Communication de crise : Quand le supermarché Cora se trompe de rayon !

En menaçant de licencier une caissière suspectée d’avoir empoché un coupon de réduction de 1 € laissé par un client, la direction d’un supermarché mosellan de la chaîne de distribution de Cora s’est retrouvée prise au piège d’une implacable crise réputationnelle. Une crise mixant pression sans relâche des médias sociaux et emballement médiatique traditionnel face à laquelle les dirigeants de Cora ont vite été désemparés. Leur réaction maladroite n’a fait qu’empirer un problème qui aurait pu être traité avec plus de doigté et d’humilité.

Au-delà de cette polémique qui a agité les médias et la blogosphère, l’affaire Cora est également symptomatique d’une ère nouvelle où la communication des entreprises ne pourra plus se contenter de faire de la com’ de crise à l’ancienne. Le Web 2.0 est passé par là. Il y a donc fort à parier que d’autres cas similaires éclateront dans les mois et années à venir si les attitudes ne changent pas. Eléments de décryptage.

Un contexte sociétal plutôt délétère

80% des salariés de la grande distribution se plaignent de stress selon une étude médicale

Ce n’est un secret pour personne. Le management dans la grande distribution flirte régulièrement avec la ligne jaune en matière de respect des individus. Dans ce secteur qui emploie plus de 650 000 personnes en France, les conditions de travail sont régulièrement épinglées pour divers motifs. Ainsi, en 2006, une enquête (1) menée par des médecins du Centre interservices de santé et de médecine du travail (Cisme) auprès de 5000 salariés a mis en lumière un constat assez accablant.

85 % des salariés souffrent de troubles musculo-squelettiques, affections dont le nombre a été multiplié par six dans ce secteur d’activités. Autre point relevé par les enquêteurs : le stress s’ajoute à la pénibilité physique du travail puisque 80 % des salariés du secteur affirment devoir se presser dans leur travail et la moitié ne peuvent faire de pauses. Dernier indice préoccupant : la fréquence des accidents du travail qui se situe à 20 points au dessus de la moyenne générale.

Dans ce contexte, il n’est pas rare que les conflits éclatent entre salariés et dirigeants de magasins. Auteur d’un livre sur les ressources humaines dans la grande distribution et par ailleurs maître de conférences à l’IAE de l’Université de Rennes 1, Christophe Vignon est catégorique (2) : « Il existe chez les grandes enseignes une suspicion forte de vol à l’égard des employés, qui se traduit par une politique intransigeante ». Dans son ouvrage, il évoque notamment l’exemple d’Auchan (3) « où les salariés sont contrôlés tous les jours par tirage au sort. Dans d’autres enseignes, trois trous de caisse consécutifs peuvent conduire à la porte ».

La mésaventure subie par la caissière de Cora n’est pas de surcroît unique en son genre. En juillet dernier, un employé d’un magasin Monoprix à Marseille a aussi frôlé la sanction ultime du licenciement pour avoir emporté avec lui six melons et deux salades invendus et destinés à la benne à ordures. Le quotidien régional La Provence avait éventé l’affaire. Aussitôt, s’était ensuivi un déferlement de mécontentement et de critiques sur la page Facebook de l’enseigne. Devant le tollé suscité, la direction renonça à ses poursuites.

Le Web 2.0, nouvel aiguillon de la crise

Jean-Pierre Beaudoin (I&E) : « ce qui motive des mouvements d’opinion sur Internet, ce sont des considérations d’ordre plus éthique que commercial »

Cela semble un truisme d’écrire que le Web 2.0 a rebattu la donne communicante tellement aujourd’hui, le corps social s’est emparé avec frénésie de tous les outils qui concourent à faire porter sa voix plus loin et plus haut. Pourtant, force est de constater que bien des entreprises sont encore à la traîne pour engager la conversation dans les réseaux sociaux sans parler de celles qui nourrissent à leur égard une défiance affirmée. Or, une telle attitude est clairement une brèche qui risque de s’élargir dès qu’un conflit interne ou externe à l’entreprise commence à sourdre.

