Marque « France » : Et si on se donnait de vraies bonnes raisons d’y croire ?

Sondage après sondage, les Français ne cessent de cultiver à l’égard de leur propre nation, un indécrottable pessimisme écartelé entre le nostalgique « c’était mieux avant » et la punk attitude « no future ». Avec une crise sociale et économique s’incrustant au quotidien, morigéner son pays est devenu une posture quasi atavique, voire un réflexe pavlovien comme si la France n’était plus qu’un vaste fatras déliquescent voué à une inexorable chute létale. Et si on tentait de modifier objectivement notre perception de déprimés et bougons patentés ? Sans nier les blocages réels et les difficultés sérieuses, la France dispose encore de solides atouts à mieux valoriser pour renverser cette image flétrie que nous projetons masochistement envers nous-mêmes et les autres pays.

Le 11 décembre dernier, un tout nouveau site participatif a investi la Toile pour tenter de battre le rappel, cesser de se lamenter les bras ballants et insuffler un nouvel état d’esprit envers le pays qui nous a vus naître ou qui nous a simplement accueillis et éduqués. Baptisée « J’aime mon pays », la démarche ne s’inspire nullement d’une vision cocardière visant à bouter de supposés ennemis de la patrie, ni à restaurer de surannées valeurs à ranger au musée de l’Histoire. Au contraire, elle souhaite, faire émerger, agréger et coaguler les témoignages de tous horizons pour refléter l’infinie richesse humaine, intellectuelle, sociale, économique, sportive, technique de la France et redonner des raisons d’y croire.

Bien qu’il soit encore bien trop tôt pour savoir si l’initiative parviendra à créer une brèche salvatrice dans le mur des lamentations tricolores, la démarche n’en demeure pas moins intéressante. Elle pose effectivement une question cruciale pour l’avenir et l’attractivité de la France : quelle image voulons-nous finalement renvoyer de nous-mêmes à nos compatriotes comme au reste du monde ? Veut-on continuer à réciter une extrême-onction imminente, trouver d’idoines coupables de nos maux ou bien nous retrousser les manches, évacuer les dogmes politiciens et relancer notre formidable dynamisme et notre esprit frondeur et créatif ?

De quelle France veut-on parler ?

La nostalgie des Trente Glorieuses encore à l’oeuvre !

Dans cette distorsion d’image où la France est un pays qui tombe pour paraphraser la formule catastrophiste de l’essayiste Nicolas Baverez, la clé du problème réside avant tout dans les références sur lesquelles on se fonde pour juger que la marque « France » est au mieux dépassée, au pire subclaquante.

C’est un fait indéniable. La France a reculé dans plusieurs domaines ou s’est carrément figée. Economiquement et diplomatiquement, elle n’exerce plus aussi fortement son influence d’antan. Durant ces trois dernières décennies, la mondialisation a particulièrement ébranlé les modèles et les piliers sur lesquels la gouvernance de l’Hexagone s’est bâtie et consolidée au fil des siècles. Comme le dépeint fort justement l’historien Pierre Nora (1), « d’une nation étatique, guerrière, majoritairement paysanne, chrétienne, impérialiste et messianique, nous sommes passés à une France atteinte dans toutes ces dimensions qui se cherche souvent dans la douleur ».

D’où la tentation illusoire et communautariste d’aucuns de fermer à double tour les frontières, rompre avec l’euro mortifère, de bunkériser tout ce qui peut l’être pour tenter de préserver une vision de l’héritage français et rester frileusement dans l’entre soi, à l’abri des turpitudes planétaires.

Il est évident qu’une large proportion du pessimisme français provient de cette propension à refuser l’idée que notre pays a muté et à se réfugier au contraire dans la mythologie révolue des « Trente Glorieuses » où l’avenir rimait si souvent avec devenir et grandir. Vouloir à tout prix alimenter cette imagerie sépia ne peut effectivement que susciter des déconvenues et des frustrations à l’heure où le pouls d’un pays bat désormais à l’aune de la planète.

Politiques et médias : parlez-nous autrement !

Sortir des postures réductrices, un impératif politique

Dans ce déni collectif, les politiques de tous bords ont à cet égard une énorme responsabilité. Nombreux, trop nombreux, sont ceux qui s’échinent encore et encore à concocter des formules flamboyantes pour planquer la poussière sous le tapis, laisser croire que la France peut et doit rester en l’état de ce qu’elle a toujours été, voire poser en marinière avec une cafetière « made in France » sous le bras.

Déjà en 1960, le général de Gaulle déplorait cet avachissement politicien dans un discours au sujet de la décolonisation alors en marche mais refusée par un grand nombre : « Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ?! Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. ».

