Les dircoms à la loupe de 2 études : Du progrès … mais peuvent mieux faire !

Deux études fouillées de Saper Vedere et Visibrain ont récemment passé au crible l’usage de Twitter par des directeurs de la communication de grandes entreprises (mais aussi de moindre taille) ainsi que leur rythme d’activité et leurs orientations éditoriales. Si l’adoption de l’outil est quasiment devenue la norme pour les communicants, les pratiques s’avèrent nettement plus hétéroclites et encore globalement empreintes d’un discours très balisé. Enseignements et pistes de progrès.

Les travaux d’analyse dévoilés coup sur coup par Saper Vedere et Visibrain constituent un important jalon dans la compréhension de l’évolution de la fonction de dircom dans un entreprise. Une fonction que j’ai moi-même exercée dans plusieurs secteurs durant une quinzaine d’années en ouvrant en particulier dès 2009 un profil Twitter (puis ce blog un an plus tard) pour explorer des réseaux sociaux alors encore en pleine adolescence mais déjà particulièrement actifs et tumultueux sur certaines thématiques. A l’époque, peu de communicants se risquaient vraiment à mettre un pied dans cet écosystème mouvant et quelque peu aux antipodes de la communication classique régulièrement adepte de l’esquive ou de la lénification. Une grosse décennie plus tard, l’expression des communicants a-t-elle desserré la cravate et fonctionne-t-elle à plein ?

Portraits-robots croisés

Éditeur d’une solution technologique de veille des réseaux sociaux, Visibrain s’est prioritairement concentré sur les directeurs de la communication des groupes listés au CAC 40. Un choix pertinent dans la mesure où ces entreprises font l’objet d’une couverture médiatique soutenue et parfois sensible et controversée. Autant dire que la parole du dircom acquiert toute son importance dès lors qu’il s’agit de toucher et d’interagir avec les communautés abonnées. Intégré ou subi, l’écosystème numérique n’est en tout cas plus une option, a fortiori pour les professionnels de la communication dont une des fonctions premières est d’être un relais entre différents publics. Sur ce point, Visibrain constate malgré tout que 14 des directeurs de la communication d’enseignes du CAC 40 sont toujours absents de Twitter soit 35% des 40 noms du panel.

Chemin faisant, une majorité a donc franchi le cap et configuré un compte Twitter. Néanmoins, lorsqu’on scrute de plus près l’activité réelle des 26 engagés, le diagnostic est plus mitigé. Un quart d’entre eux publie moins d’une fois par semaine. Un autre quart se manifeste 1 à 6 fois par semaine. Seuls 15% des dircoms du CAC 40 ont une activité quotidienne sur le réseau de micro-blogging. De quoi laisser quelque peu circonspect alors que ce ne sont pas les opportunités de prise de parole, de partage de contenus et d’interactions qui manquent à propos des thématiques portées par leurs entreprises respectives.

Agence de conseil, de veille stratégique et d’influence digitale, Saper Vedere a quelque peu élargi son spectre d’observation en englobant les profils Twitter de 55 directeurs de la communication francophones, incluant ainsi des sociétés de plus petite taille et des filiales françaises de grands groupes étrangers. Un enseignement est plus particulièrement à relever lorsqu’on se penche sur les dircoms les plus actifs. Dans le top 5 identifié par Saper Vedere (voir ci-dessous), ne figure aucun dircom du CAC 40. Le premier d’entre eux, Bertrand Cizeau (BNP Paribas) arrive en 6ème position avec 1242 tweets émis entre juin 2018 et mai 2019. Pour ce dernier, l’écho digital est d’ailleurs confirmé par Visibrain qui le place parmi les 3 dircoms CAC 40 les plus retweetés (2 fois en moyenne) et en tête des dircoms les plus cités entre janvier et avril 2019.

Quels registres de discours adoptés ?