Qu’on le veuille ou non, Internet permet une expression plus virulente de la critique, une visibilité accrue, une propagation quasi instantanée et une rémanence durable. En cas de crise, cela peut se payer cash d’autant que la viralité des médias sociaux peut démultiplier une crise en quelques heures. Cet élément est de surcroît à relier étroitement à un contexte sociétal où la défiance s’est profondément enkystée à l’égard des entreprises. Un sentiment qui ne cesse d’enfler depuis que la crise financière creuse sans cesse plus les inégalités sans forcément entamer leurs juteux dividendes et replets cash-flows.

Comme le note Jean-Pierre Beaudoin, président de l’agence de relations publiques I&E et auteur d’un livre intitulé « Les dirigeants à l’heure de l’opinion » (4) : « Les logiques de société l’emportent sur les logiques de marché : ce qui motive des mouvements d’opinion sur Internet, ce sont des considérations d’ordre plus éthique que commercial ». Autrement dit, le comportemental pèse de plus en plus dans la réputation d’une entreprise. A chaque dérapage, cette dernière manque alors rarement d’être interpelée par la blogosphère, voire les ONG qui ont fait de la Toile, une chambre de surveillance et d’écho absolument redoutable.

Scénario idéal pour crise maximale

La disproportion de la sanction envisagée par rapport au potentiel délit avait en effet de quoi enflammer la blogosphère

Pour avoir ignoré cette analyse contextuelle, la chaîne Cora s’est plongée d’elle-même dans un bourbier médiatico-numérique où sa réputation ne pouvait que se retrouver endommagée. Ceci d’autant plus que les arguments brandis par Cora avaient tout pour exacerber des réactions virulentes comme le note très ironiquement le célèbre avocat blogueur Maître Eolas dans un tweet  du 26 octobre (5) : « En tout cas bravo à #cora qui avec un ticket de réduction d’1€ pour un hamburger vient de s’offrir un bad buzz à 1 million d’euros ». La disproportion de la sanction envisagée par rapport au potentiel délit reproché avait en effet de quoi faire bondir et enflammer la blogosphère.

Ensuite, Cora a oublié une donnée fondamentale de la mécanique médiatique qui prévaut dans la propagation d’un article : le casting des acteurs en lice. Or, dans ce cas précis, le quotidien Le Républicain Lorrain ne pouvait rêver mieux comme protagonistes. D’un côté, une direction tatillonne sur le règlement intérieur et de l’autre, une caissière mère de famille, gagnant chichement 940 € par mois et élue syndicale. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une polémique surfant sur l’éternel symbole du pot de fer contre le pot de terre.

Cela n’a effectivement pas loupé. La page Facebook de Cora a été prise d’assaut par les internautes qui ont multiplié les invectives et les commentaires furibards. Même chose sur Twitter où Cora entre très vite les « Top Trends » du moment. De son côté, le (les ?) community managers (s ?) de Cora s’emberlificotent dans les tentatives de modération sans jamais parvenir à endiguer la vague contestataire. Trop tard, l’incendie de la crise est déclaré ! Et les grands médias en fait aussitôt leur miel à tel point que France Inter et Europe 1 ouvrent leur antenne à la caissière incriminée.

Y avait-il une porte de sortie honorable ?

Le caractère succinct du message de Cora n’avait rien d’un aveu d’erreur

En choisissant rapidement d’abandonner la procédure à l’encontre de la caissière, la direction de Cora avait plutôt envoyé un signal positif pour dégonfler la controverse. Mais le caractère extrêmement succinct du communiqué de presse et du message posté sur Facebook semblait plus un retrait à la froide tonalité juridique qu’à une sincère reconnaissance de son mauvaise appréciation de la situation.

