Les messageries instantanées ont-elles vraiment un intérêt dans une stratégie de communication ?

Jusqu’à présent principalement réservées à la conversation privée entre amis, proches et/ou pairs, les messageries instantanées comme Facebook Messenger, Whatsapp, Viber, etc commencent à être désormais considérées comme de nouveaux canaux de communication à investir pour les marques et les entreprises désireuses d’engager au plus près avec leurs publics. Depuis le début de l’année, les initiatives et les incursions se multiplient sur ce terrain digital surprenant à première vue. Faut-il y voir encore un nouvel emballement « hype » dont certaines agences sont coutumières ou une authentique opportunité d’étoffer un dispositif de communication ? Le Blog du Communicant fait le point.

Il faudra peut-être vous y faire prochainement en voyant surgir dans le fil de conversation de votre messagerie instantanée, une alerte actualité ou une promotion émanant de votre marque favorite. Longtemps restées à l’écart dans les dispositifs de communication mis en place par les entreprises, les messageries instantanées sont dorénavant regardées d’un nouvel œil. Leur immédiateté ou leur caractère plus intime constituent quelques-uns des critères qui conduisent certains acteurs à tenter des expériences éditoriales pour cultiver le contact avec leurs cibles privilégiées. Une bonne idée ou une intrusion qui risque de lasser ?

Un indéniable réservoir d’audience

IM - messaging-appsJusqu’à présent, il y avait le bon vieux SMS qui prenait parfois des airs marketing invitant à saisir l’occasion d’une promo flash ou à recevoir des notifications sur un événement en cours. Maintenant, il va sans doute falloir également compter avec les messageries instantanées qui rencontrent un vif succès parmi les internautes, notamment en version mobile. Moteur de cette tendance qui n’a plus rien d’un épiphénomène : les adolescents et les jeunes adultes. Selon une étude du Global Web Index publiée à l’automne 2013, l’application mobile chinoise de message vocal et textuel WeChat enregistrait déjà une époustouflante croissance de 1021% depuis le début de 2013 (1). Même si ce bond est originellement né en Chine au sein d’une population nationale particulièrement jeune et connectée, l’application a désormais largement conquis des utilisateurs hors de ses frontières. Elle atteste ainsi d’un vrai engouement pour ce type de communication.

Les plateformes de messagerie instantanée n’ont en effet jamais cessé de progresser et de multiplier les fonctionnalités auprès de leurs utilisateurs. Au Japon par exemple, c’est l’application du nom de Line qui cartonne auprès des jeunes en proposant des services étendus comme la géolocalisation d’un taxi. D’autres applications se sont constituées d’énormes communautés comme Whatsapp (qui appartient par ailleurs à Facebook) qui revendique 900 millions d’utilisateurs ou encore Viber qui compte 608 millions d’utilisateurs dont 236 millions régulièrement actifs (2). Certaines messageries jouent même le contre-pied en offrant des services garantissant sécurisation maximum des conversations, voire anonymisation des profils. C’est le cas de Telegram qui affiche 100 millions d’adeptes dans le monde ou encore la dernière-née du genre, Signal recommandée de surcroît par le lanceur d’alerte Edward Snowden !

Au cours du deuxième trimestre 2015, les 4 plus importantes applications de messagerie instantanée se sont même payé le luxe de dépasser les 4 applis des traditionnels réseaux sociaux en termes de recrutement de nouveaux abonnés. Professeur à l’université des télécommunications de Georgie aux USA, Itai Himelboim explique ce succès par la meilleure proximité que permet une messagerie instantanée par rapport à un réseau social classique (3) : « Certains médias sociaux sont devenus si larges que le composant social vient à manquer. De plus petits espaces sociaux, particulièrement spécifiques à un centre d’intérêt, peuvent alors devenir une alternative où les utilisateurs disposent d’un réseau social gérable et où ils peuvent mieux investir dans des relations interpersonnelles ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Facebook accorde désormais beaucoup de soin à son application Messenger (800 millions de membres) en l’ouvrant à de nouveaux services comme tout récemment l’intégration de Spotify, la plateforme de streaming musical.

Les médias débarquent

IM - BBC-viber-timelineDepuis quelque temps, de grands noms des médias multiplient les actions sur différentes plateformes pour rester au contact d’un public devenu à la fois volatile et fragmenté. La célèbre BBC fait partie de ces acteurs qui ont investi l’univers des messageries instantanées depuis 2014. « Auntie », surnom historique de la BBC, a effectué ses premiers pas sur YikYak et Line, deux messageries géolocalisées en y diffusant de l’information santé et sécurité lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique et le tremblement de terre au Népal. 25 000 personnes s’étaient ainsi abonnées aux alertes BBC sur Whatsapp durant la crise Ebola (4).

Apparemment convaincu par les résultats de ces essais, le média britannique augmente dorénavant la voilure en investissant Whatsapp et Viber depuis le 6 mars 2016. Sur la première messagerie, la BBC diffuse une série documentaire faite de vidéos clip de 3 minutes. Intitulée « Young, Angry and Connected », cette série raconte la vie de jeunes Africains qui se sentent marginalisés et utilisent Whatsapp et les médias sociaux pour faire entendre leur voix. Sur la seconde plateforme, il s’agit du même principe mais sur un thème différent, celui des kidnappings qui surviennent à Mexico.

