Métavers : est-ce le prochain enjeu à surveiller de près pour les communicants ?

Il y a encore quelques semaines, le concept de « metaverse » était inconnu au bataillon pour la majeure partie des communicants. Il a suffi que le groupe Facebook décide de se renommer sous l’appellation de Meta pour qu’au passage, on découvre les ambitions affichées de Mark Zuckerberg pour ce monde parallèle virtuel qui promet monts et merveilles en matière de communication. Faut-il y voir une réminiscence utopique de Second Life ou bien s’agit-il d’un véritable chambardement qui ne sera pas sans conséquence pour les stratégies de communication des entreprises et des marques au regard des défaillances de Facebook face aux fake news ?

Le vocable de métavers résulte de la contraction de deux mots anglais « meta » et « universe ». Derrière celle-ci, réside l’idée qu’avec la puissance du numérique et de ses réseaux, il est possible de bâtir des univers fictifs, des répliques de sociétés virtuelles ou encore des mondes parallèles. C’est l’écrivain américain Neil Stephenson qui a forgé le premier ce terme que tous les visionnaires du Web d’aujourd’hui s’arrachent avec frénésie. Dans un roman intitulé « Snow Crash » (« Le samouraï virtuel » en français) paru en 1992, l’auteur met en scène des humains qui évoluent et interagissent sous forme d’avatars et bots dans un monde virtuel en 3D où un homme d’affaires tout-puissant a découvert des moyens de contrôler les intelligences derrière les avatars !

Par la suite, alors que la Toile émerge et que les réseaux sociaux sont encore à l’état fœtal, nombreux sont les geeks passionnés à se lancer dans la création de ces espaces qui recréent le monde réel dans des versions plus ou moins science-fictionnesque. L’épopée la plus connue s’appelle Second Life qui déclenche en 2003 un engouement énorme alors même que la connectivité des réseaux doit à cette époque se contenter de la 3G et de processeurs aux capacités restreintes. Développé par la société Linden Lab, ce monde dupliqué permet à chacun de se façonner un avatar et de vivre ensuite des aventures ludiques à travers ce jeu virtuel très vite addictif pour quantité de joueurs.

Second Life, le pionner du métavers

Le succès est tel que des entreprises s’y convertissent rapidement à leur tour. La marque de textile American Apparel est la première à ouvrir une boutique virtuelle, très vite imitée par les concurrents du secteur. Certains pays installent des ambassades en 3D tandis que des universités et des sociétés installent des bureaux de recrutement et de formation pour séduire des profils technos. IBM bâtit des îles qui servent à organiser des conférences pour leurs collaborateurs. En 2007 lors de l’élection présidentielle français, pas moins de 7 candidats ouvrent même des permanences pour séduire des électeurs qui traîneraient sur Second Life.

Il faut avouer que ce métavers avant l’heure, est particulièrement sophistiqué. Economiquement, il fonctionne avec sa propre monnaie virtuelle, le dollar Linden, qui peut être converti en vrais dollars US sonnants et trébuchants à travers des bourses d’échange. Au-delà des jeux offerts, ce nouveau monde inspire des créateurs et des entrepreneurs qui construisent ainsi de nouveaux services et incarnent des personnages de leur choix en parallèle de la vraie vie. En 2010, l’emballement s’essouffle pourtant. Ceux qui restent sont avant tout des mordus de double vie numérique et à ce jour, Linden Lab revendique 900 000 utilisateurs réguliers par mois (1).

L’heure de l’avènement du métavers ?

En tant que tel, le métavers n’a jamais cessé de se développer au fur et à mesure des époustouflants progrès combinés des plateformes de jeux vidéos, de la connectivité décuplée des réseaux et des casques de réalité virtuelle. Le confinement quasi mondial lié à la pandémie du Covid-19 a même regénéré les intérêts. Sur la plateforme de jeu en ligne Fortnite, le rappeur américain Travis a confié fin avril 2020 à son avatar la tenue de cinq concerts qui ont drainé plus de 12 millions de curieux (2). Le monde de la tech, géants du « video gaming » en tête, investit à nouveau des montants conséquents pour faire naître des environnements virtuels pour lesquelles des communautés entières vont pouvoir dédoubler leurs vies, parler, agir, créer, vendre, etc.

Les marques de mode ont d’ailleurs été très vite séduites. En mai 2021, la marque italienne Gucci a répliqué le Gucci Garden, son musée basé à Florence qui rassemble tous les vêtements et sacs iconiques imaginés depuis 100 ans. Pendant deux semaines, les visiteurs ont pu entrer dans ce métavers spécialement créé pour la circonstance en devenant un mannequin déambulant dans les allées du bâtiment où l’on peut alors essayer les pièces exposées et même les acheter avec une monnaie virtuelle, les Robux. Les prix s’y sont vite envolés. Un petit sac à main Gucci vendu d’ordinaire 1350 $ en boutique classique a vu son étiquette valser jusqu’à 1578 $ en mode virtuel ! (3).

L’offensive Meta de Facebook

Il n’est guère étonnant dans ces circonstances qu’un mastodonte comme Facebook ait à son tour officiellement affiché ses intentions au sujet des métavers. Au-delà de la galipette corporate qui consiste à renommer l’entreprise sous le nom de Meta pour tenter d’estomper les polémiques réputationnelles actuelles, le groupe dirigé par Mark Zuckerberg entend bien se frayer un chemin dans ce nouvel eldorado de la communication digitale. En juillet dernier, le fondateur a clairement annoncé la couleur (4) : « Mon espoir, c’est que d’ici cinq ans environ (…) les gens nous perçoivent avant tout comme une entreprise du metaverse ».