Ensuite, sans s’égarer pour autant dans le trop récurrent procès des journalistes, force est malgré tout de reconnaître que les médias entretiennent aussi bon gré mal gré cette ambiance anxiogène et déliquescente. Les gros titres de ces derniers jours entre agonie des hauts fourneaux de Florange et fermeture programmée de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois concourent évidemment à instiller un sentiment de déclassement parmi une vaste majorité de Français.

Ces tristes épisodes industriels sont certes une réalité qu’il convient de ne pas occulter. Néanmoins, ils mériteraient d’être contrebalancés par des exemples où l’industrie française n’est pas systématiquement ce condamné posant sa tête sur le billot implacable de la mondialisation. La France recèle un nombre incalculable de réussites patentes et pas forcément issues de la gastronomie, du luxe ou de la mode où pour l’instant, chacun nous reconnaît encore des prérogatives.

A cet égard, pourquoi ne pas parler plus souvent des entreprises tricolores qui savent s’adapter sans pour autant gommer leurs spécificités ? Le n°1 mondial du petit électroménager est par exemple un industriel français : SEB. Détenteur de six marques reconnues et vendues dans le monde entier, la société détient toujours onze usines en France où est réalisée sa production haut de gamme et innovante tandis que les modèles d’entrée de gamme ont été délocalisés en Chine. Dans ce même pays, SEB y est même devenu le leader du marché national en acquérant son homologue local Supor dès 2007.

Même si SEB doit rester très vigilant pour maintenir sa performance, il parvient à faire vivre aujourd’hui un écosystème économique et social pesant 6000 emplois en France sans compter un tissu industriel de sous-traitants. Dans cette histoire, c’est bien l’ouverture d’esprit de son patron Thierry de la Tour d’Artaise qui a été le catalyseur pour évoluer sans forcément tout renier de l’ADN original de SEB. Des histoires comme celle de SEB ne sont pas de rares épiphénomènes. Il conviendrait juste de mieux les faire connaître pour inspirer idées et envies d’entreprendre plutôt que laisser s’effriter les murs ou les repeindre en catimini pour entretenir l’utopie.

De l’écoute, tu sauras tirer profit !

Une couverture qui a déclenché l’ire de nombreux dirigeants français

La France n’est pas parfaite. Loin s’en faut. Tout comme elle est aux prises avec une situation économique et sociale particulièrement critique. Ceci étant dit, est-ce pour autant une raison pour persister dans cette déviance toute française qui consiste à se flageller à l’excès dès qu’un échec commence à poindre ou qu’un rapport international se montre très critique à notre encontre ? Dans ces cas-là, on observe souvent deux attitudes contradictoires mais aux finalités identiques : enfoncer encore un peu plus la réputation de la marque « France ».

La première est de cogner allègrement sur son propre pays « qui ne comprend décidément jamais rien ». Tous les corps constituants de la nation et ses acteurs sont alors rigoureusement étrillés et dénigrés à un point qui finit même par surprendre des observateurs étrangers tant la violence des propos frôle quelquefois la caricature. Ce type d’attitude est fréquent chez ceux qui ont choisi de s’expatrier et fuir les lourdeurs administratives françaises. Oubliant sans doute qu’ils sont pourtant nombreux parmi eux à avoir été instruits et formés par leur pays d’origine. Et qu’une partie de leur talent provient de … France !

La deuxième attitude procède a contrario du refus catégorique d’entendre la moindre objection adressée envers la France. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer par exemple les récentes réactions conjointes outrées du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg et de la patronne du syndicat patronal, le MEDEF, Laurence Parisot suite à la Une quelque peu provocatrice du magazine économique anglais The Economist . Même si certains arguments avancés par l’hebdomadaire sont discutables, la réaction est trop souvent de bâtir d’emblée des « lignes Maginot » pour défendre l’exception française. Et ce tropisme autiste n’est pas exclusif au domaine économique. Les crispations identitaires actuelles dans divers registres sociétaux montrent bien qu’on préfère se réfugier dans le passé et l’acquis plutôt qu’essayer de trouver des opportunités d’évoluer sans pour autant diluer la marque intrinsèque de la France.

L’écrivain Jean d’Ormesson décrit élégamment cette schizophrénie toute tricolore (2): « C’est une tâche difficile de vouloir rester soi-même tout en essayant de s’ouvrir aux autres. Français, encore un effort pour être un peu plus que français et pour faire de la France ce qu’elle a toujours rêvé d’être sous des masques différents : un modèle d’humanité et de diversité ».

