Twitter/X : Jusqu’où la décadence ? Le 27 octobre, soyons tous #notwitterday !

La prise de contrôle de Twitter puis l’introduction de Twitter Blue avaient déjà été émaillées de sérieux dérapages dont Elon Musk n’était pas le dernier des déclencheurs. Cet été, Twitter est devenu X tout en continuant à s’enfoncer dans un cloaque où la désinformation et la radicalité des profils pullulent. Etat des lieux d’un réseau social décati à l’orée de la journée de mobilisation du 27 octobre organisée par un collectif français pour boycotter l’usage de la plateforme pendant 24 heures.

C’est une fronde qu’Elon Musk regardera probablement d’un œil dédaigneux et bravache comme à son habitude. Il n’empêche que l’initiative lancée par Tristan Mendès France, Rudy Reichstadt (animateurs de Conspiracy Watch, un site de lutte contre la désinformation) et Julien Pain (journaliste animateur de l’émission « Vrai ou Fake » sur France Info) souligne parfaitement le degré d’exaspération que X (ex-Twitter) suscite chez ses utilisateurs qui déplorent la déliquescence totale du réseau né en 2006. Dans une tribune publiée dans Le Monde, le trio invite (à l’occasion du 1er anniversaire de la date du rachat opéré par Musk) à cesser d’être actif sur Twitter pendant toute la journée du 27 octobre. Aucun tweet, aucun partage, aucun commentaire mais le silence en guise de contestation et le hashtag #notwitterday comme signe de ralliement.

Musk n’est pas propriétaire de ses utilisateurs

Dans cette tribune signée au demeurant par de nombreuses personnalités françaises (comme l’humoriste Sophia Aram, le philosophe des sciences Etienne Klein ou encore la professeure de médecine Karine Lacombe), les auteurs ne se contentent pas seulement d’égrener une litanie de reproches (justifiés) à l’encontre du propriétaire de X/Twitter. Ils veulent faire valoir la voix des utilisateurs, ceux qui ne s’adonnent pas à la haine, à la propagande russo-chinoise, au conspirationnisme, à l’épandage de fake news et au harcèlement en meute contre celles et ceux qui expliquent par exemple les conséquences du dérèglement climatique ou qui encouragent la vaccination contre le Covid-19.

Bien qu’il ne semble pas s’attendre à un raz-de-marée de « grévistes », le trio estime que c’est le bon moment pour rappeler à Musk qu’il n’est pas le détenteur exclusif de ceux qui utilisent Twitter (1) : « Twitter n’est que la somme de ses utilisateurs. C’est grâce à nous que cette plateforme vit. Si on prend tous conscience et si tous, on décidait de migrer sur une autre plateforme ou d’arrêter de tweeter pendant un certain temps, ça pourrait avoir un impact ». Avec en toile de fond, la possibilité de prendre le large vers d’autres réseaux sociaux comme Mastodon ou Bluesky qui n’ont certes pas la même envergure mais qui proposent des conversations et des publications nettement moins malsaines que sur X/Twitter.

Une modération des contenus immodérément massacrée

Avant l’ère Musk, Twitter n’était pas exempt de reproches sur la modération mais il existait tout de même quelques règles de bon sens et de salubrité publique pour éviter que les choses ne dérapent trop. Journaliste tech sur BFMTV, Raphaël Grably avait mis la main en décembre 2021 sur un rapport que la plateforme avait transmis au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) quelques mois plus tôt. On y apprenait notamment que l’oiseau employait alors 1 867 modérateurs au niveau mondial (2). Soit l’équivalent d’un modérateur pour 200 000 profils inscrits ! Autant dire une tâche herculéenne quasi impossible à mener de façon efficace pour filtrer les fausses informations et les propos haineux.

L’arrivée d’Elon Musk a aussitôt sonné le glas de cette maigre équipe qui s’appuyait tant bien que mal par ailleurs sur des algorithmes de détection d’abus de langage. A peine installé dans son fauteuil de « twitto en chef », il taille et décapite à la hache les effectifs des équipes de modération. Pire, il amnistie quantité de profils qui avaient été précédemment bannis pour cause de fake news, de propos extrémistes et autres joyeusetés du genre. Ce qui marque alors le retour en force des xénophobes, des complotistes et des homophobes qui ne se privent guère de reprendre la parole et infester le réseau. Arrivée quelques mois avant l’acquisition de Musk, Ella Irwin jette à son tour l’éponge en juin 2023. En charge de la politique de modération du réseau social et tous les sujets liés au harcèlement, à la haine en ligne, à la désinformation ou aux spams, elle n’a pas fait de commentaires publics sur sa démission. Mais, il n’est point besoin d’être grand clerc pour deviner que l’assouplissement obsessionnel de son patron pour les règles de conduite a pesé dans la balance de sa décision.

Twitter Blue, bonnet d’âne de la désinformation

En lançant la formule d’abonnement payant Twitter Blue (lire par ailleurs sur ce blog), Elon Musk a largement ajouté des vers dans le fruit de la désinformation. Outre le fait de conférer une impression fallacieuse de légitimité et de crédibilité aux possesseurs d’une coche bleue, ce service favorise délibérément les abonnés souscripteurs en leur assurant une plus grande visibilité et un meilleur « reach » dans les fils d’actualité par rapport à ceux qui se contentent de la gratuité. Il fallait s’y attendre. L’immense majorité des estampillés Twitter Blue provient des cohortes de falsificateurs, de conspirationnistes et de trolls agressifs qui grapillent là une chambre d’écho inespérée.