Dans son étude, Saper Vedere distingue trois grandes catégories de registres de discours que les dircoms ont tendance à adopter. Le plus naturel est évidemment celui de « l’ambassadeur » de l’entreprise qu’il représente, en valorisant les réalisations des collaborateurs, les projets engagés et les produits et/ou services de l’entreprise. Le dircom s’inscrit alors dans une logique de « marque employeur » à l’instar de Béatrice Mandine (Orange France). Elle exerce une influence remarquée au sein de la communauté « Orange » qui agglomère des acteurs bien au-delà de l’enseigne même de l’entreprise avec des experts du digital, des associations professionnelles, des profils spécialisés sur un domaine technologique, etc. Visibrain confirme en remarquant que Béatrice Mandine appartient aux 3 dircoms CAC 40 les plus actifs avec 317 tweets publiés en 4 mois – aux côtés de Caroline Guillaumin (Société Générale) avec 649 tweets et Pierre Auberger (Groupe Bouygues) avec 367 tweets, et juste derrière Bertrand Cizeau (BNP Paribas) avec 286 tweets.

Le deuxième type de registre emprunté par des dircoms est celui de « l’expert » de la communication. Au-delà de son rôle spécifique dans son entreprise d’appartenance, il s’exprime sur les tendances du métier de communicant et des enjeux que celui-ci doit relever dans sa fonction. Pour Saper Vedere, cette forme d’influence « permet une assise parmi la profession, de déployer la marque employeur, de disposer d’un réseau de partenaires potentiels importants et de bien maîtriser les tendances. Cette stratégie permet d’avoir un positionnement fort avec une forte audience ». Celui qui incarne le mieux cette posture est Hervé Monier, ancien dircom de Sofaxis et surtout auteur du blog renommé « Brand News Blog ». On pourrait également ajouter en guise d’autre exemple, Frédéric Fougerat (Foncia) qui édite fréquemment des réflexions sur le métier reprises de son dernier opus intitulé « Un dircom n’est pas un démocrate ». Pas besoin finalement d’être issu d’un nom prestigieux d’entreprise pour parvenir à marquer de son empreinte digitale !

Quand le discours se fait plus pointu

Enfin, le dernier registre recensé est celui de « l’influenceur » sectoriel. Là aussi, ce profil dépasse le périmètre de sa seule entreprise pour communiquer également sur le secteur de cette dernière, les tendances et les innovations qui s’y dessinent sans qu’elles n’émanent forcément de ladite société du dircom. Selon les analystes de Saper Vedere, c’est l’exercice le plus complexe à endosser. Cela nécessite « de disposer parmi ses followers d’une audience sectorielle préalable susceptible d’être intéressée et d’être à même d’influencer le secteur cible (…) et d’avoir du contenu approprié permettant d’obtenir de l’engagement et ainsi de toucher des audiences externes en rapport avec le secteur ». A leurs yeux, Stéphane Fort (Dassault Aviation) parvient bien à cette synthèse en étant devenu un twittos influent du secteur des transports. Même si sa focale éditoriale reste majoritairement aérienne, il cultive une ligne éditoriale franchement intéressante qui alterne entre news de Dassault Aviation, belles images aériennes, rappels historiques, actualité et clins d’œil plus personnels sur le rugby et l’Auvergne !

D’autres ont opté pour la RSE comme axe de discours. Pas une entreprise n’échappe aujourd’hui aux exigences sociétales et environnementales du corps social. Pour plusieurs dircoms, cette thématique s’est vite imposée dans leur prise de parole sur Twitter en complément des classiques informations relevant de leur entreprise. Souvent citée dans l’étude de Saper Vedere, Marie-Christine Lanne (Generali France) est d’ailleurs la pionnière des dircoms à s’être investie sur les sujets de développement durable, d’inclusion sociétale, de changement climatique, d’investissement responsable, de transition énergétique et d’inclusion féminine. Son fil Twitter est le parfait exemple d’une alternance entre ces différents thèmes tout en faisant apparaître parallèlement les engagements et les réalisations de son entreprise. Saper Vedere relève notamment que Marie-Christine Lanne mobilise plus de 10% des conversations dans 5 communautés thématiques spécifiques (voir schéma paragraphe suivant). Preuve s’il en est d’une transversalité éditoriale réussie et suivie !

Élève Dircom : Peut mieux faire !