Alors pourrie la marque « France » ?

La France ne s’en sort pas si mal dans l’étude « Nation Goodwill Observer »

A n’écouter que les grognons tricolores, un étranger pourrait largement finir par croire que notre pays est en totale décrépitude et qu’on n’attend désormais plus que l’huissier pour poser les scellés et solder la faillite trop longtemps redoutée. Il n’y a probablement que les Français pour s’auto-administrer de telles saillies défaitistes, voire pathologiquement neurasthéniques. Cette caractéristique a d’ailleurs été relevée récemment par le « Nation Goodwill Observer » (3). Cette étude menée auprès d’un panel de 1000 décideurs internationaux vise à évaluer d’une part l’image que ceux-ci ont spontanément d’un pays donné et d’autre part, la manière dont ils perçoivent la capacité de chaque pays à tirer profit de la mondialisation.

Or, la lecture de ce classement révèle une étroite corrélation entre l’image spontanée d’un pays et les éléments tangibles de ses performances à l’échelle internationale. Ainsi, des pays comme l’Inde, le Brésil ou encore l’Argentine bénéficient d’une image supérieure à leurs atouts objectifs parce que l’optimisme règne globalement (à nuancer évidemment à la lumière des disparités sociales encore béantes). A contrario, des pays comme l’Espagne, l’Italie et la France inspirent plus le doute alors même qu’ils disposent d’évidents atouts intrinsèques.

D’où l’importance de faire évoluer honnêtement le regard que nous Français portons sur nous-mêmes au lieu de nous tirer en permanence des balles dans le pied. Ceci est d’autant plus crucial que le « Nation Goodwill Observer » situe par ailleurs très honorablement la France dans diverses grilles de comparaison avec d’autres pays. Par exemple, l’Hexagone termine 8ème en termes de stabilité institutionnelle, 10ème en performance économique, 9ème en innovation, 6ème en environnement et qualité de vie et … 1ère en créativité culturelle et artistique ! Même si nous ne trustons pas ou plus les premières marches des podiums, nous restons malgré tout solidement enchâssés dans le peloton des nations perçues positivement.

Pour promouvoir la marque « France »

La France est une marque à part entière par l’agence W&Cie

C’est précisément avec l’envie d’adopter une focale différente que s’est créé en 2010 l’Observatoire de la marque France. Sous l’impulsion de Denis Gancel, président de l’agence de communication W&Cie, le projet vise clairement à rompre avec cet état d’esprit  trop français fait de dérision sarcastique, voire d’automutilation gratuite (4) : « Constatant que nous étions finalement les mauvais commerciaux d’un très bon produit, j’ai réuni dans un petit ouvrage, « l’argumentaire de vente » que chacun devrait connaître sur le bout des doigts, pour ne plus capituler devant les dénigrants de tout poil. Créer une marque France qui fasse connaître nos atouts auprès des Français eux-mêmes, c’est donc l’opportunité donnée aux entreprises et aux institutions de s’associer à une dynamique de fierté et de valorisation de la French touch que nous ne savons pas exploiter et que pourtant le monde entier nous envie ».

S’il existe bien une révolution à mener en France (puisque nous en avons déjà accompli quelques-unes autrement plus brutales de par le passé !), c’est bien désormais celle de chasser cette prédilection malsaine pour le « France bashing ». Persister dans cette attitude négative et se recroqueviller dans nos certitudes étriquées constituent autant de leviers contre-productifs pour l’image globale de la France. Une image d’autant plus capitale que le terrain de jeu n’est plus et ne sera jamais plus local mais mondial. N’en déplaise aux tenants du protectionnisme débridé ou du nationalisme aux relents putrides, la France ne retrouvera de l’allant qu’en sachant se considérer elle-même autrement et mettre en valeur ce qui fait son unicité, son originalité, sa force et sa séduction.

Conclusion – Pour une fierté d’appartenance ouverte au monde

Le postulat semble pourtant évident. Comment espérer redonner dynamisme et courage si nous ne sommes pas les premiers à croire en la marque « France » au regard du reste du monde ? En octobre 2010, le chroniqueur des Echos, Roger Pol-Droit déplorait déjà que la France soit un pays capable de donner le spectacle d’une nation tout à la fois fermée, divisée, obsédée, crispée, instable. Il écrivait alors (5) : « Sans doute est-ce à cette lumière qu’il faut reconsidérer la crise française actuelle : dans la présente indifférence envers le reste du monde, dans cette surdité des uns envers les autres, il s’agirait moins d’un repli sur soi que d’une perte de soi-même. Comme si nous ne savions plus très bien qui nous sommes, ni ce que nous voulons faire ensemble. Comme si notre place dans le concert des nations était devenu obscure ».

