Claude Guéant : Une communication amateuriste et kamikaze

A peine les révélations du Canard Enchaîné étaient-elles connues que Claude Guéant est monté au créneau comme un seul homme avec deux arguments en bandoulière et une communication kamikaze qui pourrait coûter cher à l’ancien ministre et proche de Nicolas Sarkozy.

Le moins que l’on puisse dire est que Claude Guéant n’a pas esquivé les questions, ni ne s’est subrepticement mis aux abonnés absents. Sitôt révélées les trouvailles des juges menant  des enquêtes sur un potentiel financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 et sur le sulfureux arbitrage Lagarde-Tapie, Claude Guéant a immédiatement dégainé le parfait vade-mecum de la communication de crise : occuper le terrain médiatique (avec d’emblée un plateau du JT de 20 heures de France 2 s’il vous plaît !), s’inscrire en faux contre les allégations et asséner une ligne argumentaire concrète.

Sur le plan technique, l’élève Guéant a bien récité sa leçon. En revanche, l’affaire se corse nettement sur le fond rhétorique déployé par le fidèle d’entre les fidèles de Nicolas Sarkozy. Soit il est parti à l’abordage sans une once de préparation (et peut-être avec la morgue du haut-fonctionnaire se pensant intouchable), soit il dispose d’un conseil en communication à licencier sur le champ tant la ligne discursive amateur a été réduite en charpie en l’espace de quelques heures. Revenons un instant sur les justifications brandies par Claude Guéant.

Argument n°1 : une « croûte » qui ne casse pas des briques

Tableau d’Andries van Eertvelest : prémonitoire pour Claude Guéant ?

La première interrogation des juges porte sur l’origine exacte d’un virement de 500 000 € retrouvés sur le compte bancaire de l’impétrant. Sans se démonter, la cheville ouvrière de la Sarkozie associe illico ce montant à la vente de tableaux du peintre flamand Andries van Eertvelest qu’il avait en sa possession. Et d’ajouter qu’il tient les factures officielles à la disposition du juge.

Si séduisante (voire plausible) soit-elle, la clarification est pourtant vite mise à mal. Sur France 2, Claude Guéant ne prononce à aucun moment le nom du peintre grâce auquel il aurait obtenu sa rondelette somme. Etonnant de la part de quelqu’un qui se prétend amateur éclairé d’art pictural flamand. Tout aussi étonnante est la culbute financière réalisée grâce à la cession des tableaux qui ne correspond guère aux cotations actuelles du marché autour des œuvres d’Andries van Eertvelest.

Claude Guéant aurait pourtant dû se douter que la presse allait aussitôt confronter ses propres estimations en interrogeant des experts pour connaître les véritables prix. Lesquels font apparaître un sacré différentiel qui peine à justifier le montant de 500 000 €. La meilleure œuvre de l’obscur flamand a été emportée à 168 000 € chez Sotheby’s tandis que ses réalisations s’écoulaient en moyenne à 40 000 € dans les galeries d’art et les ventes aux  enchères. Résultat : Claude Guéant apparaît soit comme un sacré petit veinard ayant réussi à dégoter un acheteur bien naïf, soit il est un collectionneur pas très au fait des tarifs pratiqués. Dans les deux cas, l’argumentaire est bien léger et la ficelle bien grosse.

Argument n°2 : des « primes » comme s’il en pleuvait

Défense hasardeuse sur France 2

La seconde interrogation des juges concerne de multiples factures réglées en liquides pour une somme totale de 25 000 €. Là aussi, Claude Guéant sort sans barguigner de sa besace défensive, une explication toute trouvée : des primes lui ont été versées en cash lorsqu’il était au ministère de l’Intérieur et il s’en est servi pour effectuer de menus achats. Puis d’appuyer sans ciller que la pratique était courante et qu’au final, tout cela ne porte que sur 25 000 € comme élégamment précisé sur le plateau de France 2. Les chômeurs et foyers qui peinent à joindre les deux bouts apprécieront sûrement ce monument de discours primesautier !

Là encore, la logorrhée communicante de Claude Guéant n’a de cesse d’étonner. Lui, le grand commis de l’Etat rompu aux arcanes administratifs de la machine étatique, invoque des primes qui n’existent déjà plus à l’époque des faits ! Et les témoignages contradictoires de s’accumuler instantanément à l’instar d’une Roselyne Bachelot qui met les pieds dans le plat devant tant d’amnésie chez son ex-collègue de gouvernement. Tous ceux qui s’expriment rappellent que les primes en liquide ont été supprimées en 2001 pour celles issues des fonds secrets de l’Etat par le gouvernement Jospin et en 2003 pour les primes spéciales ministérielles par Nicolas Sarkozy lui-même. Sacré trou de mémoire !

Plus sidérant pourtant, Claude Guéant avance alors l’idée d’un système qui aurait perduré au ministère de l’Intérieur pour s’échiner à expliquer sa propension à payer ses factures en liquides. Avérée ou pas, cette ligne de défense confine à l’absurde. Elle sous-entendrait en effet que le ministère dont il tenait les rênes, se serait alors absout des règles édictées et aurait par ricochet grugé le fisc ! Dans le genre écran de fumée, on a connu mieux comme dialectique pour se disculper !

Un pas de « Guéant » vers la disgrâce ?

Haut-fonctionnaire peu enclin aux exercices médiatiques

L’amateurisme de la communication de Claude Guéant tient peut-être au fait que l’homme a toujours préféré œuvrer dans les coulisses discrètes de l’Etat. Dans sa carrière de haut-fonctionnaire expert ès missions sensibles, il a notamment collaboré avec Charles Pasqua puis avec Nicolas Sarkozy dans d’innombrables dossiers de l’ombre aux ficelles jamais vraiment démêlées comme la libération des infirmières bulgares en Libye, l’intervention dans divers contrats pétroliers et d’armement, etc.

Admirateur assumé de Jacques Foccart, l’homme de l’ombre du gaullisme, de la Françafrique et des services secrets, Claude Guéant n’est pas un animal médiatique à l’instar de son mentor en politique, Nicolas Sarkozy. Là où les conseillers de l’ex-président n’ont jamais cessé de courtiser les micros et les caméras, il a toujours préféré se cantonner dans un retrait protocolaire limitant les expositions à la presse. Cette tendance à l’effacement dévoué est peut-être une des clés de sa communication bricolée et brinquebalante.

Son intervention sur France 2 mardi soir n’avait rien d’un Jérôme Cahuzac capable de vous planter les yeux dans les yeux une dénégation inflexible. Il apparaissait plutôt comme un haut-fonctionnaire gêné aux entournures et peu adepte des justifications publiques. Le résultat de tout cela est qu’aujourd’hui, Claude Guéant est un homme isolé au discours vaseux et peu convaincant. Il est d’ailleurs à noter qu’aucun des ténors de la droite ne s’est pour l’instant mouillé pour tenter de sauver le soldat Guéant. Devant la vacuité des arguments de ce dernier, c’est plutôt le mutisme assourdissant qui sert de tactique de communication à l’UMP qui pourrait tôt ou tard avoir également son « Cahuzac de droite » !



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