Innovation : Quand la Sécurité Routière monte à bord des réseaux sociaux

Longtemps, le sujet de la sécurité routière a oscillé en France entre injonctions comminatoires et culpabilisantes et messages plus ou moins lénifiants au clin d’œil complice un brin laxiste. Pourtant, malgré toutes les énergies communicantes mobilisées pour enrayer l’hécatombe routière et en dépit de chiffres notablement améliorés, la route continue d’endeuiller des familles.

Lors du lancement de son nouveau spot publicitaire le 22 janvier dernier, la Sécurité Routière a également misé sur la puissance virale des réseaux sociaux pour faire évoluer encore plus radicalement et durablement les mentalités.

Infraction quand tu nous tiens !

Extrait de la nouvelle campagne de sensibilisation « Tant qu’il y aura des morts »

Lors de l’annonce du bilan 2011 de la mortalité sur les routes par la Sécurité Routière, le professeur Claude Got, spécialiste engagé en matière d’accidentologie routière, a tenu à nuancer la légère érosion du nombre de morts enregistrés l’an passé par rapport à 2010. A ses yeux (1), « il n’y a plus aucun progrès dans le domaine de la sécurité routière », rappelant à cet égard que janvier 2011 « avait été calamiteux » avec un pic soudain de + 19%  des décès liés à la circulation.

Bien que la barre symbolique de moins de 4000 morts par an soit devenue enfin réalité en 2010 et que la baisse est consécutive pour la 10ème année de rang, la route continue d’ôter des vies et d’en handicaper durablement d’autres.

C’est dans cette optique que la Sécurité Routière a lancé le 22 janvier 2012 sa nouvelle campagne de sensibilisation baptisée « Tant qu’il y aura des morts ». A la clé : la diffusion sur les chaînes de télévision, sur Internet et dans les salles de cinéma d’un spot de 45 secondes qui égrène des séquences d’accidents meurtriers et de gens en détresse.

Dans ce spot tourné en noir et blanc pour accentuer la dramaturgie de la thématique, le propos est sans détours. Soutenu par une voix off, il explique que de banales infractions au Code de la Route (non-respect de la signalisation, téléphone au volant, alcool, etc) peuvent entraîner en l’espace d’une fraction de secondes, une catastrophe dont le tribut humain est particulièrement lourd. Avec en guise d’épitaphe, un constat frontal et sans appel : « Tant que nous commettrons des infractions, il y aura des morts ».  Dans la lignée du spot précédent intitulée « Insoutenable », le nouveau film vise clairement à inciter chaque usager de la route à être responsable pour faire descendre encore plus significativement la sinistre courbe des morts et des blessés à l’instar des meilleurs élèves européens que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni.

L’urgence demeure, le dialogue s’impose

La vigilance reste d’autant plus cruciale que l’association 40 millions d’automobilistes a publié le 2 février, une étude particulièrement préoccupante sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés 3600 accidents mortels (2). Menée par son Institut d’étude des accidents de la route créé en janvier 2011, elle révèle entre autres qu’environ 25% des tués sur la route en 2011 ont péri dans une ligne droite. Dans les cas étudiés, la moitié des conducteurs était en état de somnolence.

Pour Laurent Hecquet, délégué général de 40 millions d’automobilistes, il est (3) « important de comprendre ce qui se passe sur la route car les réponses à nos interrogations » ne sont pas forcément contenues dans les chiffres diffusés par l’Observatoire interministériel de la sécurité routière (ONIRS). Derrière la réalité brute mathématique et au-delà des messages impacts pour réveiller les consciences, il y a en effet des histoires, des souffrances et des drames dont la parole reste bien souvent confinée au cercle de la famille, des proches, voire des médias locaux. Mais rarement, le récit est partagé avec d’autres pour éviter que d’autres tragédies similaires ne se produisent.

Face à ce constat, la Sécurité Routière a décidé pour la toute première fois d’aller plus loin que l’exercice incontournable du spot publicitaire pour parler de comportements sur la route et de responsabilisation au volant.

Quand les réseaux sociaux prennent le volant

Un site participatif pour changer les mentalités et responsabiliser l’opinion

Sous l’impulsion de Jean-Luc Névache, délégué interministériel à la Sécurité routière, l’organisme gouvernemental a fait le pari innovant de s’appuyer sur les réseaux sociaux pour accentuer la discussion à l’échelle nationale autour de ce thème critique. Laurence Derrien, directrice de la Communication de la Sécurité Routière, explique cet engagement numérique (4) : « Les accidents de la route sont malheureusement un sujet qui touche quasiment n’importe qui. Paradoxalement, les discussions sont isolées et demeurent dans un cercle restreint. En créant sur Internet, un espace participatif sur la sécurité routière, nous souhaitons élargir et catalyser cette discussion afin que chacun puisse faire part de son expérience, réagir, échanger et au final modifier son regard sur les comportements routiers fauteurs d’accidents ».

Conçu par l’agence Net Intelligenz/Publicis Consultants et intitulé « Les Dangers de la Route », le site revendique pleinement sa vocation sociale. Même si l’institutionnelle Sécurité Routière est présente à travers certaines rubriques, la plateforme se veut avant tout un espace de rencontre et de dialogue entre les internautes et plus particulièrement ceux qui ont eu à souffrir des conséquences d’un accident de la route. A titre d’exemples, le site propose des débats sur des questions très concrètes comme « Comment empêcher un ami qui a trop bu de reprendre la route ? » ou encore « Comment sensibiliser les enfants aux dangers de la route ? ».

