[Conférence] – Mission ou démission : l’image des DRH est-elle définitivement fichue ?

Expert de la fonction ressources humaines et dirigeant fondateur de l’agence Parlons RH, Thomas Chardin intervenait le 30 novembre dernier sur la crise de sens que traversent les DRH dans l’exercice de leurs fonctions en entreprise. Chez les collaborateurs comme chez les candidats, l’heure est à la défiance exacerbée envers cette fonction qui éprouve encore des difficultés à se situer. S’agit-il de n’être qu’un gestionnaire de paie et de plans de formation ou bien d’avoir un rôle plus stratégique et aiguillon pour permettre à l’entreprise d’attirer (mais aussi de retenir) les meilleurs ? Points clés d’une intervention plutôt stimulante.

Fort de plus de 25 ans d’expertise dans l’univers RH, Thomas Chardin a publié en avril 2021 un petit opus plaidoyer envers les DRH intitulé « DRH, Mission ou démission ? ». Dans ce livre, il exhorte les acteurs des ressources humaines à en quelque sorte se reprendre en main pour cesser d’être perçu comme une fonction administrative désincarnée et pour devenir au contraire un agent de liaison de l’entreprise avec les collaborateurs mais également les candidats susceptibles de la rejoindre un jour. Lors de la 5ème édition des rencontres « Les RH parlent aux RH » le 30 novembre à Levallois, il a remis en perspective les enjeux multiples à relever et les pistes à explorer pour redorer l’image du DRH et sa valeur ajoutée.

Trois enjeux managériaux de taille

Le premier d’entre eux est la guerre des talents. En dépit d’un chômage structurel persistant, les entreprises rencontrent des difficultés pour dénicher le profil recherché. Selon le dernier baromètre annuel de Pôle Emploi, 58% d’entre elles ne parviennent pas à recruter les compétences souhaitées. En 2017, ce chiffre n’était que de 37% mais nul doute qu’il est encore appelé à progresser à l’heure où le zapping des plus jeunes générations et le sentiment de désengagement des salariés sévissent plus que jamais. Tous les secteurs sont concernés par cette pénurie pour laquelle les DRH sont en première ligne. Entre un sourcing des talents où la concurrence fait rage et une attractivité de l’entreprise souvent en berne ou carrément pas crédible, la fonction RH écope tant bien que mal.

Le second enjeu intervient lorsque le premier a été tant bien que mal résolu : la fidélisation des recrues. En 20 ans en France, le turnover moyen des entreprises a été multiplié par deux à tel point qu’il y a parfois plus de départs que d’arrivées dans les effectifs d’une organisation. Ainsi, 46% des jeunes décrochant un premier CDI quittent leur poste avant un an. Toutes générations confondues, c’est un salarié sur trois qui flanque sa démission avant le premier anniversaire de son embauche. Et le taux des démissions continue d’aller crescendo. Particulièrement depuis la crise sanitaire où nombre de collaborateurs entendent réviser leurs priorités entre vie professionnelle et vie personnelle mais également exiger un environnement de travail motivant et respectueux. Une équation complexe sur laquelle bute une majorité de DRH.

Enfin, pour les personnes qui restent, un troisième enjeu s’ajoute sur la « to do list » des RH : celui de l’engagement. En 1993, 54% des collaborateurs interrogés estimaient que la relation employeur-employé était globalement gagnante pour tous. En 2022, ce chiffre a chuté à 39% tandis que 48% jugent que l’employé est désormais plutôt perdant. Un désenchantement qui se traduit par deux formes d’absentéisme. D’abord sur le plan moral où nombre de collaborateurs adoptent la fameuse notion de « quiet quitting » (démission silencieuse) qui consiste à ne faire que le strict minimum exigé par la description de poste. Ensuite, il y a l’absence physique. Actuellement, un salarié est absent de l’entreprise à raison de 25 jours par an en moyenne en France. D’après l’Indice de Bien-Être au Travail (IBET©) créé par le groupe Apicil et le cabinet Mozart Consulting, cette désaffection a un coût : 14 310 € par salarié par an.

Face à ces trois enjeux, la question clé demeure ouverte pour la DRH : comment l’entreprise peut-elle devenir (ou redevenir) intéressante durablement pour les candidats qui postulent et les collaborateurs qui apportent leurs compétences ?

Capter et retenir l’attention

Les entreprises ont du mal à capter l’attention de leurs publics cibles. Et pour Thomas Chardin, cela commence déjà par savoir optimiser le référencement naturel (SEO) des annonces publiées. Trop d’entreprises diffusent à tout va sans réellement se préoccuper de l’adéquation avec la cible visée. Résultat : quantité d’offres ne trouvent pas les personnes auxquelles elle s’adressent. « Il ne s’agit pas pour autant de transformer la RH en régie publicitaire » prévient Thomas Chardin, mais d’abord d’être visible aux endroits pertinents et avec les bons contenus si possible. De plus, nombre de sociétés font encore l’impasse sur les commentaires qui leur sont décernés sur des plateformes comme Glassdoor et Indeed. Or, aujourd’hui, 83% des candidats font d’abord des recherches sur Google pour en savoir plus sur l’entreprise et 39% stoppent illico en cas de mauvais retours. Cette première déperdition est souvent irréversible.

