Zoom : Quand une stratégie de communication cosmétique devient erratique

Depuis que les mesures de confinement contre la pandémie du Covid-19 concernent plus de 3,8 milliards d’habitants sur la planète, Zoom est devenu l’application chouchoute de visio-conférence pour maintenir les liens sociaux, poursuivre les chantiers professionnels ou encore dispenser des cours. Grâce à une communication enjolivée misant avant tout sur la simplicité d’usage, l’entreprise est parvenue à rivaliser avec les poids lourds du secteur des plateformes de réunions en ligne. Jusqu’à ce que le célèbre FBI édite une alerte à son encontre le 30 mars et conseille d’éviter l’usage de Zoom à cause de failles informatiques mettant à risque les données personnelles. Du storytelling à la crisistelling ?

Dans l’univers des communications unifiées (vidéoconférences, réunions en ligne, discussions interactives), Zoom a opéré une percée assez remarquée depuis sa mise en service en 2013. La start-up californienne est rapidement venue mordre les mollets des géants du marché que sont Microsoft, Cisco, Google ou encore Citrix. Comme toute licorne devenue très prometteuse, la société est alors entrée en bourse en avril 2019 enregistrant une capitalisation de 16 milliards de dollars à la clôture de son introduction boursière. Avec des interfaces nettement moins complexes que les gros systèmes classiques, Zoom s’est vite imposé comme un service à l’expérience utilisateur particulièrement fluide. Ceci en dépit déjà de quelques alertes de sécurité dont une sérieuse en juillet 2019 où Zoom fut accusé d’installer un serveur web caché sur les ordinateurs Mac sans le consentement de la personne.

Zoom en plein boom

L’année 2020 avait démarré sous les meilleurs auspices pour Zoom. Sa belle histoire et sa simplicité d’utilisation continuaient de récolter les faveurs des clients comme des investisseurs. La gamme d’outils de visioconférence est dorénavant écoulée dans plus de 77 pays à travers le monde avec un coup de booster fantastique des téléchargements lié aux confinements imposés par différentes nations confrontées à la pandémie du coronavirus et à l’envol du télétravail dans les entreprises de toutes tailles. Résultat : l’action de Zoom a augmenté de plus de 100 % depuis le début de l’année et sa capitalisation talonne désormais celle d’Uber autour de 30 milliards de dollars (1). Chez les utilisateurs, l’engouement est à l’aune des courbes financières. En plus d’un maniement plus aisé à comprendre que d’autres solutions disponibles sur le marché, Zoom offre des petits plus comme la possibilité d’insérer des fonds d’écran générés à la demande durant des sessions vidéo. Le genre de petit truc qui a l’art de susciter un bouche à oreille imparable et de créer de la sympathie.

Ensuite, la personnalité du fondateur, Eric Yuan et son parcours atypique ne laissent pas indifférents les médias. Né dans la province de Shandong à l’est de la Chine, il parvient à décrocher un visa à la fin des années 90 (2) pour s’installer aux Etats-Unis et y démarrer une carrière comme codeur chez Webex, une société de visioconférence qui sera acquise par Cisco une dizaine d’années plus tard. Le sino-américain continue de grimper les échelons avant de quitter son nouvel employeur sur un désaccord stratégique. Lui est convaincu que l’avènement du smartphone va requérir des besoins de visioconférences avec des outils plus accessibles, plus épurés et plus intuitifs. C’est donc sur ce postulat qu’il fonde Zoom en 2011 autour d’une vision qu’il martèle inlassablement : le réchauffement climatique et les prix fous de l’immobilier en Californie du Nord sont deux raisons pour lesquelles chacun devrait mener la plupart de ses échanges professionnels via des écrans. L’histoire est en marche.

