Emmanuel Macron : Bulle de communication politique ou véritable dynamique disruptive ?

L’ex-locataire de Bercy est incontestablement la figure politique qui monte et qui n’en finit pas de bousculer l’establishment politico-médiatique en faisant bouger les lignes. A tel point que d’aucuns le jugent n’être qu’une image marketing sans concrétude programmatique ou encore un hologramme numérique qui finira bien par s’étioler à mesure que l’échéance électorale de la présidentielle se rapprochera. Certaines erreurs de communication ont un temps accrédité cette idée qu’Emmanuel Macron n’était qu’un énième avatar de ces jeunes têtes d’affiche politiques qui émergent puis rentrent dans le rang ou disparaissent des écrans. Alors feu de paille communicant ou nouvelle approche de com’ ? Récapitulatif et analyse.

Lorsque le 6 avril 2016, l’encore ministre de L’Economie lance son mouvement politique qui se veut ni de droite, ni de gauche, nombreux ont été les commentateurs à s’esclaffer et même à relever ironiquement que le nom de baptême choisi, « En Marche » correspondait aux initiales de son fondateur jugé par ailleurs trop jeune, sans réseaux politiques, sans mandat électoral, etc. Autant dire les ingrédients classiques d’une étoile filante comme le paysage politico-médiatique en engendre régulièrement. Pourtant, près de 8 mois plus tard, En Marche et son démiurge trublion revendiquent (1) à date 92363 adhérents et 1845 comités en France et même à l’étranger. Comparé à un autre aspirant au renouveau politique qu’est Bruno Le Maire, les chiffres sont éloquents. Pourquoi et comment ?

Disrupter un contexte sociétal et politique nécrosé

macron-sondage-via-voiceC’est une lapalissade que de dire que les politiques sont aujourd’hui totalement en perte de vitesse auprès de l’opinion publique. Entre des scandales à répétition, des promesses non tenues, un maintien de l’entre-soi consanguin et une quasi absence du renouvellement des acteurs depuis plus de 25 ans, le rejet des politiques est massif. Sondage après sondage, il se confirme inéluctablement. La dernière étude ViaVoice publiée le 4 novembre dernier en atteste une nouvelle fois. La proportion de Français sans proximité partisane avec un parti politique a atteint un record historique en 2016, à 35%. En 2012, cette proportion ne dépassait pas 9% (2). Les partis traditionnels sont délaissés et souvent vilipendés. Le seul à encore capitaliser est le Front National en misant sur l’exécration suscitée par ces autres partis et en surfant sur les peurs et les argumentaires binaires.

Dans cette déliquescence inexorable, Emmanuel Macron a rapidement capté les lumières médiatiques par sa capacité à être différent. Mais ce ne sont pas tant sa jeunesse et un CV déjà solidement rempli qui ont nourri cette différentiation. Si ces critères y concourent sûrement, c’est avant tout le positionnement « électron libre » de l’impétrant qui a progressivement alimenté l’intérêt croissant des médias comme du corps sociétal. Ceci d’autant plus que l’homme a un parcours plutôt atypique pour un énarque. Cette marque de fabrique, Emmanuel Macron n’a cessé de l’affirmer à mesure que les journalistes le sollicitaient (3) : « Ma plus-value dans le système, c’est ma liberté. J’ai pris ce poste (NDLR : ministre de l’Economie) mais ça n’était pas mon plan initial. Ça n’était pas mon idée. Maintenant que j’y suis, j’ai bien l’intention d’aller le plus loin possible. Je me moque du microcosme ». En octobre 2016, désormais affranchi de la tutelle gouvernementale et aux manettes d’En Marche, Emmanuel Macron ne redira pas autre chose lors d’une interview fleuve au magazine Challenges (4) : « Face au système, ma volonté de transgression est forte ». Autrement dit, il faut en finir avec le système qui a trop longtemps prévalu ces trente dernières années et s’adapter à la tectonique d’un monde en pleine mutation.

Une sémantique iconoclaste

macron-meetingCette volonté farouche de changer le logiciel politique et de proposer une alternative progressiste pour la France se retrouve systématiquement dans sa façon de dire les choses. Comme le notent les journalistes Laurent Bazin et Alba Ventura (5), « Emmanuel Macron ne mâche pas ces mots. Dans sa bouche, les expressions imagées côtoient les termes techniques. Sa seule lacune linguistique semble être la langue de bois ». Où qu’il aille, le propos appuie sans ciller sur des incohérences, des paradoxes que beaucoup de décideurs politiques connaissent depuis des lustres mais sans jamais oser les aborder frontalement. L’ex-locataire de Bercy ne s’en prive pas (6) : « Je ne vois pas ce qui justifie que certains cadres de mon ministère bénéficient d’un emploi garanti à vie, et pas le responsable de la cyber-sécurité d’une entreprise ! Ça n’est plus adapté au monde réel. Il faut réfléchir à ça ». Cette franchise lui a parfois fait commettre des impairs de communication comme le sujet de l’illettrisme et les ouvrières de GAD, déclenchant alors des polémiques outrées, faute d’avoir un peu trop raccourci la réflexion (même si l’illettrisme est un tristement réel problème pour un pan de la société française).