Ces quelques enseignements (dont d’autres à retrouver plus en détail dans les études Saper Vedere et Visibrain téléchargeables ci-dessous) indiquent clairement que les pratiques numériques se sont concrètement frayé un chemin dans les activités des dircoms. Il n’y a pas si longtemps, il était beaucoup plus rare de trouver un directeur de la communication qui soit autre chose qu’un simple canal de retransmission de communiqués de presse, de publicités et de l’agenda du PDG dans une conférence. Il est franchement appréciable de voir que des professionnels recourent à Twitter en tant que canal d’expression incarné et pas juste comme un tuyau de plus dans la caisse à outils du communicant.

Ceci étant dit, les experts de Saper Vedere mettent en exergue des points où la mue digitale peine encore à se concrétiser. Première remarque : le décalage assez flagrant entre les acteurs que suit un dircom sur Twitter et ceux qui suivent le dircom. L’agence belge indique que seulement dans 24% des cas, les écosystèmes concordent. Autrement dit, nombre de dircoms ne suivent pas forcément des parties prenantes de leur univers qu’ils devraient pourtant suivre. De même, nombre de parties prenantes ne connaissent pas le dircom (ou ne le jugent pas digne d’intérêt) sur un secteur où elles sont pourtant actives. Les raisons de cette distorsion peuvent être variées : méconnaissance ou novicité dans le secteur, discours trop calibré et sans aspérité, contenus hyper-centrés sur l’entreprise, manque de régularité, etc. Il n’en demeure pas moins que cela constitue un chantier à grandement embrasser, notamment pour le dircom qui reste une vigie incomparable.

Converser plus et mieux

Autre point signalé qui découle en partie de ce premier constat : le relatif manque d’interactions des comptes des dircoms. Qu’il s’agisse de likes, de retweets et/ou de commentaires, les publications ne génèrent que très sporadiquement de l’engagement (à quelques exceptions près, notamment chez celles et ceux cités plus haut dans ce billet). Là aussi, les dircoms demeurent encore timides pour oser engager. Il n’est certes pas question d’aller croiser le fer avec des twittos radicalisés pour lesquels il n’y a aucun dialogue possible. En revanche, il conviendrait de plus s’affranchir des rails calibrés que le ton corporate impose parfois excessivement. Saper Vedere note que « 55 % des messages des directeurs de la communication sont des retweets. Cela démontre la difficulté pour les dircoms d’avoir un rythme de production propre en dehors de l’activité de leur organisation ».

En plus du rythme de production, la question du ton et de la ligne éditoriale est également posée. Pour avoir été aussi dircom dans certaines entreprises où un cheveu ne doit pas dépasser l’autre, je sais ô combien qu’il peut s’avérer difficile de décliner une prise de parole un peu plus débridée et impactante sur les réseaux sociaux. D’aucuns auront tôt fait de vous reprocher cette liberté de ton qui ne colle pas assez avec la pâte à tartiner calibrée des éléments de langage. D’autres peuvent craindre que cultiver une posture moins institutionnelle puisse se retourner contre eux et in fine contre leur entreprise. Et puis, il y a les béni oui-oui pour lesquels l’aseptisé est le moyen de rester en poste.

Ces obstacles ne sont évidemment pas à négliger. Un dircom n’est pas non plus censé se transformer en sniper, en trublion indomptable ou emprunter aux mauvaises habitudes des communicants politiques qui font souvent n’importe quoi au nom du buzz et du clash. Cependant, il doit s’autoriser plus d’élasticité et d’authenticité sans perdre de vue les fondamentaux. Un jeune attaché de presse d’EDF, Boris Le Ngoc, pratique avec une certaine virtuosité l’exercice. Sur un sujet éminemment sensible comme l’énergie nucléaire, il sait aussi faire des prises de position assumées, des rectifications fermes face à une fake news ou encore des questions poil-à-gratter. A mon sens, c’est aussi et essentiellement en sachant sortir des messages prêts-à-démouler ‘à l’instar de cet exemple) que le rôle du dircom gagnera en consistance, en impact et en crédibilité. Rendez-vous aux prochaines études pour savoir si le mot passe … ou pas !

Sources

– Télécharger l’intégralité de l’étude de Saper Vedere « Les directeurs de la communication sur Twitter » – Lien à cliquer 
– Télécharger l’intégralité de l’étude de Visibrain – Lien à cliquer