L’affaire aurait pu toutefois s’éteindre d’elle-même si Cora n’a pas ensuite eu l’idée de revenir à la charge pour tenter de restaurer une réputation écornée. Or, quelques jours après la première passe d’armes, Cora met en ligne sur YouTube, une petite vidéo qui est un véritable panégyrique de l’entreprise et sa façon de traiter ses salariés.  Pendant 4 minutes, se succèdent ainsi des employés de l’enseigne  qui prennent la défense de leur employeur, le tout filmé comme une vidéo amateur, histoire sans doute de rendre l’initiative plus spontanée et crédible.

Au lieu de cela, Cora a fait un flop retentissant et s’est de nouveau trouvée embarquée dans une polémique où l’enseigne est accusée d’avoir « fortement incité » des salariés à prendre la défense de leur entreprise. Il faut bien avouer qu’après avoir voulu couper une tête, la direction de Cora aurait pu s’abstenir d’aller chercher d’autres salariés pour s’en servir comme « bouclier » réputationnel. Quitte à s’expliquer, les dirigeants auraient dû eux-mêmes monter au créneau, partager les arguments qu’ils souhaitaient faire connaître et admettre la discussion.

Conclusion – L’ère de l’entreprise conversationnelle débarque !

La dimension corporate (citoyenneté, gouvernance et emploi) compte pour 43 % de la réputation d’une entreprise

N’en déplaisent aux tenants psychorigides de la communication verrouillée à double tour, les logiques de communication « top-down » sont révolues, en particulier sur le terrain des médias sociaux où le moindre loupé vous revient comme un boomerang en pleine figure. Début 2011, l’agence de consulting Reputation Institute a conduit une étude d’où ressort que la dimension corporate (citoyenneté, gouvernance et emploi) compte pour 43 % de la réputation d’une entreprise. Nul n’est besoin d’être grand clerc pour devenir que ce pourcentage va continuer de s’accroître dans les prochaines années sous l’influence toujours plus grande des réseaux sociaux.

Conséquence : les entreprises ne pourront plus faire l’impasse d’entrer dans une conversation véritable avec leurs différents publics. L’affaire Cora le montre nettement. Si l’enseigne avait opté pour une démarche plus conversationnelle (quitte à faire valoir les positions qui l’avaient amenée à lancer une procédure envers sa caissière), elle aurait très probablement limité la casse médiatique. Mais peut-être n’avait-elle tout simplement pas d’arguments véritables à opposer ?

Toujours est-il que la communication corporate va devoir muter et admettre que sa réputation ne dépend plus tant de ses propres messages mais de la perception que le corps sociétal nourrit à son encontre. Or, cette perception doit se travailler à travers un vrai dialogue. Thierry Wellhoff, président de l’agence de communication Wellcom, en est convaincu (4) : « Jusqu’à présent, la plupart des marques et entreprises se sont prioritairement intéressées à la création d’intention, qui relève de la publicité, et à la création de comportement liée au marketing et à la promotion, en oubliant un petit quelque chose qui peut leur coûter très cher s’ils ne s’en occupent pas : la création de confiance. On agit sur le tiers de confiance qui donne aux messages d’une organisation un crédit extrêmement puissant ». Encore faut-il en avoir la conviction tellement certains communicants imbus de leur pouvoir et leur expertise, sont convaincus de pouvoir tout maîtriser, y compris les réseaux sociaux.

Sources

(1) – « Les salariés de la grande distribution vont mal » – Viva-Presse.fr – 8 décembre 2006
(2) – Alexia Eychenne – « L’affaire Cora, un classique de la grande distribution » – L’Express – 26 octobre 2011
(3) – Ibid.
(4) – Maud Vincent – « Relations publiques et social media – L’entreprise conversationnelle » – Le Nouvel Economiste – 27 octobre 2011
(5) – Twitter de Maître Eolas
(6) – Maud Vincent – « Relations publiques et social media – L’entreprise conversationnelle » – Le Nouvel Economiste – 27 octobre 2011



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