Thomas Chardin estime que la fonction RH devrait s’emparer plus activement de la notion de « care » en pratiquant une écoute dynamique des collaborateurs comme des personnes rencontrées au cours d’entretiens de recrutement. Autrement dit, « il s’agit d’en faire autant pour les collaborateurs que ce qu’on fait pour les clients ». Une position qui a toutefois généré quelques résistances au sein de l’audience de la conférence, notamment une manager RH qui juge que son rôle n’est pas de se transformer en « soignant ». Reste donc à trouver comment placer le curseur avec finesse.

Enfin plus globalement, le métier de DRH jouit d’une réputation assez peu flatteuse. Deux livres récents ont particulièrement enfoncé le clou. En 2013, « DRH, le livre noir » de l’universitaire Jean-Pierre Amadieu spécialisé sur les ressources humaines, a vivement stigmatisé les dérives de la profession. Cinq ans plus tard, c’est au tour de « DRH, la machine à broyer » écrit par Didier Bille, ex-DRH dans des grandes entreprises, qui s’indigne sur les méthodes de management où le licenciement n’est jamais très loin. En d’autres termes, le DRH est vu comme un « salaud uniquement rivé sur le compte de résultats ». Cette imagerie (pas totalement fausse malheureusement) se confirme dans les enquêtes d’opinion. Le baromètre Cegos de 2019 établit que 34% des personnes pensent que le facteur humain n’est pas pris en compte et 25% qu’il existe un manque total de proximité. Pour Thomas Chardin, si rien n’est entrepris par les professionnels pour changer, le risque de déconnexion déjà à l’œuvre, risque de s’accroître.

Trois pistes pour regagner du crédit et de la valeur ajoutée

Selon le fondateur et dirigeant de Parler RH, il existe plusieurs façons d’appréhender la fonction RH. Elle peut d’abord se focaliser sur la gestion des risques juridiques (contrats, licenciements, cas de harcèlement, plans sociaux, santé des collaborateurs, relations sociales avec les syndicats, etc) et des tâches administratives (paie, congés, organigrammes, descriptions de poste, etc). Une récente étude révèle d’ailleurs que 73% des RH passent essentiellement leur temps sur ces sujets. Ensuite, la RH peut être une fonction support auprès du management en termes de formation et accompagnement des équipes. Elle peut être également plus stratégique avec la gestion prévisionnelle des emplois, les nouveaux profils à cibler pour maintenir la performance de l’entreprise. Thomas Chardin suggère quant à lui de se concentrer sur le « R » de relation en privilégiant l’écoute active des managers et des collaborateurs. A ses yeux, c’est le moyen unique d’impulser une vraie dynamique où le potentiel humain devient l’enjeu clé.

Autre dimension à intégrer et qui va de pair avec l’écoute active : prendre en compte la perception des autres. Cela passe par exemple par se pencher sur l’expérience collaborateur (au sens vécu du terme) et prendre des mesures de bon sens comme permettre des délégations de pouvoir plus poussées au lieu de se retrancher derrière des séances de massage, des babyfoots et des paniers de fruits frais. A condition aussi de le faire savoir en interne et même en externe. C’est à ce prix que l’engagement peut s’améliorer. Le sentiment d’être pris en compte véritablement est un puissant levier.

Un axe est également à explorer : le ressenti des candidats non retenus. Bien souvent, réside une grande dissonance entre le déclaratif du recruteur et le vécu du recruté. Or, ce feedback souvent négligé concourt pourtant à la réputation d’une entreprise et sa marque employeur et peut même à terme avoir un impact sur des ventes de produits ou de services. Les candidats sont aussi des consommateurs.

Enfin, le changement de paradigme appelé par Thomas Chardin, n’aura réellement lieu que si l’audace d’agir et d’avancer avec des actions concrètes, est au rendez-vous. Pour l’expert, la DRH doit parvenir à déléguer certaines tâches techniques (par exemple le droit social qui revient au service juridique) et disposer de temps et de ressource pour se consacrer pleinement à des dossiers stratégiques comme la Qualité de Vie au Travail (QVT). Il s’agit aussi de changer de posture. De passer d’une marque recruteur avec une vitrine qu’on échine à rendre chatoyante à une authentique marque employeur nourrie par le vécu des collaborateurs. « Il faut se raconter mais pas se la raconter » glisse avec humour Thomas Chardin. Et pour convaincre les plus récalcitrants du comité de direction, sans doute faut-il également brandir et agiter les 14 310 € que coûte chaque salarié absent annuellement. Paradoxalement, c’est peut-être la force du chiffre qui permettra de retrouver l’indispensable affectio societatis dans lequel la DRH a pleinement un rôle à jouer. A condition d’oser bouger et admettre que l’image de la DRH nécessite d’explorer des voies nouvelles si elle veut retrouver des couleurs.



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