Une application très virale

Clin d’œil ou ironie de l’histoire, c’est un virus venu de Chine qui va progressivement paralyser le monde entier et contraindre la moitié des habitants de la planète à stopper les déplacements physiques pour se rabattre sur des solutions de visioconférence. Fort de sa réputation d’outil accessible (technologiquement et financièrement), Zoom connaît alors un envol exponentiel à mesure que le Covid-19 se propage sur tous les continents. Les entreprises plébiscitent l’outil pour continuer à tenir des réunions à distance. Les écoles s’en servent pour maintenir les programmes scolaires auprès de leurs classes. Les professions indépendantes s’y convertissent pour téléconsulter, dispenser des cours de gym, partager des sessions musicales, etc.

C’est le carton plein assuré. Au 15 mars 2020, Apptopia, spécialiste de l’analyse des données du web, estime que plus de 600 000 personnes supplémentaires dans le monde ont téléchargé l’application (3) par ailleurs déjà forte de sa popularité auprès des entreprises depuis quelques années et face aux mastodontes perçus comme plus chers, plus compliqués à faire fonctionner et parfois moins fiables (Skype de Microsoft étant notamment très critiqué pour la qualité de ses communications).

Zoom sous la mitraille

Pourtant, le coup de massue va tomber. Et pas asséné par n’importe qui : le FBI en personne ! Le 30 mars, la division de l’agence fédérale basée à Boston fait état de sérieux cas de piratages qui se sont produits durant des classes scolaires et des cours en ligne ainsi que pendant des téléconférences à caractère professionnel. Il en résulte que le FBI exhorte à vérifier drastiquement les paramètres d’installation et de mise à jour de Zoom. La presse s’empare aussitôt des faits et les accusations pleuvent. Le site d’investigation The Intercept juge que Zoom ne protège pas les conversations avec du cryptage de bout-en-bout. The Motherboard révèle que Zoom comporte des failles qui permettent d’aspirer des données personnelles comme les agendas, les contacts et les photos. Enfin, une plainte de groupe est déposée en Californie. L’application Zoom dans sa version iOS (Apple) permet d’envoyer (via le système de login) à Facebook des informations sur l’activité de ses utilisateurs.

La réponse de Zoom s’effectue par le biais d’un premier billet sur le blog corporate de l’entreprise (un grand classique du genre chez les acteurs des technologies numériques américaines). Celui-ci annonce qu’un correctif technique a eu lieu et que désormais Facebook ne peut plus accéder aux informations de l’application Zoom sous iOS. Concernant les autres accusations, l’entreprise édite un deuxième billet le 1er avril pour s’excuser des inconvénients et des anomalies constatés. L’explication fournie reste toutefois assez surprenante (4) : « Notre plateforme a été construite initialement pour des entreprises clients et de grosses institutions qui disposent d’un support informatique intégral (…) En revanche, nous n’avons pas conçu le produit avec l’idée qu’en quelques semaines, chaque personne dans le monde devrait soudainement travailler, étudier ou socialiser depuis son domicile (…) des défis que nous n’avions pas anticipé lors de la conception ». S’ensuit un plan de route détaillé sur les actions que Zoom va dorénavant entreprendre dans les semaines qui viennent pour corriger les bugs détectés.

De la friture sur la ligne

L’explication donnée par le PDG de Zoom a de quoi dérouter. En d’autres termes, il est sous-entendu que Zoom ne souciait a priori pas trop des problèmes de sécurité liés à l’usage de son application puisque le support technique était assuré dans ce domaine par les équipes informatiques de ses clients. Argument qui permet ainsi de « justifier » que pour les particuliers, les brèches et les anomalies n’étaient pas couvertes d’autant plus que l’adoption de l’appli s’est faite dans des proportions inimaginables (dont acte). A l’heure où la question de la sécurisation des données et des activités en ligne est devenue éminemment sensible dans l’opinion publique comme pour les entreprises et les institutions, le justificatif argumentaire fourni procède plus de la communication gênée aux entournures que du souci nécessaire de réassurance quant à l’usage sécure de Zoom.