D’autres espaces contributifs sont également disponibles via un fil Twitter dédié et une page Facebook où sont distillées diverses informations et actualités autour de la sécurité routière. En à peine deux semaines d’existence et sans une promotion particulière, le fil Twitter a déjà conquis plus de 300 abonnés et la page Facebook près de 18 000 fans. Autre rubrique très marquante : les témoignages que peuvent déposer les victimes ou leurs proches pour raconter l’épisode douloureux les ayant frappés. Pour mieux s’imprégner et se convaincre de la teneur bouleversante de cette rubrique, voici par exemple l’histoire vécue par Johanne Martin, une jeune mère de famille. Extraits (5).

 « Suis pas d’accord moi j’avais super boulot super carrière, possibilité d’évolution, tout pour être heureuse et élever mes enfants correctement ! Et un beau matin samedi pour préciser j’ai mis mes enfants dans la voiture, j’étais de repos, j’ai voulu aller faire des courses et là ma vie s’est joué à quelques secondes ! Je roulais tranquillement enfants attachés, heureusement, et à un carrefour un jeune conducteur m’a refusé un « cédez le passage » et là ça a été un choc terrible. Le siège auto de mon fils à l’arrière s’est décollé mon fils a tapé le siège avant du sang plein le visage, ma fille plus âgée à côté de moi a eu le coup du lapin et moi également. Notre véhicule est rentré à moitié dans le véhicule du jeune. Son toit s’est plié son plancher aussi. Tout le monde a vu que j’ai tout essayé pour éviter le choc mais rien à faire. (…) Mon accident a eu lieu alors que je n’avais que 37ans et aujourd’hui 10 ans après je vis comme une ermite alors qu’il me reste encore 2 enfants à élever (…) Je crois qu’il faut que chaque conducteur se responsabilise et soit conscient qu’un véhicule peut être une arme. »

Deux axes numériques pour retrouver le droit chemin

Les réseaux sociaux pour responsabiliser les réseaux routiers ?

Au-delà des outils et des futures fonctionnalités complémentaires qui seront prochainement mises à disposition des internautes, la stratégie numérique du site s’inspire d’un double constat que détaille Stanislas Magniant, directeur de Net Intelligenz (6) : « Chaque année, on dénombre encore près de 4000 morts et 200 000 blessés. Or, il n’y avait aucun lieu sur la Toile française permettant à ces personnes touchées, ou même intéressées par le sujet de se retrouver, d’échanger, et surtout se mobiliser pour lutter contre ce fléau. Au vu des incroyables témoignages recueillis sur la plateforme et sur Facebook, nous avons le sentiment d’avoir touché un point névralgique et révélé un vrai intérêt d’une partie de l’opinion ».

Outre saluer la pertinence de cette stratégie sociale, il faut aussi noter que celle-ci n’entend pas demeurer un « one-shot » comme le sont malheureusement bien trop souvent des campagnes digitales qui amorcent la pompe avant de disparaître subrepticement dans les limbes de la blogosphère. La volonté de la Sécurité Routière est à cet égard sans ambages comme le rappelle Laurence Derrien (7) : « Notre engagement s’inscrit clairement dans la durée. Nous misons énormément sur l’impact de cette plateforme pour faire changer les comportements et le regard, de l’opinion. Cela nécessite du temps pour que personne n’ait honte de s’exprimer ou d’agir pour retenir par exemple un ami qui a bu de prendre le volant etc. Bref, nous voulons décomplexer la prise de parole responsable, et construire un porte-voix numérique au lieu de laisser des gens inaudibles sur le web et seuls dans leur coin ».

Conclusion – Réseaux sociaux au service du réseau routier ?

Les réseaux sociaux sauront-ils être plus efficaces que le matraquage aveugle des radars pour faire de la France l’un des pays européens les plus vertueux en matière de sécurité routière. Il est évidemment trop tôt pour tirer des enseignements mais le seul fait de voir un organisme officiel s’emparer avec conviction des réseaux sociaux pour sensibiliser sur une cause majeure constitue déjà un signe nettement encourageant. Peut-on pour autant changer les mentalités avec les médias sociaux ? Un « I Like » ou un « RT » suffiront-ils à incurver encore plus bas la courbe des morts routiers ?

Selon le centre de recherche Netherlands Organization, qui vient de publier une étude sur l’influence des réseaux sociaux, le passage à l’acte hors écran reste effectivement rare mais il assure néanmoins la transmission d’idées contribuant à transformer progressivement les mentalités. N’est-ce pas au final le but ultime ?

Sources

(1) – Dépêche AFP – « Sécurité Routière : Baisse de 8% du nombre de morts en janvier » – Libération.fr – 6 février 2012
(2) – Dépêche AFP – « Sécurité Routière : un quart des accidents mortels en pleine ligne droite » – Libération.fr – 2 février 2012
(3) – Ibid.
(4) – Entretien avec l’auteur le 9 février 2012
(5) – Site participatif de la Sécurité routière : http://dangersdelaroute.securite-routiere.gouv.fr/index.php
(6) – Entretien avec l’auteur le 9 février 2012
(7) – Ibid.

Lire également sur ce blog

– « Un spot trash peut-il réduire efficacement la mortalité des jeunes au volant ? » – 20 octobree 2011