De quoi la communication politique de Marlène Schiappa est-elle vraiment faite ?

Depuis sa mise en orbite gouvernementale, Marlène Schiappa a plus souvent relevé de l’OPNI (Objet Politique Non Identifié) qu’autre chose. Bien qu’elle soit engagée dans des causes absolument cruciales (comme les violences faites aux femmes), elle privilégie fréquemment une communication débraillée au motif de toucher et parler à tout le monde. Les coups d’éclat à l’emporte-pièce suffisent-ils pourtant à nourrir une stratégie lisible et rendre la communication politique plus crédible ?

2021 aura démarré en fanfare pour la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. Dimanche 3 janvier, Marlène Schiappa a réussi le tour de force d’occulter quelques instants les débats acharnés entre pros et antis-vaccins sur les réseaux sociaux. La clé de ce buzz ? Un post sur son compte Instagram où elle s’adresse d’un ton très girly à ses coiffeurs (1) : « Merci à Adriano et Vincent de ANS Brasil pour ce lissage qui répare les cheveux et va donc me permettre de gagner de précieuses minutes avant chaque matinale (celle et ceux qui ont les cheveux bouclés et utilisent des plaques tous les jours sans quoi ils reçoivent des commentaires du type « vous êtes sauvage et pas coiffé/e » voient de quoi je parle…) ».

Une com’ tirée par les cheveux

Le message est accompagné d’une brève vidéo où la ministre fait onduler sa nouvelle coiffure façon slow motion qu’une publicité pour shampooing ne renierait pas ! Aussitôt, se déchaîne un tollé de moqueries et de protestations sur Twitter et Instagram. Certains internautes y dénoncent même un inconvenant placement de produit au bénéfice du salon de coiffure. La réplique ministérielle ne se fait guère attendre. Le compte Instagram passe immédiatement en mode privé et l’équipe de communication invoque d’abord un piratage. Option prestement évacuée au regard des images qui semblent montrer l’intérieur de l’appartement de Marlène Schiappa.

Les avocats prennent alors le relais (parmi lesquels Julia Minkowski, épouse de Benjamin Griveaux dont Marlène Schiappa fut la co-listière de son mari aux dernières élections municipales de Paris). Ils sortent d’emblée la menace de la poursuite judiciaire pour quiconque accréditerait la version d’un placement de produit (2) : « Madame la ministre Marlène Schiappa dément tout recours à un placement de produit ou post sponsorisé sur Instagram. Toute affirmation contrainte relèverait de la diffamation au sens de la loi du 29 juillet 1881. Nous serons très vigilantes quant au respect des droits de Madame la ministre Marlène Schiappa et seront contraintes de poursuivre toute personne qui participerait à ces allégations diffamatoires, de même qu’aux tentatives de piratages et aux propos malveillants répétés sur les réseaux sociaux constituant un cyber-harcèlement ».

Le tropisme du « borderline »

Ce n’est pas la première fois que Marlène Schiappa mord les lignes jaunes de la communication où l’on ne sait plus trop bien de quel côté privé ou officiel de la barrière se situe cette dernière. En attendant d’avoir un jour le fin mot de cette histoire capillaire qui a sûrement fait le bonheur du salon de coiffure, ce n’est pas la première fois que Marlène Schiappa se retrouve face à des controverses relatives à sa communication digitale. En août 2018, le site Check News qui appartient à Libération relève l’existence d’un compte Twitter intitulé @Avec_Marlene qui est on ne peut plus laudateur et thuriféraire de l’action gouvernementale de Marlène Schiappa. Ce compte qui se veut l’émanation de militants anonymes s’avère être après enquête (3), géré en grande partie depuis le cabinet de la ministre et notamment par le conseiller spécial, chargé de la stratégie communication et de la presse, Mathieu Pontécaille.

