Lobbying, vous avez dit lobbying ? Une étude fait le point
A peine le mot de lobbying est-il prononcé en France qu’il suscite illico suspicion, voire répulsion au sein d’une vaste majorité d’acteurs. D’origine anglo-saxonne, l’activité est en effet plus réputée pour des dérives délétères qu’un concours concret à l’exercice de la vie démocratique. Une étude conjointement menée par l’agence de relations publics Burson Marsteller i&e et l’institut TNS Sofres tend pourtant à montrer que cette profession peut trouver sa place à condition de respecter des règles de transparence plus strictes qu’aujourd’hui. Etat des lieux.
De février à mars 2013, une quarantaine d’entretiens qualitatifs a été menée auprès d’élus issus de tous les échelons de la représentativité nationale (local, régional, national et européen) et de hauts fonctionnaires d’Etat. Face à des enjeux économiques et sociétaux à la complexité croissante, les décideurs en charge de la nation sont régulièrement sollicités par divers organismes censés promouvoir les intérêts d’une catégorie professionnelle. Cette orchestration des échanges qui vise à influencer l’orientation d’un texte de loi ou d’une norme est communément appelée « lobbying ». En France, le vocable revêt souvent une connotation sulfureuse, voire péjorative au sein l’opinion publique. Où en est la perception de ceux qui reçoivent fréquemment des lobbyistes dans leurs bureaux lambrissés ?
Le poids du péché véniel toujours prégnant
Est-ce l’origine étymologique du mot qui perdure par-delà les décennies et les codes parlementaires ? Toujours est-il que le lobbying continue de traîner une mauvaise presse dans son sillage. Handicap de naissance ou pas, cette désignation est apparue dans le courant du 18ème siècle en Angleterre. Elle correspondait alors aux rencontres informelles mais très influentes entre des membres de la Chambre des Communes britannique et des groupes d’intérêts variés. Rencontres qui se tenaient la plupart du temps dans les « lobbies » de la vénérable assemblée, terme anglais qui signifie littéralement « vestibule » ou « couloir ». L’association sémantique est demeurée et avec elle, les notions d’opacité, de coulisses et de court-circuitage de la vie démocratique.
Dans l’étude de Burson Marsteller i&e et TNS Sofres, le poids de cette réputation perdure lorsqu’on aborde les aspects les plus négatifs du lobbying. 26% des personnes interrogées déplorent un manque de transparence et des intérêts pas clairement définis. On trouve un score identique d’interviewés pour dire que le lobbying ne fournit pas une information neutre. Enfin, 24% estiment que cette activité exerce une influence excessive sur le processus démocratique. A l’échelle de l’Europe où Burson Marsteller a effectué une étude identique, on retrouve peu ou prou des pourcentages similaires autour de ce sentiment de biais et de distorsion de la démocratie.
Si l’on pousse un cran plus loin le curseur des reproches majeurs attribués au lobbying, la question de la transparence est citée par 60% des répondants qui jugent avoir du mal à cerner les véritables bénéfices poursuivis par les actions de lobbying. Pire, 45% vont même jusqu’à évoquer ouvertement le versement de pots de vin en échange d’une bienveillance à l’égard de telle ou telle recommandation émanant d’un lobby. 36% s’avouent également dérangés par l’agressivité dont peuvent parfois faire preuve ces professionnels de l’influence réglementaire. Enfin, à la question des secteurs qui ne devraient pas être autorisés à recourir à cette pratique, c’est une écrasante majorité qui pointe l’industrie pharmaceutique et plus généralement la santé publique. Les récents scandales du Mediator, des affaires de Jérôme Cahuzac et des prothèses PIP y sont très certainement pour quelque chose dans ce désaveu.
Mais qui sont ces lobbyistes ?
