Manuel Valls à Matignon : Quels enjeux de communication pour le 1er Ministre ?

S’il est une différence qui saute immédiatement aux yeux entre le sortant Jean-Marc Ayrault et le fraîchement nominé Manuel Valls aux commandes de Matignon, c’est de toute évidence l’art et la maîtrise de la communication du second. Autant le prédécesseur de l’ancien maire d’Evry pratiquait un style amidonné et sans aspérité, autant le nouveau Premier ministre incarne le politicien fonceur et moderne totalement rompu aux arcanes de l’image médiatique et de la posture qui fait mouche. Peut-il conserver les recettes qui ont forgé sa réputation de « Sarkozy de gauche » ou doit-il ajuster sa stratégie de communication ? Revue de paquetage avant son premier discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale.

Bien qu’il soit longtemps demeuré aux marges du Parti Socialiste, Manuel Valls n’en a pas moins patiemment cultivé sa réputation de rectitude s’affranchissant régulièrement de la doxa du parti. Quand on feuillette l’album photo de sa carrière politique, on est d’emblée frappé par la constance de l’image qu’il projette : un port de menton altier, un regard de brun ténébreux et sérieux, une mâchoire serrée et déterminée qu’il affiche en toutes circonstances. Depuis ses premiers pas dans l’arène politique, son socle de communication s’articule en permanence autour de l’homme qui trace résolument son chemin et qui porte sans faillir ses convictions. En d’autres termes, Manuel Valls, c’est du costaud et du carré. Matignon désormais conquis, la réputation va-t-elle faillir à l’épreuve du pouvoir ou continuer de se renforcer ?

La com’ et Manuel, c’est du sérieux !

Le fameux discours en Camargue

Le fameux discours en Camargue

Si les journalistes ont autant tracé un parallèle entre Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, c’est précisément parce que le second est le décalque quasi identique du premier. Perfusé par l’obsession médiatique et l’image publique, l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine n’a eu de cesse de bâtir sa légende en s’entourant de publicitaires et de communicants.

A cet égard, sa campagne électorale de 2007 est techniquement un modèle du genre en matière de communication. De même, la scénarisation de sa vie privée a atteint des sommets qu’il s’agisse de son divorce ou de son remariage. Chaque événement était bon à mettre en scène pour nourrir l’image de battant énergique qu’il s’évertue encore aujourd’hui à entretenir à coups de « cartes postales » le positionnant comme le « sauveur » de la France.

Bien que Manuel Valls appartienne au camp d’en face, son approche de la communication procède du même instinct à l’affût des micros et des caméras pour se doter progressivement d’une stature indéboulonnable. Même si le nouveau Premier ministre n’est réellement sur le devant de la scène médiatique que depuis les primaires présidentielles du PS en 2011, l’homme s’est frotté très tôt aux exigences de la communication politique. De 1997 à 2001, il a été l’homme clé de la communication et des relations presse du Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin. Dans un livre paru en 1993 retraçant son ascension (1), l’un de ses proches conseillers se souvient de l’expérience en la matière qu’il a alors acquise (2) : « « Son rapport à la presse sera l’une des clés de son ascension. Il ne pense pas du tout que la presse incarne nécessairement un ennemi absolu, mais en même temps, il garde une vraie distance avec les journalistes. Manuel, c’est tout sauf la connivence. Il s’en méfie, il est lucide sur le pouvoir de la presse. Il a un rapport libre avec elle, âpre parfois, mais respectueux ».

Cette position stratégique, Manuel Valls l’occupera à nouveau en 2012 en devenant directeur de la communication de la campagne de François Hollande. Les observateurs s’accordent à dire que son rôle a été déterminant dans la conquête de l’Elysée. Constamment investi et veillant sur les moindres détails, Manuel Valls a conduit de main de maître la communication du candidat en alternant verrouillage strict et performances médiatiques percutantes comme le discours prononcé par François Hollande lors du meeting du Bourget. Autant dire que l’actuel locataire de Matignon n’ignore rien des subtilités mécaniques d’une stratégie de communication. Il en a d’ailleurs très vite administré la preuve en 2013 au cours d’un mémorable reportage estival en Camargue où le ministre de l’Intérieur d’alors discourait au milieu des rizières et des taureaux. Un storytelling que Nicolas Sarkozy a largement affectionné en son temps.

Un positionnement atypique et cohérent

Valls - nouvel obsSitôt son implication politique actée, Manuel Valls n’a jamais dérogé au positionnement qu’il s’est façonné avec une constance inébranlable au point de très vite avoir une réputation un peu à part dans son propre camp politique. Il n’a jamais vraiment correspondu avec l’archétype de l’apparatchik socialiste. De fait, son premier engagement politique se fait dans le sillage de Michel Rocard, qui est à l’époque en opposition frontale à François Mitterrand au sein du Parti Socialiste. La suite de sa carrière est à l’aune de cet atypisme qu’il ne dédaigne pas cultiver en diverses circonstances.

Par exemple, élu en 2001 maire d’Evry, une ville de banlieue plutôt difficile, il se fait souvent remarquer par des prises de position fermes, notamment en matière de sécurité et d’immigration. Il n’hésite jamais à se montrer plus sécuritaire que la majorité de ses camarades du PS. Plus récemment, il a même appelé à la refondation du parti et même à son changement de nom. Sur les 35 heures, loi emblématique de la gauche, il détonne à nouveau en jetant en pâture le mot de « déverrouiller » (3) le carcan législatif. Dans la galaxie de la gauche réformiste, Manuel Valls, c’est donc vraiment une petite musique à part. L’homme en joue volontiers. A tel point qu’il est régulièrement surnommé par ses détracteurs, le « Sarkozy de gauche ».