En attendant, la réputation de Zoom est bien embourbée. Il y a d’abord les trolls qui se sont précipités dans les failles pour se livrer à un nouveau « sport » : le « zoombombing » qui consiste à s’immiscer dans des réunions et des sessions vidéo et à insérer des images pornographiques et racistes. En parallèle, la justice américaine a décidé de coller aux basques de Zoom selon une porte-parole officielle (5) : « Nous avons envoyé une lettre à Zoom avec une série de questions pour nous assurer que la société prend les mesures appropriées pour garantir la vie privée et la sécurité des utilisateurs ». Enfin pour compléter le tableau des récriminations, une organisation de protection de la vie privée baptisée Access Now exige de Zoom qu’elle publie les demandes gouvernementales qu’elle reçoit sur la divulgation de données clients (ce qui est déjà le cas pour les gros acteurs tech).

A la croisée des chemins ?

L’enjeu est loin d’être neutre. Selon les derniers décomptes, Zoom totalise fin février 2020 près de 13 millions d’utilisateurs actifs, en hausse de 21 % par rapport à l’année dernière. Durant ces dernières semaines, les compteurs se sont encore plus affolés. D’après Sensor Tower, société qui mesure notamment la popularité des applications, Zoom a vu le nombre de téléchargements de son application aux Etats-Unis presque quadrupler (+252%) la semaine du 16 mars puis augmenter encore de 66% la semaine suivante, pour atteindre 7 millions de téléchargements. En Europe, l’application a enregistré une tendance similaire, avec 6,5 millions d’utilisateurs fin mars (6).

La réputation de Zoom a clairement changé de braquet. Elle n’est plus celle d’une société challenger sympa mais celle d’une entreprise aux responsabilités accrues et désormais très observée. Ce qui change la donne en termes de discours et de posture. Zoom ne pourra plus à terme se réfugier derrière uniquement des billets de blog sciemment soupesés et le silence durant le reste du temps. Au-delà des utilisateurs individuels qui vont (peut-être) y regarder à deux fois avant de recourir à l’application, les entreprises et les institutions vont suivre de très près les possibles imbrications relatives à la sécurité d’usage. D’ailleurs, Space X, la société spatiale d’Elon Musk, a enjoint dès le 28 mars ses collaborateurs à cesser d’utiliser Zoom et a désactivé tous les comptes utilisateurs. Zoom avant ou zoom arrière ?

Sources

– (1) – Ingrid Vergara – « À Wall Street, une action Zoom peut en cacher une autre… et créer la confusion » – Le Figaro – 27 mars 2020
– (2) – « Eric Yuan, le nouveau roi du travail à distance » – Le Nouvel Economiste (traduction d’un article de Richard Waters du Financial Time)
– (3) – Alice Vitard – « Fuite de données, chiffrement… Peut-on faire confiance à l’application de visioconférence Zoom ? » – L’Usine Digitale – 1er avril 2020
– (4) – Eric Yuan – « A message to our users » – Zoom Blog – 1er avril 2020
– (5) – « La justice américaine demande des comptes à l’application Zoom après des piratages » – Le Figaro – 1er avril 2020
– (6) – Ibid.



4 commentaires sur “Zoom : Quand une stratégie de communication cosmétique devient erratique

  1. Inpulsia  - 

    Merci pour cet article intéressant sur une plateforme qui a clairement le vent en poupe dans ce contexte particulier. Affaire à suivre en attendant on va peut-être éviter zoom pour le moment. Nous utilisons Discord actuellement avez-vous d’autres alternatives à conseiller?

        1. Olivier Cimelière  - 

          Merci de votre précision. Je n’avais pas cette info sur Google Hangout. Peut-être cont-ils reconsidérer à la lumière de ce qui se passe ? Quoiqu’avec Google, on ne sait jamais. Le sens du commun n’est pas l’apanage de cette entreprise.

          Sinon, on m’a signalé aussi Jitsi qui en plus est une start-up française ! https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/jitsi-le-service-ne-en-france-qui-veut-vous-faire-oublier-zoom-et-houseparty-06-04-2020-2370280_47.php

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