#ExtinctionRebellion : Désobéir civilement est-il un acte de communication constructif ?

Ils décrochent les portraits présidentiels dans les mairies, ils squattent l’espace urbain en installant des campements à même la chaussée, ils barrent l’entrée des magasins des grands enseignes commerciales, ils prennent le contrôle de la circulation. Après les Gilets Jaunes et leur Acte 48 à ce jour, des rebelles activistes d’un nouveau genre viennent de débarquer dans l’agora publique. Tirant la sonnette d’alarme de l’urgence climatique, ils justifient leurs actions de communication au nom de la désobéissance civile et de l’état de nécessité. Avec un mouvement qui a le vent en poupe aujourd’hui : Extinction Rebellion. Est-on en face d’une communication binaire qui n’augure rien de bon ?

Le concept de désobéissance civile a surgi en 1849 sous la plume du philosophe et poète américain Henry David Thoreau. Il en fit même le titre éponyme de son essai où il développe et argumente son refus de payer une taxe levée par le gouvernement pour financer une expédition militaire au Mexique. Il entend ainsi afficher publiquement son opposition à une loi étatique tout en prônant une résistance non-violente en vue de faire reculer (voire s’effondrer) le pouvoir en place qui n’est rien à ses yeux sans le soutien du peuple. Un siècle plus tard, l’Histoire popularisera ce principe à travers deux grandes figures mondialement connues : le Mahatma Gandhi en Inde et le pasteur Martin Luther King aux Etats-Unis. Tous utiliseront ce mode de révolte farouche mais dénué de violence pour faire l’un triompher l’indépendance politique de son pays, l’autre faire reconnaître les droits civiques des Noirs américains.

Désobéissez-moi, désobéissez-moi ! Oui, mais pas trop …

En France, la désobéissance civile a également connu ses heures de gloire. Le célèbre appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle sur les ondes de la BBC découle en large partie de cette idée. Dans son discours, il enjoint les Français à ne plus respecter le gouvernement de Vichy et les règles qu’il édicte. Mais c’est sans doute la lutte des 103 fermiers du plateau du Larzac de 1970 à 1981 qui incarne le plus profondément le concept de désobéissance civile dans l’Hexagone. Menacés d’expropriation par le projet d’extension d’une base militaire, les paysans regimbent. Certains bravent la loi et construisent des bâtiments sur les terres dont on veut les faire partir. Soutenus dans l’opinion publique, des milliers de personnes décident d’eux-mêmes de réduire leur dîme fiscale pour verser le reliquat aux agriculteurs en lutte. Elu président de la République en 1981, François Mitterrand signera derechef l’abandon du projet.

A mesure que les décennies passent, les actes de désobéissance civile vont sporadiquement se multiplier comme notamment les citoyens qui viennent en aide aux migrants clandestins. Avec de plus en plus le recours à une scénographie volontairement spectaculaire dans les manifestations pour susciter une couverture médiatique forte et faire valoir ainsi ses récriminations à l’encontre du pouvoir et du reste de la société. C’est typiquement l’axe qu’a déroulé le mouvement Extinction Rebellion durant ces deux dernières semaines à coups de sit-ins bigarrés sur le macadam des rues et de chaînes humaines bloquant des boutiques jugées comme symboles de l’ultraconsumérisme qui alimente la crise climatique.

Quand la loi s’en mêle (ou s’emmêle) aussi

Un autre concept est récemment venu enrichir l’arsenal des activistes non-violents pour le climat. Il s’agit d’une technique juridique inscrite dans le Code pénal qui répond au nom d’état de nécessité. Celle-ci existe dans la loi française depuis le 19ème siècle comme l’explique Me Nicolas Gallon, avocat à Montpellier (1) : « A l’origine, il s’agissait de protéger la mère qui volait du pain pour nourrir son enfant. La justice estime ainsi que l’on n’est pas responsable d’une infraction quand celle-ci est motivée par un intérêt supérieur, en l’occurrence l’intérêt de l’enfant. Cette règle inscrite ensuite dans la loi a évolué et, après-guerre, elle a été avancée pour la première fois dans des contentieux sociaux, avec la relaxe de proches de l’abbé Pierre qui avaient réquisitionné des logements pendant l’hiver 1954 ».

Cette notion n’a guère tardé à débarquer au cœur des controverses écologiques. En 2005, le tribunal d’Orléans invoque l’état de nécessité pour prononcer la relaxe de 49 faucheurs volontaires de champs OGM. Ce verdict sera ensuite cassé en cour d’appel et cour de cassation mais il n’en démontre pas moins que la désobéissance civile peut-être secourue par l’argument d’état de nécessité. C’est d’ailleurs ce qui s’est à nouveau produit en septembre 2019. Cette fois, c’est le tribunal correctionnel de Lyon qui utilisé l’argument pour fonder la relaxe de deux militants écologistes. Ces derniers comparaissaient pour avoir décroché le portrait officiel du président de la République dans une mairie en signe de dénonciation de l’inaction du gouvernement en matière de réchauffement climatique. Dans son arrêté, le juge justifie sa décision de recourir à un tel argument en arguant notamment que l’urgence climatique est supérieure au droit de propriété de la commune. Il ajoute de surcroît qu’il est question de liberté d’expression (2) : « Face au défaut de respect par l’Etat d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation ».

