Stratégie de contenus & « Snack content » : On vous la sert allongée ou serrée ?

Faut-il tout condenser en 280 signes ou un peu plus pour être lu et vu par son public ou faut-il au contraire s’affranchir de la brièveté pour avoir des contenus qui tiennent la route et surnagent dans l’infobésité galopante de nos vies de lecteurs connectés ? Certains sont d’ardents militants du « snack content » qu’on picore à longueur de temps. D’autres veulent revenir au fond des choses et passent outre le diktat du court à tout prix que les réseaux sociaux induisent souvent. Alors où se situer dans ces querelles de gourous du contenu et y a-t-il seulement une seule et unique façon de bâtir une stratégie éditoriale qui procure du sens, du plaisir et de la relation ?

En dépit de quelques Cassandre qui estiment sa mort imminente au profit de plateformes de marketing et CRM tout automatisées et à la conversion garantie de la cible visée, le contenu demeure malgré tout un élément prépondérant de toute stratégie de communication pour converser durablement avec ses différents publics. Pour preuve, il suffit de se référer aux chiffres publiés en mai 2017 dans le livre blanc intitulé « Content marketing : engager ou mourir » et édité conjointement par le CMIT (Club des directeurs Marketing & Communication de l’IT) et Faber Content. L’analyse le souligne nettement : 90 % des directeurs et directrices interrogés jugent que « le contenu est une part importante, sinon très substantielle du marketing mix » (1). D’ailleurs, les budgets alloués au content marketing sont en hausse pour 55 % des répondants, y compris chez les TPE qui investissent le plus dans la création de contenu. Si les canaux de distribution vont ensuite varier en fonction des communautés avec lesquelles une marque ou une entreprise veulent engager, le contenu reste (et restera) une clé majeure. A condition de ne pas tout prendre pour argent comptant en termes de forme de contenu.

Pas facile d’émerger dans le flot

C’est un fait. L’explosion de l’usage des médias sociaux a incrémentalement suscité une inflation de contenus de toutes sortes. Les statistiques régulièrement publiées sur le sujet ont effectivement de quoi donner le tournis tant l’internaute est sollicité en permanence qu’il soit sur son smartphone, sa tablette ou son ordinateur. Et sans parler des objets connectés qui s’imposent pas à pas comme d’autres vecteurs de diffusion de contenus. Cette avalanche éditoriale a un nom dorénavant bien connu (ou plutôt un symptôme) : l’infobésité. Il existe tellement de contenus mis en circulation que l’internaute finit par saturer et l’éditeur par s’arracher les cheveux pour se frayer un chemin dans la masse éditoriale incessante. En juin 2017, l’agence de communication israélienne Wochit a révélé quelques enseignements frappants issus d’une étude qu’elle a menée sur la viralisation effective des vidéos sur Facebook. En épluchant les scores de 4000 vidéos diffusées par 100 émetteurs à travers le monde (2), elle a constaté que seulement 1,2% de celles-ci devenaient virales sur Facebook (sachant que le seuil de viralité était fixé a minima à 1 million de vues). De quoi faire réfléchir !

Qu’il s’agisse de Twitter, LinkedIn, Instagram, Snap ou même de sites Web ou de blogs, le phénomène est similaire. Il devient de plus en plus malaisé de toucher les publics souhaités tant les volumes de contenus ne font qu’augmenter. Et ceci, même si le temps de consommation accordé aux canaux digitaux est lui-même en hausse constante. La concurrence éditoriale est effectivement rude pour se distinguer, amorcer et poursuivre une relation avec les publics recherchés d’autant que ces derniers ont en plus un temps d’attention aux contenus de plus en plus restreint. Huit petites secondes selon les dernières recherches en la matière ! Forcément, valoriser son contenu pour éviter qu’il ne parte illico dans les oubliettes du Web social, peut alors devenir une tâche titanesque.

Le snack content comme antidote ?

