identifiés comme l’explique Ingrid Dickinson, la chercheuse à l’origine de cette trouvaille (7) : « Elle répand cette idée qu’il y a en fait une guerre de l’information lancée contre la Russie et non l’inverse. Je pense que c’est vraiment le grand concept, ici. Et ce que le site fait est assez délicat, parce qu’il se sert de l’autorité morale de vérificateurs de faits prétendant être apolitiques et avoir cette fiabilité qui peut ensuite être amplifiée par les médias d’État russes. Donc, que vous croyiez ou non les médias d’État russes, vous pouvez alors vous tourner vers ce média externe et dire : eh bien, ils sont apolitiques, ils font une vraie analyse ici. »

Axe n°3 :
Amplifier la désinformation et infiltrer en mode « soft power »

Depuis plusieurs années, la Russie se distingue en matière de diffusion de fausses informations (ou d’informations biaisées). Même s’il recourt en parallèle à l’usage de fake news à l’allure un peu bâclées mais suffisantes pour toucher des publics déjà acquis, le régime de Poutine s’exerce aussi au « soft power ». Les cas les plus emblématiques sont l’agence de presse Sputnik News (lancée en novembre 2014) et la chaîne de télévision Russia Today (RT lancée en 2005).

Déclinés en plusieurs langues et accessibles via de multiples canaux numériques, ces deux outils d’influence n’ont de cesse de pousser des informations pro-Poutine tout en accueillant à bras ouverts et micros tendus, le ban et l’arrière-ban des dissidents populistes. En France, on peut citer par exemple l’économiste Jacques Sapir, l’avocat Pierre Gentillet ou encore l’ex-lobbyiste Alexis Poulin. Si RT et Sputnik sont désormais interdits de diffusion dans l’Union européenne depuis le 2 mars, il n’en demeure pas moins que leurs obligés continuent à égrener la « bonne parole » du Kremlin partout où cela leur est possible.

Les diplos se font twittos !

Privé de ses fers de lance, le régime de Poutine n’abdique pas pour autant. Depuis le début de la guerre en Ukraine, ce sont par exemple les comptes Twitter des ambassades russes de plusieurs pays européens qui montent au front de la désinformation sans barguigner. En France, la représentation diplomatique russe a d’emblée adopté un discours musclé jusqu’à diffuser récemment des caricatures douteuses accusant les pays européens et les USA (avant de les supprimer).

Elle n’est pas non plus la dernière à relayer avec empressement les fake news comme lors du bombardement de la maternité de Marioupol où l’ambassade a dégainé des salves de tweets dénonçant des manipulations de néo-nazis ukrainiens. Jusqu’à qualifier le bombardement d’arnaque et à repartager des comptes français ouvertement conspirationnistes ! Un pari payant néanmoins. En mars, le compte enregistrait 22 000 abonnés. A l’heure actuelle, il est rendu à plus de 43 000 !

Montage Fact & Furious

La « dark information » française à l’œuvre

La très active propagande russe jouit du relais non moins actif d’acteurs français mais pas toujours à visage découvert ou pleinement assumé. Historienne et essayiste belge, spécialiste de la propagande russe et du complotisme, Marie Peltier l’a remarqué (8) : « Ils s’apparentent à ce que certains appellent de la propagande douce : « Je ne suis pas pour Poutine, mais… » On ne dit pas qu’on est pour la Russie, mais on condamne un « deux poids, deux mesures » en Occident, et une attention médiatique et humanitaire pour l’Ukraine qui serait disproportionnée par rapport à d’autres conflits, comme le Yémen ».

Deux exemples parmi d’autres distillent subtilement et subrepticement cette petite musique pro-Poutine. Avocat au barreau de Paris ayant longtemps eu son rond de serviette sur le plateau de RT France, Pierre Gentillet est l’un d’entre eux. Aujourd’hui, il a rebondi sur CNews où il est régulièrement invité à commenter l’actualité sans jamais préciser qu’il est aussi président-fondateur du cercle franco-russe Pouchkine. Face au bombardement de la maternité de Marioupol, il n’hésite pas à dresser un parallèle avec la pseudo- infirmière qui avait faussement allégué des meurtres de bébés koweitiens par les troupes de Saddam Hussein en 1990. De même sur les massacres de Boutcha, l’impétrant réitère son exercice de style sur CNews en évoquant l’affaire des vrais-faux charniers de Timisoara en Roumanie en 1989.

Une autre passionaria de l’information tronquée a également récemment servi la cause poutinienne. Se présentant comme une journaliste spécialiste du Donbass, Anne-Laure Bonnel entend dénoncer les exactions de Kiev envers les séparatistes pro-russes mais à travers un prisme très orienté Kremlin. Elle trouve très vite écho début mars en étant invitée par André Bercoff sur Sud Radio puis par Pascal Praud sur CNews bénéficiant ainsi d’un solide écho médiatique tout en se défendant de cautionner Poutine. La même se retrouve ensuite citée en exemple dans l’émission de Cyril Hanouna sur C8 par un invité complotiste de la première heure et ancien gilet jaune, Oliv Oliv. Une façon habile de faire circuler les thèses pro-Kremlin sans l’air d’y toucher.