Historiquement cornaqué par le spin doctor et patron d’Havas Worldwide France, Stéphane Fouks, Manuel Valls a nourri cet atypisme qui progressivement l’a amené à prendre de plus en plus la lumière médiatique dans un parti où les éléphants étaient de surcroît en voie de fossilisation et de déconnexion avec la réalité du terrain. Durant son passage à la place Beauvau, il n’a pas dévié d’un iota notamment face à la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, soucieuse de renouer avec une politique judiciaire marquée à gauche. Il s’est opposé avec vigueur et a fait entendre sa différence dans les médias. Un coup gagnant dans une société actuelle où l’insécurité demeure une préoccupation majeure. Tellement gagnant qu’il fut l’un des très rares membres du gouvernement Hollande à ne pas voir sa cote de popularité s’enliser et dévisser dans les sondages d’opinion.

Peut-il maintenant rafler la mise ?

Valls - couverture paris matchEn endossant le costume de Premier ministre, Manuel Valls change inévitablement de dimension. Sa communication inflexible et conquérante ne va plus pouvoir continuer à jouer sa partition atypique. L’homme est désormais le timonier d’une équipe gouvernementale. Il n’est plus le joueur talentueux et fantasque au milieu d’une équipe qui se cherche. Il est maintenant le capitaine en charge d’animer et de coordonner l’action collective. S’il paraît acquis que les couacs de communication ayant émaillé de manière invraisemblable le gouvernement Ayrault, seront nettement et rapidement mis au pas par Manuel Valls, il n’en demeure pas moins que l’ex-maire d’Evry ne pourra pas continuer à cultiver éternellement son image de fermeté où le gourdin n’est jamais très loin. A l’instar de Nicolas Sarkozy qui a bâti une partie de sa popularité et de son impact médiatique sur son maniement sécuritaire du « Kärcher », Manuel Valls va devoir élargir son spectre communicant et ne plus se cantonner à son territoire d’expression à poigne et de détermination inflexible.

A cet égard, il est intéressant de noter que Manuel Valls a déjà commencé à desserrer quelque peu la cravate dans les médias. Lui qui avait jusqu’alors farouchement préservé son intimité et laissé très peu filtrer de choses sur sa vie privée, a accepté en 2010 de s’installer sur le canapé confessionnel lénifiant de l’émission de Michel Drucker, « Vivement Dimanche ». Avec un point d’orgue qui a particulièrement marqué les esprits où il contait sans retenue son coup de foudre pour la violoniste Anne Gravoin devenue sa seconde épouse. Depuis cet aveu télévisuel, les photos du couple n’ont jamais cessé de fleurir dans les magazines people au point d’être cette semaine en couverture de Paris Match. Comme si Manuel Valls avait besoin en effet d’adoucir sa rectitude catalane et d’instiller un peu plus d’empathie chaleureuse et d’humanité. L’enjeu n’est pas neutre. Il s’agit clairement pour lui de dépasser et de sublimer le propre personnage qu’il s’est construit jusqu’à présent.

Quels pièges potentiels ?

Valls - lunettesEn tant que Premier ministre, Manuel Valls ne peut décemment plus activer tous les leviers atypiques qui ont concouru à alimenter sa réputation d’homme de gauche moderne et prêt à briser les tabous si nécessaire. S’il n’a pas non plus à se départir de cette intrinsèque caractéristique, son image est toutefois liée maintenant à sa capacité d’articuler l’action gouvernementale d’une façon plus globale. De trublion volontiers affirmé, il va devoir passer à une posture plus politique sachant ménager les sensibilités diverses. Autant son autorité naturelle et sa réactivité atavique continueront à être de sérieux atouts pour épaissir sa carrure de présidentiable, autant il lui faudra discipliner sa rigidité parfois colérique. Ce point est d’autant plus crucial que son gouvernement compte en son sein des agitateurs patentés et similairement as de la communication comme Arnaud Montebourg ou encore Ségolène Royal. Sans parler de la nécessité d’éviter de faire trop d’ombre au président en chef !

Ces éléments vont forcément infléchir quelque peu la gestion de l’image de Manuel Valls. Il ne pourra plus orchestrer certaines divergences comme celle vécue en 2013 avec Cécile Duflot sur la question des Roms et des expulsions autoritaires. En cela, il peut s’inspirer de Nicolas Sarkozy qui une fois parvenu au commandement suprême de la République, n’a jamais vraiment réussi à se dépêtrer de son image de pile nucléaire prête à dégoupiller. Ce qui passait pour de la belle et saine énergie en phase de conquête, a progressivement été perçue pour de l’agitation cosmétique et médiatique en phase d’exercice du pouvoir. Manuel Valls ferait bien de s’inspirer des avatars de l’ancien Président. Aujourd’hui, ce sont plus que jamais les actes qui vont nourrir son image et bien moins les intentions et les postures soufflées par des spin doctors par ailleurs jamais comptables de leurs pseudo-géniales intuitions.

Sources

– (1) – Jacques Hennen et Gilles Verdez – « Manuel Valls, les secrets d’un destin » – Editions du Moment – Juin 2013
– (2) – « Seize choses que vous ignorez peut-être sur Manuel Valls » – Rue 89 – 31 mars 2014
– (3) – David Revault d’Allonnes – « Manuel Valls, la stratégie du bulldozer » – Le Monde – 2 avril 2014



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