Depuis, les annonces se sont succédé à la cadence d’un métronome. Fin septembre, l’entreprise de Menlo Park confirme qu’elle va investir 50 millions de dollars pour Horizon Workroom pour favoriser l’émergence d’un métavers « développé de manière responsable » (sic), en particulier sur les questions d’opportunités économiques, de vie privée, de sécurité, d’équité et d’inclusion. La promesse ne prêterait pas à sourire (jaune) si Facebook avait su faire preuve d’autant d’anticipation et de conviction avec ses réseaux sociaux existants (Facebook, Instagram, Whatsapp, Messenger). Néanmoins, l’ambition est bel et bien là !

Le 17 octobre dernier, une annonce de recrutement a beaucoup fait gloser. Facebook y dévoile une campagne d’embauche à l’échelle mondiale. D’ici les cinq prochaines années, la plateforme compte recruter 10 000 profils dédiés au développement des métavers ; notamment dans l’Union européenne qui dispose d’« ingénieurs hautement spécialisés » pour développer la « plateforme informatique du futur » (5). Malmené par les révélations de la lanceuse d’alerte, Frances Haugen et empêtré dans des projets très contestés comme Instagram Kids, le mouvement de Facebook va néanmoins bien plus loin que la simple diversion tactique. Facebook entend bien continuer à écrire et surtout dominer le secteur des réseaux sociaux dans le futur avec les métavers.

Un nouvel enjeu de communication émergent

Cet horizon tracé par Mark Zuckerberg n’est pas forcément une bonne nouvelle. A l’aune de ses défaillances longtemps escamotées en matière de lutte contre la désinformation et la manipulation, les projets de métavers de Facebook risquent fort d’ouvrir un nouveau front où les fake news pourraient pulluler sans commune mesure. En effet, qu’est-ce qui pourrait empêcher les groupes complotistes et propagandistes à la solde de certains Etats et/ou intérêts privés d’investir des métavers pour se livrer à leurs habituelles opérations d’intoxication et de subversion ? Il n’est guère besoin d’être grand clerc pour supposer que les dérives observées aujourd’hui sur les réseaux sociaux, trouveront de toute évidence leur prolongement dans ces univers virtuels qui dupliquent les interactions humaines.

A l’heure actuel, l’enjeu n’est pas d’être fondamentalement hostile au concept de métavers (même si celui-ci n’est pas sans poser par ailleurs des questions cruciales sur l’avenir de nos relations sociales et sociétales). D’ailleurs, de nombreuses marques regardent déjà avec attention les possibilités offertes par ces mondes parallèles pour imaginer de nouvelles expériences client combinant le réel, le digital existant et le virtuel. De même, les communicants devront sûrement à terme s’interroger sur la nécessité d’avoir une présence active dans des métavers au même titre qu’aujourd’hui, les entreprises communiquent sur les réseaux sociaux pour se rapprocher de leurs communautés et protéger leur réputation.

Ne pas répéter les défaillances des réseaux sociaux

En revanche, il est un enjeu crucial à intégrer immédiatement avec le métavers : la modération. Si celle-ci n’est pas d’emblée obligatoirement intégrée en amont des métavers à venir, il est fort à parier qu’un remake chaotique, délétère et haineux se produira à l’instar de ce qui pollue actuellement les débats des réseaux sociaux. On imagine malheureusement assez bien des radicalisés, des populistes et/ou des conspirationnistes être capable de créer des bataillons d’avatars pour influencer et malmener les acteurs politiques et économiques comme les trolls qui sévissent sur Facebook, Twitter, Instagram et même LinkedIn. Et répandre à nouveau leurs infoxs purulentes.

Dans un récent billet de blog, la plateforme de jeu en ligne Roblox se pose précisément la question de la communication dans le métavers. Il y est notamment écrit ceci (6) :

« Alors que le métaverse continue de se développer et de rassembler les gens de manière nouvelle, inattendue et passionnante, Roblox prévoit que la communication jouera un rôle de plus en plus important. Nous nous lançons dans cette vision à long terme de l’avenir de la communication parce qu’elle nous permet d’être mesurés et réfléchis dans notre approche. Cela nous permettra d’introduire des fonctionnalités qui répondent aux besoins de la communauté Roblox, respectent nos normes de civilité numérique et contiennent les garanties nécessaires pour protéger les utilisateurs de tous âges ».

Si sur le fond, l’intention est bonne, la forme rappelle étrangement les vœux pieux et un brin hypocrites des GAFA à leurs tout débuts. On a encore en mémoire les discours sirupeux à base de méthode Coué où un Google claironnait par exemple « Don’t Be Evil ». On connait la suite et la propension de ces acteurs à se hâter lentement lorsque les premières déviances se sont faites jour. Il n’est pas impossible que malgré les promesses des pionniers des métavers, il faille cette fois être plus vigilant et drastique si l’on ne veut pas ajouter à la confusion informationnelle actuelle, celle qui serait issue de ces espaces virtuels.

Sources

(1) – Morgane Tual – « Absurde, créatif et débauché : dix ans après, « Second Life » est toujours bien vivant » – Le Monde – 21 avril 2016
(2) – Rédaction Culture – « Qu’est-ce que le « Métaverse », l’univers parallèle qui fait rêver les géants du numérique ? » – FranceTVInfo – 28 juillet 2021
(3) – Ana Diaz – « Roblox fans are buying digital Gucci bags for thousands of dollars » – Polygon.com – 21 mai 2021
(4) – « Facebook s’empare de l’Arlésienne du Metaverse » – ZDNet.fr – 28 juillet 2021
(5) – Julien Lausson – « Métaverse de Facebook : que sait-on du projet de monde virtuel rêvé par Mark Zuckerberg ? » – Numérama.com – 29 octobre 2021
(6) – Manuel Bronstein – « L’avenir de la communication dans le métaverse » – Blog Roblox – 2 septembre 2021