Stratégie de contenus : La data, c’est bien. La data contextualisée, c’est mieux !

Big, smart, digital, etc, la data (autrement dit la donnée chiffrée) est assortie à toutes les sauces éditoriales depuis plusieurs années. A tel point que de nouveaux métiers ont émergé comme le data journaliste ou encore le data miner mais aussi de nouveaux éditoriaux comme la datavisualisation qui est l’art de synthétiser visuellement des données clés sur un sujet particulier. Des innovations éditoriales dont s’emparent différents acteurs avec plus ou moins d’inspiration. A Paris, un site intitulé « Qu’est Qu’on Fait ? » (QQF) trace un sillon où data et texte éditorialisé se conjuguent pour le meilleur. Retour sur images.

Si la data a ouvert un incontestable champ éditorial pour tous les créateurs de contenus (qu’ils journalistes, blogueurs, agences de communication ou médias d’entreprise), il n’en demeure pas moins que des chiffres ne sauraient à eux seuls raconter une histoire intelligible pour le public visé. Même s’il existe d’excellents logiciels capables de transformer des données arides en graphiques bigarrés et attractifs, la narration et la mise en perspective ne doivent pas être pour autant perdues de vue. C’est ce pari éditorial que l’agence parisienne Maartin entend relever avec son média QQF où la data est remise à sa juste place.

L’infographie, cet ancêtre de la data visuelle

QQF - usa-today-infographicIndéniablement, la data qu’Internet charrie et brasse en permanence a procuré de façon fulgurante une autre manière de lire et interpréter le monde. C’est d’ailleurs sur ce postulat informationnel que s’est fondé le data journalisme (ou journalisme de données en français académique). Les bases de données informatiques s’avèrent être un auxiliaire supplémentaire pour créer du contenu et donner de la valeur ajoutée à une thématique spécifique.

A cet égard, les infographies de la presse écrite annonçaient déjà en substance le challenge éditorial que la data a nettement accéléré : rendre visuellement attractif et compréhensible des processus, des schémas ou des chiffres au lieu de consacrer un long et roboratif article qui perdra la majorité de ses lecteurs en cours de route. C’est le quotidien américain USA Today qui fut le pionnier en la matière en accordant en 1982 une large place dans sa maquette aux graphiques d’information, les fameux « infografics ». Le succès est tel que l’idée traverse vite l’Atlantique pour essaimer en Europe. En France, c’est notamment l’agence spécialisée Idé qui popularise dès 1986 ce type journalistique parmi les rédactions françaises.

Pour autant, l’infographie ne se substitue pas totalement au reportage. Elle vient avant tout enrichir, simplifier, agrémenter ou accréditer le texte principal qui demeure le fil d’Ariane journalistique. Elle agit au même titre qu’une photographie pour zoomer ou résumer un fait clé sur l’éternel principe « qu’une image vaut mieux qu’un long discours ». Lorsque les données chiffrées engendrées par le Web et ses extensions numériques ont à leur tour commencé à être regardées comme des gisements informationnels nouveaux, le concept de datavisualisation s’est alors vite imposé au point parfois de se mélanger avec l’infographie pour beaucoup d’acteurs. Seule différence notoire : la dataviz est censée dérouler et résumer graphiquement une démonstration issue par exemple d’une étude ou bien rendre intelligible une base de données statistiques pour l’œil du public.

Donnez des données aux journalistes

QQF - The migrant fliesCette manne de data n’a guère tardé à inspirer un certain nombre de journalistes qui voyaient dans celle-ci, un moyen de raconter autrement des sujets couverts de façon classique mais pas toujours complète par les médias. Dans l’Hexagone, l’un des pionniers faisant référence en la matière est notamment Nicolas Kayser-Bril. Après avoir fait ses premières armes de data-journaliste au sein de la rédaction du site Owni.fr, il a cofondé en 2011, Journalism ++, une agence d’information totalement dédiée à cette discipline éditoriale. Sur sa fiche Linkedin, il se définit lui-même comme un spécialiste du storytelling de données. Récemment interrogé dans le cadre des Assises du Journalisme en mars 2016, il précise sa conception du métier (1) : « Pour moi, le data journalisme, c’est faire du journalisme à partir de données structurées. Ce sont des données qui peuvent être lisibles par un ordinateur ou des tableaux, mais pas uniquement ». Pour mieux se figurer ce que permet ce dernier, on peut en particulier se référer à l’une des productions de Journalism ++ intitulée « The Migrant Files » (primée par ailleurs à plusieurs reprises). A partir d’une base comportant les coordonnées de 23 000 migrants morts depuis 2000 en essayant de rallier l’Europe, une dizaine de journalistes a passé au crible l’impact des politiques migratoires des gouvernements des pays membres de l’Union Européenne.