Incivisme d’abord … et puis après ?

Depuis le lancement de sa campagne de désobéissance civile « Décrochons Macron », le mouvement ANV-COP21 revendique la « réquisition » de 128 portraits officiels du président avec quasiment autant de procès à la clé et des verdicts variés qui vont de la simple relaxe (sans référence à l’état de nécessité) des amendes fermes ou avec sursis, tandis que d’autres sont encore en cours jusqu’en septembre 2020. Une chose est certaine. La mobilisation ne faiblit pas comme en attestent les positions tranchées de deux figures de proue de la défense de l’environnement. C’est d’abord Jean-François Julliard qui déclare (3) : « Aujourd’hui, il faut s’engager dans la rue, ce n’est plus le temps de l’expertise et du plaidoyer » puis Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France qui enchaîne (4) : « Ce n’est plus le temps d’alerter, mais de passer aux actes pour marquer les esprits (…) les juges vont comprendre ce que les dirigeants ne comprennent pas ? ».

Il n’en demeure pas moins que de nombreuses voix se sont élevées contre ce qu’elles estiment être une confusion de la part du magistrat lyonnais. Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit environnement et professeur à l’université de Paris-I, fait partie de celles-ci (5) : « Ce jugement manque de sérieux et de rigueur d’un point de vue juridique, affirme-t-il. C’est un exposé de l’opinion personnelle du juge. On confond légitimité et légalité de l’action. ». La ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne s’est même fendue d’un commentaire sec (6) : « Des comportements inciviques ne méritent pas d’être encouragés par des décisions de ce type ». Pour autant, s’affranchir totalement du respect des lois en y opposant avec virulence le degré d’urgence prioritaire de la crise climatique, peut-il constituer une stratégie de communication viable et rassembleuse au-delà du cercle des habitués de l’agit-prop et du zadisme avec le joint aux lèvres et la botte de paille sous le bras ?

Apocalypse now, version rebelle !

Lorsque les militants sont interrogés, il n’y a aucun doute. Il faut passer outre les cadres juridiques, légaux et électoraux. Selon, les marches sont vouées à l’inanité et ne sont pas entendues. Seules les actions plus radicales peuvent laisser espérer qu’un changement de cap sera opéré par les décideurs politiques et massivement soutenus par l’opinion publique. C’est par exemple ce que déclare Dude au site d’observation des tendances, L’ADN (7) : « C’est grâce à la pluralité des modes d’action qu’on pourra avoir un impact réel et qu’on pourra faire plier le système actuel. La désobéissance civile est l’un des leviers qui permettent de faire plier le système actuel ».

Ce radicalisme fortement teinté de catastrophisme nostradamesque a été précisément capté par un mouvement baptisé Extinction Rebellion. Créé en Angleterre en octobre 2018, celui-ci a très rapidement essaimé au point de compter actuellement 100 000 militants répartis dans 70 pays (8) et d’avoir comme soutiens des célébrités aussi diverses que notoires comme l’actrice Jane Fonda, le groupe de rock Radiohead, la princesse Esmeralda de Belgique et même Aileen Getty, l’héritière d’un fortuné groupe pétrolier ! De fait, les grandes capitales occidentales ne cessent de voir débarquer des cortèges chamarrés qui s’approprient des ponts, des places et des avenues pour bloquer toute circulation. Le tout en martelant des slogans et des visions apocalyptiques comme ne le renierait pas une certaine Greta Thunberg (9) : « On désobéit parce que l’on n’a plus le choix. Un effondrement de nos écosystèmes est en cours, les scientifiques alertent depuis quarante ans sur la crise climatique, et le gouvernement ne réagit pas ».

La logorrhée militante est de surcroît soigneusement orchestrée et mise en scène. Côté graphique, l’identité du mouvement s’articule autour d’un sablier incarnant l’urgence climatique et un acronyme XR qui sonne comme une signature rebelle et opposée. L’ensemble emprunte largement aux chartes visuelles des groupuscules activistes de tous bords mais qui partagent une constante résolution à s’opposer à la société de consommation actuelle. Côté scénographique, les organisateurs veillent aussi à assurer de l’impact aux images. En juin dernier, 300 litres de faux sang avaient été déversés sur le parvis du Trocadéro à Paris. Il y a également la « Red Rebel Brigade » toute habillée de rouge sanguinolent et de blanc mortifère qui vient narguer les cordons de police. Histoire sans doute de provoquer quelques arrestations et gardes à vue qui fourniront toujours de « belles » images de répression policière et d’état violent.