C’est d’ailleurs ce même compte qui est rapidement monté au créneau lors de la récente polémique du #lissagegate. Ainsi que le remarque le site spécialisé Numerama, celui-ci tweete à plusieurs reprises pour disculper la ministre et promouvoir la théorie de la « fake news ». Comme l’écrit justement la journaliste Aurore Gayte (4) : « Le fait que le compte ait écrit à plusieurs reprises pour expliquer que la vidéo était un « fake », ou en expliquant qu’il s’agissait d’un « truc perso » montre en tout cas que l’affaire est suivie de très près, et n’est pas prise à la légère ».

Capture Numerama

Le coup de com’ comme boussole …

La communication est une obsession constante de Marlène Schiappa depuis son intronisation dans la grande cour de la politique française. En soi, il n’y a absolument rien de critiquable, ni de répréhensible à vouloir se bâtir une image et une notoriété, promouvoir et défendre les actions initiées ou encore donner de l’écho à des causes sociétales qui passent encore trop souvent sous le radar médiatique. Ceci d’autant plus que la ministre possède un background un peu atypique parmi les curriculum vitae très technocratiques des autres membres du gouvernement. Après notamment des études de … communication, elle accède à la lumière grâce à son blog « Maman travaille » où elle milite pour l’égalité parentale. Son entrée au gouvernement signe la fin de son blog mais pas de sa volonté de faire parler d’elle et des dossiers pour lesquels elle se bat.

Et sur ce terrain-là, elle n’hésite à faire feu de tout bois, quitte à verser dans le primesautier pas toujours du meilleur effet. En juin 2017, elle choisit de faire du quartier déshérité de la Chapelle-Pajol dans le 18ème arrondissement de Paris, le haut-lieu symbolique de sa croisade ministérielle contre le harcèlement de rue. Entourée d’une nuée de journalistes, elle se rend donc de nuit, en robe d’été dans les rues de ce quartier où nombre de femmes se plaignent d’être sans cesse harcelées et agressées. Pas peu fière de sa trouvaille, elle tweete un brin bravache (5) : « Les lois de la République protègent les femmes, elles s’appliquent à toute heure et en tout lieu ». Un peu trop facile et cousu de fil blanc au goût des associations féministes qui n’apprécient guère le coup de com. Le tweet en question est effacé et les communicants plaident « le bug communicationnel » (6).

… et le buzz comme objectif

Le problème de la stratégie de communication de Marlène Schiappa (si tant est qu’on puisse véritablement parler de stratégie) tient dans le caractère impulsif et parfois trop naïf des actions et des déclarations. Bien qu’elle demeure une figure intrinsèque du cercle présidentiel, elle a une capacité permanente à mélanger les genres et brouiller les lignes sans que le débat n’en sorte vraiment gagnant et audible. En mai 2018, alors qu’elle est secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les sexes, elle publie un nouveau livre intitulé « Si souvent éloignée de vous ». Problème : la plume qui s’exprime n’est pas la dirigeante politique « ni une communication gouvernementale ni un bilan d’action politique, mais un récit purement personnel, partiel et parfois romancé » (7) comme elle le précise elle-même de surcroît en introduction.

Outre une accusation de l’association anticorruption Anticor qui lui reproche de mettre à disposition des moyens de l’Etat à des fins de promotion personnelle, l’initiative est accueillie avec beaucoup de circonspection. Même si l’authenticité est un critère réclamé par l’opinion publique, faut-il pour autant entremêler autant des registres différents sur un même sujet ? Pour Marlène Schiappa, il n’y a pourtant pas de question. L’essentiel est le buzz engendré. Par deux fois en 2018 et 2019, elle décidera ainsi de se rendre sur les plateaux de Cyril Hanouna plutôt connu pour ses « analyses » à ras du plancher et ses brèves de comptoir. Qu’à cela ne tienne ! La ministre se défend dans l’émission Hashtag d’Hélène Risser sur Public Sénat (8) : « Si vous voulez faire parler d’un sujet politique, il faut mettre Cyril Hanouna dedans […] Je prends des canaux, comme l’émission de Cyril Hanouna, et j’y mets mes sujets pour qu’ils se propagent ».