Le sujet du data-journalisme a tôt fait d’interroger les rédactions de nombreux médias. Cette nouvelle méthode de raconter l’actualité, la société, l’économie, etc est-elle la martingale éditoriale qui va révolutionner le travail des éditeurs de contenus par la seule force des chiffres ? D’aucuns ont en effet assez vite succombé à un enthousiasme débridée où la data est jugée comme plus fiable et plus explicite que le regard humain forcément biaisé de celle ou celui qui restitue une histoire. Rédacteur en chef adjoint du service « Futurs » de Libération, Jean-Christophe Féraud souhaite tempérer cet emballement pour la chose chiffrée (2) : « C’est là que je me pose en porte-à-faux. Pour moi, avec un papier de mille mots, on contextualise, on peut raconter une histoire, chose que l’on ne peut pas faire avec du data ». Il ajoute qu’ « en journalisme, l’objectivité n’existe pas, seule l’honnêteté existe » bien qu’il convienne que c’est « un vrai plus pour comprendre et décrypter l’actualité en train de se faire ».

Et si on réconciliait le meilleur de chaque univers ?

QQF - InfographiesC’est précisément cette approche où texte, graphisme et chiffres se concilient au service d’une histoire et même d’une invitation à l’action individuelle ou application que Maartin, un bureau de conseil et de création de contenus basé à Paris, explore depuis mars 2015. Pour cela, l’agence a imaginé un nouveau média baptisé « Qu’est Qu’on Fait ? » (QQF). Sa vocation : parler des grands enjeux planétaires d’aujourd’hui et demain comme l’environnement, l’alimentation, la consommation, la santé, le traitement des animaux, les problématiques sociétales, etc.

Chez QQF, on teste en permanence de nouveaux formats éditoriaux où le travail du journaliste consiste à compiler des chiffres et des sources d’information sur un thème donné, de recouper si nécessaire avec des interviews téléphoniques, de rédiger le storyboard qui déroulera la trame de son récit mis en images par les graphistes . Au final, on obtient de très riches infographies à l’ergonomie soignée, des chiffres sciemment exploités mais remis en perspective grâce au rédactionnel qui ajoute les infos essentielles pour que le chiffre choisi ait plus de sens.

Depuis le début de cette aventure éditoriale plutôt disruptive et pertinente, près de 15 infographies animées ont été conçues. Co-fondateur de l’agence Maartin et directeur associé, Alexandre Millet précise les tenants et aboutissants de cette initiative en perpétuel mode créatif et itératif (3) : « Nous cherchons à développer une nouvelle forme de traitement de l’information qui s’imprègne à la fois de la culture très visuelle du Web, qui procure un vrai travail de fond informationnel qui sache synthétiser factuellement une thématique. Le tout en sachant être ludique, attractif et en adoptant un ton qui s’écarte de l’anxiogène qu’on retrouve trop souvent dans les médias ». Avec de surcroît de vrais partis-pris éditoriaux comme le temps de lecture d’une infographie qui oscille entre 10 et 15 minutes et des premiers scores prometteurs auprès d’une cible essentiellement âgée de 20 à 35 ans et urbaine.

Initiative à suivre !

QQF - Vidéo oeufsLe format de QQF est d’autant plus original qu’il ne s’arrête pas à l’infographie elle-même pourtant déjà novatrice. Cette dernière est en effet couplée avec une application mobile segmentée d’après les rubriques du site hébergeant les infographies. Cette appli fonctionne comme un canal d’actualités et d’alertes à chaque nouvelle publication. Mais elle propose aussi une liste de commerces, services, produits sélectionnés par la rédaction pour leur faculté à bien répondre aux problématiques abordées par QQF. « Pour le moment, l’appli ne recense que des adresses sur Paris mais nous espérons vraiment pouvoir à terme couvrir d’autres grandes villes de France. L’objectif est clairement d’inciter les gens après la lecture de l’infographie à trouver des endroits où ils pourront par exemple acheter des sacs recyclés ou se restaurer avec des produits sains » note Grégoire de Rubiana, directeur conseil au sein de l’agence et fort d’une longue expérience corporate chez la chaîne Euronews.

Autre caractéristique : le test de déclinaisons éditoriales. L’infographie sur l’industrie aviaire en France a ainsi donné lieu en juin dernier à la création d’un mini-format vidéo reprenant de manière très synthétique et accrocheuse une information, à savoir comment sont légalement catégorisés les œufs pour la consommation humaine. La vidéo a été publiée sur la page Facebook de QQF. Résultat : plus de 209 000 vues à ce jour ! Le grand intérêt éditorial de QQF réside en fait dans sa capacité à s’affranchir des débats souvent stériles entre les tenants de la data à tout prix pour lesquels elle constitue avant tout l’information et ceux qui défendre des pratiques rédactionnelles issues du print mais qui ont du mal à trouver efficacement leur place sur le Web. La data pour la data est indubitablement une impasse qu’il convient d’éviter même si on peut parfois se laisser bluffer par de jolis schémas arc-en-ciel clinquants. En revanche, la data contextualisée constitue un filon éditorial auquel tout éditeur de contenus devrait s’intéresser s’il est soucieux de générer de la valeur ajoutée et de l’intérêt auprès de ses publics cibles.

Sources

– (1) – « Nicolas Kayser-Bril : « La compétence clé du datajournalisme, c’est la gestion de projet » – Observatoire du webjournalisme – 11 mars 2016
– (2) – Pablo René-Worms – « Les coulisses du journalisme de données » – Le Point – 2 décembre 2010
– (3) – Entretien avec l’auteur – 7 juin 2016
– (4) – Ibid.



Laisser un commentaire


Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.