C’est dans ce contexte que des gourous et des agences ont commencé à dégainer l’arme fatale, la potion magique du contenu : le « snack content ». Egalement appelé micro-contenu, celui-ci n’excède guère les 350 à 450 mots s’il s’agit de contenu rédactionnel ou les 6 à 10 secondes s’il s’agit de vidéos ou de contenus visuels. Argument brandi pour justifier ce raccourcissement : la capacité d’attention évidemment mais aussi l’usage majoritaire de la navigation mobile (principalement sur smartphone) durant de courtes périodes comme les pauses, les transports en commun, etc où l’internaute consomme à toute vitesse les informations qui défilent sous ses yeux.

Les thuriféraires de cette martingale éditoriale ne manquent comme par exemple Invox qui écrit sur son blog (3) : « le snackable content est court, viral et attractif : il laisse souvent la part belle aux visuels et se doit de ressortir au milieu de l’abondance de contenus disponibles en ligne. Sans surprise, il trouve sa place sur les réseaux sociaux, terrain propice à la diffusion et au partage de chouettes choses à grignoter, bref, caisse de résonance 2.0 dans toute sa splendeur (…) Idéals pour capter l’attention d’une audience cible, ils se distinguent par leur capacité à être digérés rapidement → comprenez « lus et assimilés rapidement par votre audience », ce qui est quand même le principal objectif recherché par tout producteur de contenus ! Leur caractère plaisant et attractif favorise par ailleurs l’engagement des lecteurs ».

Une agence baptisée Rébellion s’est même engouffrée dans la brèche du contenu court en proposant une offre inédite, une sorte de « All inclusive » du contenu digital, où pour 4800 euros mensuels, elle prend en charge la création illimitée de « snack content » pour le compte d’un annonceur. Nicolas Boccaccio, directeur associé de l’agence, est ravi de cette initiative (4) : « Ce n’est pas une réponse industrielle, c’est une réponse concrète qui est pensée autour de la création. Nous avons observé qu’en mettant autour de la table des profils très différents (concepteurs rédacteurs, DA, motion designers, photographes) se créait une véritable émulation créatrice de valeur. L’émulation permet de créer beaucoup d’idées qui sont idéales pour du snack content, à consommer tout de suite, sans vocation à avoir une importante durée de vie ». Même si l’ensemble est quand même articulé avec des plannings prévisionnels pour anticiper des temps forts, le mot d’ordre reste à tout prix : court, court et encore court ! A tel point que 3 marketeurs sur 10 pensent désormais que le quantitatif sans se soucier de qualité est un bon viatique pour regagner en visibilité !

La fausse promesse du court à tout prix

Le problème est que le « snack content » peut en effet vite déraper dans le superficiel, le creux et paradoxalement contribuer encore un peu plus à cette infobésité, véritable fléau éditorial. Comme l’écrit fort justement Mohamed Cherif Mokrane, consultant, enseignant et stratège de la communication (5) : « Un communicateur qui privilégie un seul mode de communication, c’est comme un chasseur qui tire vers une seule direction en espérant que le gibier croisera la trajectoire de ses balles. Le point de départ est le public ainsi que le message qu’on veut lui transmettre. Les contenus rapides à consulter, lorsqu’ils s’imposent, sont un moyen et non une fin. La fin, c’est plutôt le message à transmettre et l’effet souhaité. Si le message exige des explications ou un nombre considérable d’informations à communiquer, il ne faut pas se borner à produire une communication réductionniste ». Il est clairement illusoire de professer que le contenu court va à lui seul résoudre les problématiques de visibilité et d’engagement d’une marque sur les réseaux sociaux. Cette vogue que d’aucuns font perdurer mordicus, est même à la limite de l’escroquerie intellectuelle.

Le « snack content » peut avoir son intérêt mais à condition d’être usité comme un hameçon, notamment pour capter les cibles les plus volatiles. En revanche, baser sa stratégie éditoriale à coups de punchlines souvent racoleuses, voire « putaclics » et de vidéos éphémères, revient à progressivement dévaloriser le discours de la marque, et au passage, ne guère inciter à se bouger les neurones. Or, comme pour le snacking alimentaire, la répétition systématique de ce format ne concourt pas vraiment à rehausser la qualité et la pertinence des contenus mais à engorger les canaux de diffusion.