Les complotistes antivaxs en mode supplétif

En France, la galaxie des complotistes antivaxs de la première heure s’est trouvé un nouvel os à ronger depuis que la pandémie du coronavirus a reflué (du moins en termes de couverture médiatique). L’illustration la plus emblématique est sans nul doute le conspirationniste Silvano Trotta. Ardent opposant au vaccin et au pass sanitaire, cet entrepreneur a converti tous ses réseaux d’expression à l’heure de la guerre en Ukraine. Sur YouTube et ailleurs, il ferraille sans arrêt contre la suspension de RT France, contre les médias traditionnels (les fameux « mainstreams ») accusés d’occulter la réalité et de s’acharner contre Vladimir Poutine.

Ce qui pourrait sembler farfelu ou superfétatoire de la part de ces agités perpétuels, produit pourtant des effets. Une étude dévoilée fin mars par l’Ifop et la fondation Reboot montre notamment qu’il existe une réelle porosité entre les discours pro-Poutine et l’opinion publique française. Plus d’un Français sur deux (52%) croient au moins à une des thèses russes sur les origines de la guerre en Ukraine tandis que 34% désapprouvent l’interdiction de Sputnik et RT en France. Une porosité particulièrement exacerbée parmi les électeurs d’Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, relève par ailleurs l’étude (9).

Alors, combat perdu en perspective ?

Est-ce à dire que face à cette machine de guerre entièrement dédiée, les systèmes démocratiques pêchent à endiguer efficacement la désinformation ? Certes, un coup d’arrêt a été mis au travail de sape informationnelle de RT et de Sputnik (non sans déclencher des polémiques sur la liberté d’expression) mais la petite musique de fond continue de prospérer.

Vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova dirige les travaux concernant la lutte contre les ingérences extérieures, la protection de la liberté des médias et la défense de l’Etat de droit. Du fait de sa nationalité tchèque, elle est particulièrement consciente des risques pathogènes de cette désinformation (10) : « Il est difficile de connaître l’impact de cette désinformation sur les opinions publiques, mais, en Slovaquie par exemple, un récent sondage montre que 44 % des habitants pensent qu’effectivement, l’OTAN est à l’origine de la crise entre la Russie et l’Ukraine. Confrontés à un tel lavage de cerveaux, imaginez les difficultés des gouvernements démocratiques pour convaincre leurs citoyens s’ils devaient agir dans cette crise ».

Ce caractère insidieux de la désinformation couplé à un dispositif puissant fait de musèlement des journalistes en Russie et de l’exploitation de la défiance actuelle qui ronge les démocraties occidentales à l’égard de ses institutions et ses médias, est particulièrement préoccupant. D’autant que les messages circulent majoritairement à travers les réseaux sociaux, les faux-nez et les messageries instantanées. Ils viennent s’agréger à des contestations qui n’ont souvent rien à voir directement avec la guerre d’Ukraine mais qui permettent de nourrir la défiance qui a déjà tant fonctionné à propos des vaccins et du Covid-19. Si la guerre vient à s’éterniser avec des effets collatéraux comme des pénuries alimentaires ou énergétiques, il ne serait pas étonnant de voir des basculements d’opinion se produire en France et dans d’autres pays européens si rien n’est entrepris pour juguler les dérives de ceux qui prêtent main forte à la désinformation du Kremlin.

Sources

– (1) – « Rideau de fer digital : cette guerre cruciale de l’information que Poutine est en train de gagner malgré les performances de Zelensky » – Atlantico.fr – 12 mars 2022
– (2) – « Guerre en Ukraine : une journaliste dévoile les coulisses de la propagande russe » – France 24 – 23 mars 2022
– (3) – Nina Pareja – « À la télévision russe, Poutine est un sauveur et un libérateur » – Slate.fr – 12 mars 2022
– (4) – Nicolas Madelaine – « Le Parlement russe resserre l’étau de son contrôle de l’information » – Les Echos – 4 mars 2022
– (5) – Felicia Sideris – « Le massacre de civils à Boutcha, cas d’école de la propagande russe et de la complosphère » – TF1 Info – 4 avril 2022
– (6) – Ingrid Dickinson – « Russian Telegram channel embraces fact-checking tropes to spread disinformation » – Digital Forensic Research Lab – 7 mars 2022
– (7) – Nicholas De Rosa – « De fausses vérifications de faits sur l’invasion connaissent un grand succès en Russie » – Radio Canada – 23 mars 2022
– (8) – William Audureau – « Désinformation russe : « On a réagi trop tard, les discours du Kremlin sont déjà bien trop implantés en France » – Le Monde – 1er avril
– (9) – « Sondage : le grand basculement des complotistes » – Conspiracy Watch – 27 mars 2022
– (10) – Stéphanie Le Bars et Isabelle Mandraud – « Les campagnes russes de désinformation sont pensées pour cibler les points faibles dans chaque société » – Le Monde – 9 février 2022