Un rapport de NewsGuard a d’ailleurs pointé l’accroissement de la désinformation qui sévit sur X/Twitter. La start-up spécialiste de l’observation de la désinformation a passé au crible 25 comptes de plus de 50.000 abonnés certifiés par Twitter Blue entre le 1er et le 7 mars et ayant diffusé 176 tweets (originaux ou relayant d’autres tweets) « contenant des informations fausses, trompeuses ou sans fondement » (3). Durant cet intervalle, les messages ont été vus au total 27 millions de fois et « aimés » ou retweetés plus de 760.000 fois. Pire encore ! Sur ces 25 comptes, 10 avaient été suspendus par le passé et restaurés depuis l’acquisition de Twitter par Musk. No comment !

Ce constat a été de surcroît corroboré par une étude du Center for Countering Digital Hate (CCDH) parue en juin 2023. L’ONG américaine a circonscrit une centaine de comptes Twitter Blue. A partir de ce panel, le CCDH a systématiquement signalé à X/Twitter, tous les tweets à caractère haineux ou allant à l’encontre des règles de modération de la plateforme. Résultat : 99% des publications concernées n’étaient toujours pas supprimées, un mois après les signalements. Tout récemment, Boris Le Lay, militant d’extrême-droite réfugié au Japon et condamné plusieurs fois par la justice française pour incitation à la haine raciale, a de nouveau débarqué sur la plateforme sous l’alias @borislelay00. Il poste impunément des messages à caractère clairement antisémite. Je l’ai signalé à plusieurs reprises. L’ignoble personnage sévit toujours.

Conflit Hamas/Israël : Musk, chef saucier de la désinformation

Depuis que les terroristes palestiniens du Hamas ont déclenché les hostilités envers Israël le 7 octobre dernier, X/Twitter s’est transformé en bouillie indigeste et glauque où le trucage des informations est poussé à son paroxysme. Un nouveau rapport de NewsGuard a mis en évidence que 74 % des fake news provenaient de comptes « bleus » payants (4). Ces mêmes comptes « certifiés » qui reçoivent désormais de l’argent de Musk lui-même s’ils parviennent à totaliser plus de 5 millions de vues sur trois mois ? Autant dire que la surenchère des images morbides, horribles, falsifiées a embrayé dès les premiers assassinats du Hamas puis s’est poursuivi avec les représailles militaires de Tsahal sur la bande de Gaza. En excitant les haines à coup de monnaie sonnante et trébuchante, Musk ne fait qu’hystériser la plateforme au profit des plus dévoyés et des plus dingues.

Sous la houlette du commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, l’Union européenne a d’ailleurs ouvert une enquête dès le 12 octobre pour la diffusion présumée de « fausses informations »,  « contenus violents et à caractère terroriste » ou « discours de haine ». Ce tour de vis probable va-t-il générer des effets concrets pour que Musk se conforme enfin aux règles européennes (Digital Services Act notamment) entrées en vigueur fin août pour mieux faire la chasse aux contenus illégaux ? Cela reste à voir bien que certains signes montrent un ralentissement de l’audience de X/Twitter ces derniers temps. Selon les données de Similar Web, la plateforme a enregistré un recul de son audience en Septembre 2023 avec environ 600 millions de visiteurs en moins soit 5,8 milliards de visiteurs mensuels contre 6,4 milliards le mois d’avant (5). Une baisse qui se vérifie dans 83 % des 176 pays qui ont accédé à X en septembre 2023.

Vers un effritement de l’audience ?

Les signaux chiffrés sont à cet égard dans le rouge. Aujourd’hui, la valorisation de X/Twitter tourne autour de 15 milliards de dollars tandis que Musk a dû débourser un an plus tôt 44 milliards pour s’offrir son caprice numérique. Ces derniers jours, le cabinet de conseil en marketing Ebiquity a confirmé l’hémorragie des annonceurs qui quittent tour à tour la plateforme même si Linda Yaccarino, PDG de X, a clamé le contraire (6). Soucieuses de leur réputation, il serait surprenant de voir de grandes marques continuer à acheter de l’espace publicitaire sur une plateforme qui moisit dans la désinformation et la haine à longueur de temps.

Dans l’immédiat, souhaitons que le #notwitterday rencontre un certain écho et qu’il soit le prélude à un futur exode massif vers des plateformes alternatives. Le défi est de taille tant X/Twitter reste encore très utilisé par les gouvernements, le monde politique et les médias pour diffuser leurs messages. Tant que ceux-ci officieront prioritairement sur ce réseau, il sera compliqué de voir des substituts capables de rivaliser et de laisser X/Twitter à sa déchéance programmée. Toutefois, compliqué ne veut pas forcément dire impossible. Alors, le 27 octobre, on laisse Musk et ses aficionados déglingos bavasser dans leur coin !

Sources