Force est de constater que le mal a encore gangréné tant les discours de fractures et les recherches de boucs émissaires essaiment toujours plus dans l’agora hexagonale, souvent pour tricoter une image peureuse, méfiante et en même temps arrogante et obstinée de la France. Ce n’est pas en agitant les peurs et en alimentant les divisions que la marque « France » s’en trouvera optimisée et redorée. Une période de crise est toujours pénible à vivre mais elle peut être également gage d’opportunités pour accoucher d’une nouvelle vision du pays totalement en phase dans les valeurs universelles desquelles la France s’est toujours réclamée en fondant notamment la Déclaration des Droits de l’Homme.

Réfléchissons un instant à ces lignes pleines de sagacité écrites par Jean-Christophe Rufin, médecin, écrivain et diplomate français (6) :

« Devant ce paysage nouveau, on peut comprendre que l’on soit saisi par le doute. Doute quant à la place de notre pays, de notre culture, de notre langue dans un monde aussi radicalement bouleversé. Mais si nous l’appliquons à toute la nation et à toute l’époque ; si nous pensons que la France d’aujourd’hui ne vaut pas celle d’hier ; si nous sommes gagnés par l’idée que la France, quand elle n’est plus tout, n’est plus rien, alors, oui, le doute est une grande faiblesse. Ce serait ignorer et trahir l’extraordinaire créativité française actuelle, dans tous les domaines, littéraire, théâtral, cinématographique, architectural. Ce serait méconnaître la capacité d’attraction que continue d’exercer notre langue dans le monde. Le doute est une plante qui pousse souvent sur les décombres de la puissance. Elle fend le marbre froid des grandes théories et des pouvoirs sans contrepoids. La voir fleurir en ce moment doit plutôt, à rebours des fausses évidences, nous rendre confiants dans notre avenir ».

Et si on en faisait notre devise au quotidien, chacun dans nos petites contributions à ce pays qui mérite mieux que les objurgations de populistes et masochistes ?

Sources

(1)    – Jean-Christophe Rufin – « Le déclin de sa puissance oblige la France à reprendre confiance en elle » – Le Monde – 26 octobre 2010
(2)     – Jean d’Ormesson – « Etre Français » – Le Point – 13 janvier 2011
(3)     – « Les pays sont des marques comme les autres » – Doc News.fr – 26 novembre 2012
(4)     – Denis Gancel – « Pour une marque France » – INfluencia – 11 avril 2012 –
(5)    – Roger Pol-Droit – « L’oubli des autres » – Les Echos – 27 octobre 2010
(6)    – Jean-Christophe Rufin – « Le déclin de sa puissance oblige la France à reprendre confiance en elle » – Le Monde – 26 octobre 2010

A lire en complément

– Caroline Castets – « La France a tout d’un élève doué qui néglige ses atouts » – Le Nouvel Economiste – 25 mai 2012
– Denis Gancel – « La France est une chance ou les douze raisons pour un Français d’être optimiste »  – Editions W & L’Atelier d’édition
– Visiter le site « J’aime mon pays« 



8 commentaires sur “Marque « France » : Et si on se donnait de vraies bonnes raisons d’y croire ?

  1. La France est une chance  - 

    Tout à fait d’accord !

    Vous avez juste omis de parler de nous : « La France est une chance », l’initiative lancée par Denis Gancel, président de l’agence W et auteur du livre « La France est une chance : 12 raisons d’être Français et optimiste ».
    Notre blog « www.lafranceestunechance.fr » s’efforce de relayer des informations positives et optimistes sur la France. Le blog se veut être une base de documentation positive et renseignée sur les atouts Français dans divers domaines. C’est une lutte contre le pessimisme et l’auto-dénigrement Français parce que oui, la France a des atouts dans plein de secteurs, grâce à plein de personnes…

    Nous vous invitons à visiter notre blog, ou nous rejoindre sur les réseaux sociaux (@franceunechance sur Twitter et « La France est une chance » sur Facebook) pour suivre les informations positives et créer une conversation. Tout le monde peut partager des informations optimistes sur la France.

    Merci.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci pour votre précision mais vous êtes un peu injuste … ou alors vous n’avez pas lu jusqu’au bout le billet. Denis Gancel y est cité en bonne et due forme et largement même si je n’évoque effectivement pas le site « La France est une chance » que je n’avais pas répéré en faisant mes recherches mais surtout l’Observatoire de la marque France !

      J’ajouterai le lien lorsque la mise à jour du billet.

Les commentaires sont clos.