Responsable de ces expériences à la BBC, Trushar Barot espère convaincre notamment 2000 utilisateurs sur Whatsapp. Mais à ses yeux, l’essentiel n’est pas tant la portée que le degré d’attention qu’il escompte obtenir (5) : « La puissance d’une notification push sur Whatsapp est réellement puissante. Vous savez que 100% de votre base d’abonnés va la voir instantanément. Ces derniers sont donc plus fortement engagés et plus motivés à répondre ».

Un autre média, le site d’information américain Quartz, vient également de se pencher avec une attention accrue sur l’univers de la conversation instantanée. Avec néanmoins une approche plus originale. Cette fois, pas de contenus diffusés sur les blockbusters de la messagerie instantanée que sont Facebook Messenger, WeChat, Viber et Whatsapp mais une application propriétaire développée pour la circonstance qui reprend les codes et les modes d’interaction de ces dernières. Sous forme de mini-messages, Quartz questionne ainsi ses lecteurs sur des thèmes d’actualité que ceux-ci aimeraient éventuellement voir approfondis par les journalistes de Quartz. Entre deux questions, Quartz propose également des quizz sur les sujets faisant la Une du moment pour maintenir la relation avec les mobinautes.

Quel avenir pour quels usages ?

IM - grapheSur le front des messageries instantanées, règne en tout cas un vrai branle-bas de combat tant du côté des créateurs d’applications que des éditeurs de contenus. A cet égard, les mouvements que Facebook opère autour de Messenger sont particulièrement scrutés par les experts. En janvier 2016, David Marcus, vice-président Messenging Products de Facebook a d’ailleurs esquissé de futures potentialités pour Messenger dans un billet très remarqué sur la newsroom officielle de l’entreprise. Il y est question de commander un taxi, d’effectuer des virements à des amis, d’acheter des produits, etc.

Autant de perspectives qui ont déjà amené quelques marques à poser des jalons sur ce territoire encore flambant neuf en matière de communication digitale. Directeur du mobile au sein de l’agence Digitas LBi, Ilicco Elia se montre clairement enthousiaste sur le sujet (6) : « Cela devient excitant quand les entreprises regardent la messagerie instantanée comme un élément de l’expérience multicanal et un nouvel état d’esprit dans la façon de parler au consommateur ».

Pour le moment, le site spécialisée Digiday distingue quatre types d’usage majeurs de Messenger par les marques et les médias :

  • Un canal interactif pour partager des informations et recueillir les avis des abonnés
  • Un canal pour assurer un service client et prendre en charge des requêtes
  • Un canal de distraction où l’utilisateur peut interagir de manière ludique avec un bot
  • Un canal commercial pour effectuer des transactions, des réservations ou suivre des expéditions de colis

A ce stade, difficile toutefois de cerner précisément le potentiel exact de la messagerie instantanée et surtout de la durabilité de l’appétence des utilisateurs. Aujourd’hui, ces expériences constituent une réelle nouveauté attractive. Mais qu’en sera-t-il demain si ces mêmes messageries deviennent infestées de contenus divers et variés, sans parler de bannières publicitaires que d’aucuns envisagent déjà d’insérer ? La messagerie instantanée recèle très probablement un véritable potentiel en termes de recueil d’opinions et de commentaires mais à condition probablement que le lien soit établi de manière consentie par l’utilisateur.

Dans le cas contraire, l’intrusion risque d’être mal vécue, voire rejetée et induire des phénomènes similaires à celui des ad-blockers qui font la chasse aux displays envahissants et autres pollutions visuelles dégradant l’expérience utilisateur. A mon sens, les messageries instantanées doivent être utilisées en complément d’un dispositif plus global et surtout avec pertinence ciblée et fréquence parcimonieuse. Ceci afin de capitaliser efficacement sur ce qu’elles sont intrinsèquement : des espaces plus « intimes » d’échanges mais sans verser dans l’infobésité ou la sur-sollicitation. D’ailleurs, lorsqu’un ami vous « ping » sans cesse sur Facebook Messenger ou Whatsapp et vous inonde de messages, que faites-vous à votre avis ?

Sources

– (1) – Doug Gross – « Social media users migrating to smaller circles » – CNN.com – 25 mars 2014
– (2) – Craig Smith – « By the numbers: 18 amazing Viber stats » – DMR Digital Stats/Gadgets – 6 février 2016
– (3) – Doug Gross – « Social media users migrating to smaller circles » – CNN.com – 25 mars 2014
– (4) – Lucinda Southern – « How the BBC is stepping up its use of chat apps with Viber and WhatsApp » – Digiday – 3 mars 2016
– (5) – Ibid.
– (6) – Lucinda Southern – « How brands and publishers are using Facebook Messenger » – Digiday – 18 janvier 2016