Dans la fantasmagorie médiatique autour du métier, le lobbyiste est avant tout perçu comme un acteur discret mais redoutablement efficace au service d’intérêts catégoriels très précis. La vision commune n’est pas si éloignée de la perception qu’en a l’échantillon de l’étude. Pour 93% d’entre eux, un lobbyiste est issu de cabinets de consultants en affaires publiques et d’agences spécialisées. Ensuite, viennent respectivement les organisations professionnelles (83%), les fédérations syndicales (81%), les entreprises (76%) et les cabinets d’avocats (69%). Autant dire que le critère sectoriel est éminemment présent dans l’image forgée globalement. Plus loin dans ce classement, sont également mentionnés les ONG (64%), les syndicats (60%) et les think tanks (57%).
L’apparition des ONG dans ce palmarès est d’ailleurs très intéressante. Dans les médias comme dans l’opinion publique, autant le lobbyiste classique véhicule fortement une réputation suspecte, autant le militant d’ONG est spontanément vu comme quelqu’un d’intègre et loyal et par conséquent, aux antipodes … du lobbyiste ! Pourtant, ce n’est pas l’image qu’en a le panel interrogé par Burson Marsteller i&e et TNS Sofres. 57% leur reprochent d’argumenter leurs positions en s’appuyant plus volontiers sur des sentiments que des faits. 40% les blâment même pour leur agressivité dans la défense de leurs convictions.
Néanmoins, si nombre d’items négatifs sont mis en relief par l’étude, les lobbyistes ne sont pas pour autant systématiquement voués aux gémonies. Les personnes interrogées estiment que leur rôle est aussi de contribuer à la participation des acteurs économiques et sociaux et des citoyens au processus politique (40%), de fournir des éclairages utiles au moment opportun (24%) ou même d’attirer l’attention sur une question d’importance (21%). En cela, les lobbies viennent compléter et enrichir les sources d’information disponibles par ailleurs pour les élus et les hauts fonctionnaires.
Exigence de transparence et d’éthique
En dépit d’images peu flatteuses et persistantes, les lobbyistes n’en demeurent donc pas moins acceptés par les artisans des lois françaises. Mais à une condition massivement posée : accroître la transparence ; notamment au sujet des intérêts dont on porte la parole. A ce jeu-là, les fédérations professionnelles, les organisations syndicales, les ONG et les entreprises s’en sortent globalement plutôt bien du fait qu’elles avancent ouvertement sous leur propre enseigne. C’est en revanche moins le cas pour les cabinets spécialisés où il est nettement plus mal aisé de discerner qui est précisément derrière la démarche entreprise.
Cette dernière question ressort clairement comme un impératif. Plus de la moitié des décideurs réglementaires pensent qu’un registre obligatoire serait utile pour accroître la transparence des acteurs du lobbying. Derrière cette exigence, s’exprime avant tout le besoin de pouvoir mieux cerner d’où parlent et agissent ces interlocuteurs dont certains cultivent l’opacité ou la communication minimaliste. Aux yeux des interviewés, cette transparence via un registre permettrait de mieux appréhender l’origine des informations et d’améliorer par conséquent la prise de décision.
On ne peut effectivement qu’encourager une pratique plus éthique du lobbying au lieu de recourir aux faux-nez qui pullulent encore. Cependant, et l’étude le souligne d’ailleurs, il est assez amusant de constater que les mêmes décideurs ne s’appliquent pas toujours spontanément le même niveau de transparence qu’ils exigent pour autrui. Seulement, 50% des répondants mentionnent auprès de leur hiérarchie les rencontres avec des lobbyistes. En revanche, 26% ont tendance à ne rien divulguer des informations recueillies au cours de ces échanges. Faites ce que je dis, pas ce que je fais ? !
Pour en savoir plus
– Télécharger la 5ème édition de l’étude sur l’efficacité du lobbying en France et en Europe
– Lire le communiqué de synthèse
– Lire l’interview de Marie-Laure Daridan et Aristide Luneau, auteurs du récent ouvrage intitulé « Lobbying, les coulisses de l’influence en démocratie » aux éditions Pearson