Patience et longueur de temps …

Le « snack content » entretient actuellement une ambivalence gênante. A lui seul, il ne peut pas alimenter les conversations entre une marque et ses communautés (à de rares exceptions près). S’il est indubitablement crucial pour générer l’engagement dans un univers éditorial plus ou moins saturé, il n’en constitue pas moins qu’un sas d’entrée vers du contenu plus élaboré. Et qui dit plus élaboré, dit forcément plus long. Or, le format long n’est pas un handicap. N’en déplaise aux adeptes du zapping permanent où tout doit être « buzz » et « trending ». Savoir retrouver du temps long est aussi une attente existante chez les internautes. L’outil de mesure d’audience digitale Parse.ly a récemment dévoilé les chiffres clés d’une étude qu’il a réalisée sur le temps effectif passé sur un site. Pour cela, les chercheurs ont passé au crible 18 millions de posts ayant reçu au total 1,6 milliards de visites pendant 6 mois. Le résultat est édifiant. Soit l’internaute se détourne très (en moins de 15 secondes en moyenne) du contenu affiché, soit il poursuit au contraire sa visite et peut alors consacrer pour 44% d’entre eux jusqu’à plus d’une minute de session, certaines sessions pouvant aller jusqu’à 7 minutes (6).

Le choix de tel ou tel format doit par conséquent avant tout s’établir en fonction de l’intention que la marque entend concrétiser envers les publics visés et le combiner avec les attentes et les usages de ces derniers. Il faut impérativement sortir de ce mythe légèrement fallacieux où le contenu court serait la seule planche de salut éditorial au motif (un peu court pour le coup !) que la vitesse et le degré d’attention plus bas de l’internaute sont uniquement prépondérants. Dans une tribune récente, l’agence Chemistry appelle précisément à s’extirper de cette vision caricaturale où le court serait le seul roi du contenu. Pour sa démonstration, elle s’appuie sur deux exemples assez amusants qui secouent les idées reçues (7) : « Aujourd’hui, l’intérêt du format long et immersif est tel qu’il attire des marques issues de l’ère même du « snacking » : exemple avec Tinder – l’appli snacking par excellence – qui lance elle aussi une série de podcasts. Avec des épisodes de 20 minutes, DTR – « Define The Relationship » – est une chronique intime qui décortique les codes de la séduction à l’ère des applis de rencontre. De son côté, Grindr a dévoilé en Mars un magazine online composé d’articles dépeignant la scène gay et ses codes culturels. Deux applis basées sur la consommation instantanée qui se diversifient pour produire des contenus plus profonds : une bonne façon de créer de la valeur, pour aller plus loin que le swipe ». Outre que le format long autorise de surcroît un meilleur référencement naturel sur les moteurs de recherche, il est aussi un vecteur de sérieux, de fidélisation et de réassurance (à condition évidemment de produire du contenu de qualité) pour celles et ceux qui le consomment. Capter l’attention est une chose essentielle mais la maintenir pour créer de l’intérêt et de la confiance est autrement plus sophistiqué qu’un bombardement constant de « snack content ».

Sources

– (1) – Thomas Coueffé – « 25 responsables marketing dévoilent leurs stratégies de contenu » – Le Blog du Modérateur – 23 mai 2017
– (2) – Dror Ginzberg – « Only 1% Of Facebook Video Goes Viral: How You Can Too » – The Huffington Post UK– 5 juin 2017
– (3) – « 1min30 pour comprendre le snackable content » – Blog d’Invox – 28 octobre 2016 –
– (4) – Benjamin Adler – « Le snack content peut-il dévaloriser la production de contenu ? » – Influencia – 8 mai 2017
– (5) – Mohamed Cherif Mokrane – « Snack Content : le menu trompeur » – Webmarketing & Com – 25 avril 2016
– (6) – Christine Schmidt – « Longer content isn’t wearing audiences out — and they may even be hungry for more, two studies find » – Nieman Lab – 31 octobre 2017
– (7) – Agence Chemistry – « Le format long a de l’avenir » – l’AND.eu – 7 juin 2017



3 commentaires sur “Stratégie de contenus & « Snack content » : On vous la sert allongée ou serrée ?

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