Radicaliser pour mieux construire ?

Si cette stratégie a rapidement réussi à coaguler tout ce que compte la galaxie écologiste radicale de desperados allergiques à la société et d’activistes remontés comme des pendules, il est loin d’être acquis qu’Extinction Rebellion parviendra durablement à former un mouvement consistant et populaire. Certes, la thématique de fond défendue par XR est indiscutablement un dossier prioritaire dont le monde entier doit s’emparer pour éviter de plus amples catastrophes écologiques dans un avenir proche. Sur ce point, il faudrait vraiment être aveugle ou borné pour ne pas admettre que l’impact de l’activité humaine accentue et accélère gravement les effets du réchauffement climatique, qui est par ailleurs un phénomène naturel intrinsèque aux cycles environnementaux de la planète. En revanche, cultiver des postures de radicalisation ne constitue pas le meilleur moyen d’unir les forces mais plutôt de fragmenter et d’entrer dans des logiques d’affrontement binaire comme on le voit aujourd’hui avec Greta Thunberg. La jeune suédoise est devenue tellement clivante qu’il devient impossible de tenir des débats constructifs sur un sujet qui mérite pourtant que chacun apporte son écot sans systématiquement s’écharper.

Les organisation écologistes historiques (qu’on ne peut soupçonner pour autant de complaisance ou de mollesse) comme France Nature Environnement, Greenpeace, Fondation Hulot, WWF tiennent d’ailleurs à tempérer l’approche ultraradicale d’Extinction Rebelle qui a une nette propension à verser dans le solutionnisme simpliste comme le dit David Abel, vice-président de FNE (9) : « Il ne faut pas croire que tout peut changer en trois mots au risque de ne créer que de la désillusion ». Surtout, osera-t-on ajouter, en continuant à perturber le quotidien des citoyens qui partagent les mêmes préoccupations environnementales mais qui se retrouvent coincés çà et là par des squats à ciel ouvert dans les artères urbaines. Pour générer de la sympathie militante, on a connu plus inspirées comme méthodes !

Attention, arnaque communicante en vue ?

Même parmi les militants rôdés de l’activisme écologiste, le doute s’insinue sur la stratégie déclinée par Extinction Rebelle. Co-fondatrice des Verts allemands et engagée très à gauche, Jutta Ditfurth a pourtant jeté un sacré pavé dans la mare le 6 octobre sur Twitter en qualifiant XR de « secte ésotérique croyant en l’extinction précoce de l’humanité et recommandant le sacrifice de soi ». Il est vrai qu’en parcourant la profession de foi du mouvement, on a vite le sentiment d’être quelque part entre les délires hallucinogènes de Burning Man et les lunettes rose pilule du New Age. Il est question de chamanisme péruvien, de yoga spiritualisé et de soins énergétiques aux accents vaudou.

Sous des airs d’indignation légitime au regard du sujet climatique, Extinction Rebelle et plus généralement les thuriféraires de la désobéissance civile à tout crin, sont en fin de compte encore plus radicaux que ceux qu’ils entendent pointer du doigt et dénoncer. Le projet de désobéissance n’est ni plus ni moins qu’un projet politique de substitution du capitalisme actuel au profit d’un monde décroissant radical. Dans ce contexte, il n’est pas certain que cela soit la meilleure voie pour engendrer un dialogue constructif. Les tenants d’un libéralisme débridé (et fondamentalement dangereux pour les ressources naturelles) s’arc-bouteront encore plus face à des « Khmers » verts sans concessions qui aimeraient revenir à la calèche et au bateau à voile. A ce petit jeu délétère, c’est surtout la résolution de l’urgence climatique qui en pâtira ainsi que les habitants actuels et à venir de la planète. Mais peut-être que le mot « Extinction » est en fin de compte l’objectif ultime de ceux qui veulent ouvrir les chakras en faisant des teufs, des massages tantriques et du volley-ball dans la rue ?

Sources

– (1) – Gaël Vaillant – « Décrocheurs de portraits de Macron : on vous explique le jugement du tribunal de Lyon » – Le Journal du Dimanche – 17 septembre 2019
– (2) – Ibid.
– (3) – « Huit « décrocheurs » de portraits de Macron et un vidéaste devant la justice à Paris » – Le Monde – 11 septembre 2019
– (4) – Ibid.
– (5) – Pascal Charrier – « La fragile victoire juridique des « décrocheurs de portraits » – La Croix – 17 septembre 2019
– (6) – Geoffroy Clavel – « Les décrocheurs de portraits « encouragés » par la justice, selon Borne » – Huffington Post – 17 septembre 2019
– (7) – Alice Huot – « Extinction Rebellion, qui sont ces militants prêts à tout pour sauver la planète ? » – L’ADN – 10 octobre 2019
– (8) – Emilie Torgemen – « Des militants verts et contre tous ? » – Le Parisien – 13 octobre 2019
– (9) – Ibid.