Réagir n’est pas communiquer

Ultra-réactive, Marlène Schiappa ne recule pas quand il s’agit de ferrailler sur des sujets qui lui tiennent à cœur sur les réseaux sociaux et dans les médias. Avec là aussi, le risque patent d’en faire trop et d’outrepasser ses prérogatives en matière de communication. Lorsque Jonathann Daval avoue le meurtre de son épouse fin janvier 2018, elle s’emporte en direct sur RTL. Elle s’en prend aux avocats du (désormais) meurtrier et n’hésite pas à commenter une affaire judiciaire en cours au nom de la défense des femmes. Cela lui vaudra un rappel à l’ordre du ministre de l’Intérieur.

Plus récemment et sur un autre registre, Marlène Schiappa s’est ramassé sur TikTok en voulant surfer sur l’air du temps et la vogue du réseau social des plus jeunes générations. Pour son coup d’essai, elle accumule les clichés dans une improbable scénographie pixellisée au nom de « Salut jeune entrepreneur, je m’appelle Marlène Schiappa et j’arrive sur TikTok ». Le résultat pitoyable s’est évidemment fait étriller par les internautes d’autant plus que cette arrivée sur TikTok était censée attirer l’attention de la « Gen Z » (moins de 25 ans) sur la plateforme de signalement arretonslesviolences.gouv.fr.

Patience et longueur de temps …

Qu’a voulu exprimer la ministre avec sa dernière boulette en date ? Nul ne sait vraiment hormis peut-être un inextinguible besoin nombriliste d’exister à tout prix dans l’arène digitale et médiatique. Il est certes toujours intéressant pour un gouvernement (ou un parti) d’avoir dans ses rangs, ce qu’on appelle communément un « sniper », une personne qui excelle dans les punchlines mordantes qui imprimeront ensuite dans les débats publics. Cependant, les embardées à répétition finissent toujours par générer des efforts contre-productifs et au final répulsifs.

Si Marlène Schiappa a l’indéniable mérite via une communication fracassante, d’avoir posé sur la table des sujets sociétaux trop longtemps esquivés par le pouvoir politique, elle laisse un amer goût de savon qui mousse. Son mari, Cédric Bruguière assure pourtant (9) que « Marlène maîtrise le time to market : le moment idéal pour sortir le produit ». Encore conviendrait-il en parallèle de disposer d’une véritable feuille de route qui sache s’éviter d’improbables mises en scène. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, s’exprimer au bon moment est une chose qui se prépare et se travaille en amont. Il ne s’agit pas simplement de faire du copier-coller aboyeur à la Nadine Morano.

Sources

(1) – « Un post Instagram de Marlène Schiappa fait polémique » – Paris Match – 4 janvier 2021
(2) – Ibid.
(3) – Fabien Leboucq – « Est-ce que le compte Twitter @Avec_Marlene est géré par le conseiller com’ de Marlène Schiappa ? » – Libération – 3 août 2018
(4) – Aurore Gayte – « Que s’est-il passé sur l’Instagram de Marlène Schiappa ? » – Numerama – 4 janvier 2021
(5) – Tweet (effacé) du 12 juin 2017
(6) – Marion Galy-Ramounot – « Marlène Schiappa, neuf mois de gouvernement et six polémiques » – Le Figaro – 1er février 2018
(7) – Gaëlle Dupont – « Marlène Schiappa ou l’art de la mise en scène de soi » – Le Monde – 29 mai 2018
(8) – Hashtag présenté Hélène Risser – Public Sénat – 29 mars 2019
(9) – Laurent Telo – « Marlène Schiappa, la bonne élève de la Macronie » – Le Monde – 4 décembre 2020