[Note de lecture] – Didier Goutman : « Better and more – Quand le monde tourne avide »

Diplômé d’HEC, consultant en organisation des entreprises et coach en carrières, Didier Goutman a mis à profit sa riche expérience et son vécu des entreprises et des managers qu’il a accompagnés pour signer un roman à la fois féroce et implacable sur la mécanique managériale qui fait des tableaux Excel, l’unique boussole de la conduite du changement et de la performance. Avec néanmoins des notes d’humour et d’espoir, cet opus est réjouissant et salutaire.

Au départ, c’est l’histoire du groupe de restauration familial, Broissard qui vient de tomber dans l’escarcelle d’un fonds d’investissement anglais. Lequel entend rapidement faire fructifier sa mise financière pour cette acquisition. Il nomme Thibault Mac Dermott, un quadra dynamique et mercenaire sans état d’âme à la tête de l’entreprise avec une feuille de route limpide et inflexible : faire plus et mieux avec toujours moins.

Un style rédactionnel vif et nerveux

7 temps forts ponctuent le livre depuis la prise de contrôle de l’entreprise jusqu’à sa cession deux ans plus tard en passant d’une culture paternaliste et assez égocentrée autour du fondateur à des principes anglosaxons où la rentabilité devient l’obsession et où le management oscille entre injonctions à la Steve Jobs et pressurisation maximum des collaborateurs. Tour à tour, les différents personnages imaginés par Didier Goutman font leur apparition en confiant leurs impressions du moment, leurs espoirs, leurs doutes et leurs craintes.

Le style d’écriture est sobre, vif et nerveux, à l’aune du rythme d’enfer qu’entend impulser Thibaut Mac Dermott auprès de ses équipes. Pas de fioritures, ni de velléités. Il faut secouer le cocotier et suivront celles et ceux qui peuvent et/ou qui veulent. Il y a d’abord les anciens, témoins de l’aventure Broissard, qui découvrent avec effarement le style enjôleur et musclé du nouveau patron.

Débandade chez les anciens collaborateurs

On y rencontre (entre autres) un directeur de l’Exploitation et un DRH qui ne se font guère d’illusions et tentent de sauver ce qu’il y a à sauver à mesure que le nouveau management avance. Il y a aussi les restaurateurs récalcitrants qui vont directement au bras-de-fer et ne sont pas dupes des beaux discours de conventions, avec grève à la clé et mesures de rétorsion en retour. Il y a aussi ceux qui se découvrent un appétit avide de pouvoir et de reconnaissance comme le terne contrôleur de gestion Leriche qui voit là l’opportunité de faire avancer sa carrière (et fuir au passage sa vie familiale monotone et amidonnée) et qui va se transformer en factotum zélé.

Chacun joue des coudes ou courbe l’échine en espérant ne pas être la cible des fameux Key performance indicators qui mesurent et décortiquent le moindre processus pour optimiser temps et argent. Au fil de l’eau, certains démissionnent ou avancent leur départ en retraite. D’autres s’effondrent entre burn-out, désenchantement et suicide ou addictions. Le DRH est dépassé, les syndicats contournés. Il faut que ça crache. Et vite.

Désillusions chez les nouveaux

Ensuite, il y a les nouveaux entre récemment embauchés avant l’acquisition et fraîchement intronisés par le directeur général. Notamment, Christine Hirschner, la nouvelle directrice financière pourtant rompue aux méthodes anglosaxonnes mais qui laissera quelques illusions en cours de mission. Ou encore la toute jeune Céline Calmejane, responsable du marketing, qui se voit vite confier en direct des missions exaltantes par le directeur général tant son N+1 est translucide et peu impliqué dans le management de son équipe et œuvre avant à sa propre carrière. Il y a aussi Laetitia Palatine, directrice de la communication qui tente vainement de faire adopter une stratégie RSE par le nouveau comité de direction en permanence sous la pression des investisseurs anglais qui exigent des résultats immédiats.

Chacun va jouer sa partition dans l’espoir de faire carrière et d’obtenir la reconnaissance pécuniaire que leur implication sans faille mérite. Nombreux sont celles et ceux qui vont au passage écorner ou sacrifier leur vie privée et s’assoir sur leurs valeurs intrinsèques pour toujours plus répondre aux attentes du top management, lui-même sans cesse challengé par des Anglais plus que jamais indifférents au sort de ces collaborateurs français vus comme des fainéants et/ou des râleurs patentés.

 

Didier Goutman

Une satire parfaite d’un management totalitaire

Ce roman se lit d’un traite à la manière du binge-watching d’une série haletante de Netflix. Les anecdotes contées font forcément écho à quiconque a eu l’occasion de travailler au sein de grandes structures ou de grosses PMI/ETI absorbées par un groupe. Dans ce tourbillon agité par les reportings financiers et un management subtilement totalitaire, chaque personnage essaie de trouver un sens et de s’adapter avec plus ou moins de bonheur et de réussite. Le récit sonne comme une satire sacrément pertinente et impertinente du monde actuel de l’entreprise où la déshumanisation grandit jour après jour. Sans nulle autre logique que pondre du dividende pour les investisseurs aux moquettes capitonnées des bureaux londoniens.

Heureusement, le roman évite l’écueil de la noirceur intégrale (qui aurait en fin de compte pu être une option crédible tant nombre d’organisations se sont transformées en marchepieds pour ambitieux fiévreux et en concasseurs de compétences essorées). Luigi Bonello, un des restaurateurs historiques du groupe Broissard, finit par joliment rebondir. Idem pour la jeune Céline, responsable marketing, qui va bifurquer dans un univers plus proche de ses valeurs et ses aspirations après avoir failli perdre le compagnon qu’elle aime à cause de ses horaires à rallonge. 244 pages de pur plaisir qu’on aimerait « offrir » à ces « managers » qui ont perdu leur âme avant de se perdre eux-mêmes. 244 pages qui feront fortement écho au vécu de quiconque ayant passé du temps dans les grandes entreprises.

Le pitch ?

Mac Dermott, Leriche, Calmejane, Bonello… ils n’ont rien en commun, hormis une chose : tous travaillent pour la même entreprise, le groupe Boissard, une chaîne de restaurants qui vient d’être rachetée par un groupe d’actionnaires anglais. Et tous doivent participer à leur échelle à l’effort commun pour produire toujours mieux, toujours plus, afin de redresser les chiffres de vente et satisfaire les nouveaux patrons.

Si Mac Dermott s’est vu confier la lourde et motivante tâche de réformer le groupe, Bonello, manager d’un restaurant, vit au quotidien cette pression nouvelle qui change ses habitudes de travail – et pas toujours pour le mieux. Ancien DRH, nouvelle chargée de communication, responsable du contrôle de gestion… chacun s’efforce de remplir ses objectifs, bien souvent inconciliables avec ceux des autres.

Une mise en scène réaliste des dynamiques impossibles qui sous-tendent les grosses entreprises aujourd’hui, menant les employés vers la rupture.

Se procurer le livre sur le site des éditions Eyrolles (à paraître le 1er juin 2023)

interview de l’auteur au Journal de l’Economie (15 mai 2023)



Laisser un commentaire


Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.