Ce souci de dissociation d’avec le Jurassic Park des baronnies de droite et de gauche se retrouve même dans la sémantique adoptée au sujet d’En Marche. Lors du rassemblement des animateurs le 5 novembre dernier à Paris, le secrétaire général Richard Ferrand n’a eu de cesse de qualifier En Marche de mouvement et non pas de parti. De même, les traditionnelles fédérations locales des vieux partis sont baptisés ici « comités ». Autre exemple en ce qui concerne le fameux programme que doit délivrer En Marche sous peu. Le vocable est réfuté au motif que les listes de propositions fourre-tout n’ont aucun sens et s’oublient vite. Chez En Marche, on lui substitue la notion de « contrat de transformation » pour induire de surcroît une notion d’engagement entre toutes les parties prenantes.

Le temps de la « crowd-politique » ?

macron-mediasAu même titre que la finance a vu débarquer il y a quelques années les plateformes de crowdfunding qui entendaient prendre le relais sur ce que les banques traditionnelles n’investissaient pas ou plus, la manière de bâtir, structurer, nourrir et itérer En Marche relève totalement de cet esprit de la force du collectif. La mise en branle du mouvement s’est d’ailleurs fondée sur « La Grande Marche », une opération où les premiers supporters d’Emmanuel Macron sont partis sur le terrain pendant près de 3 mois. Questionnaires en main, ils avaient pour mission d’interroger plus de 100 000 citoyens de tous horizons pour établir ensuite un diagnostic des dysfonctionnements du pays. Ce diagnostic est devenu à son tour le socle de référence pour distiller au fur et à mesure des axes de réflexion lors de 3 meetings emblématiques à Strasbourg (sur l’engagement), au Mans (sur la vie quotidienne) et à Montpellier (sur le vivre ensemble). Ce qui n’empêche pas en parallèle que des comités supplémentaires se créent et viennent à leur tour contribuer à la construction de ce qui sera le contrat de transformation prévu pour être dévoilé dans la deuxième quinzaine de novembre.

L’approche originale qui consiste à partir du terrain pour formuler progressivement des pistes d’actions, a été largement moquée par la classe politique qui déplorait le manque de propositions d’En Marche ou encore l’aspect gadget numérique avec cette mobilisation contributive en réseau. Pourtant là encore, Emmanuel Macron détonne. Là où d’aucuns dégainent des propositions à rythme hebdomadaire et à longueur d’interview (quitte à prôner l’inverse de leurs précédents propos en fonction de la météo médiatique du jour), Emmanuel Macron a mis les points sur les « i » (7) : « Nous allons ensemble, avec méthode, décliner ce contrat de transformation avec quelques solutions claires et fortes. Je ne rentrerai pas dans le cirque de la proposition changeable. Le cirque de la proposition, ça donne ensuite le gouvernement de l’anecdote ». Une manière de se dissocier très nettement des éternels catalogues à propositions que les partis classiques mettent un point d’honneur à vendre à l’aube de chaque élection.

Le délicat apprentissage de la communication

macron-le-parisienS’il est un domaine où En Marche s’est quelque peu cherché pendant des mois, c’est bien sur le registre de la communication. Les couacs et les faux pas ont sporadiquement brouillé cette philosophie de la disruption politique qu’Emmanuel Macron entend impulser pour la France. Le spot vidéo de lancement d’En Marche en avril 2016 fut d’un amateurisme anthologique. Le film est censé représenter la diversité des Français auxquels le mouvement veut s’adresser. Sauf que les images proviennent de banques d’images vidéo … étrangères. De même, les saillies « people » à plusieurs reprises du couple Macron dans les pages de Paris Match ont plutôt fait jaser dans le mauvais sens. Pour qui veut rompre avec la com’ à papa où les politiques viennent complaisamment (et sans risques) s’épancher dans le célèbre hebdomadaire, le signal envoyé n’est pas d’une grande cohérence avec le positionnement atypique dont se réclame En Marche.

Après sa démission du ministère de l’Economie fin août dernier, Emmanuel Macron s’est alors mis à sillonner l’Hexagone pour aller à la rencontre de différentes personnes qu’il s’agisse d’agriculteurs, d’entrepreneurs, d’associatifs, de sportifs, d’éducateurs, etc. L’idée de cette immersion n’était pas mauvaise en soi. En revanche, la façon dont elle a été narrée sur les réseaux sociaux a vite ressemblé à ces magazines municipaux où le maire est 40 fois en photo sur les 40 pages. Le quotidien Le Parisien n’avait d’ailleurs pas hésité à comparer ce périple Macron à une célèbre collection de contes enfantins et son héroïne Martine !

Depuis, la stratégie de communication semble avoir retrouvé plus de pertinence et d’audace en acceptant notamment que Mediapart, pas vraiment un média ouvertement supporter du président d’En Marche, interviewe longuement l’ex-ministre de l’Economie. Il s’est notamment ensuivi une séquence assez culte où Emmanuel Macron répond cash à une question cash sur les banlieues. La vidéo a alors abondamment circulé sur les réseaux sociaux montrant un potentiel candidat plus en ligne avec sa philosophie de la politique « autrement » et « concrètement ».

Partie gagnée ?

macron-une-journauxSi les sondages indiquent une percée significative d’Emmanuel Macron comme recours possible pour l’élection présidentielle d’avril 2017, il ne s’agit pas pour autant de relâcher l’attention en matière de communication. Les « boules puantes » sur la vie privée comme l’avait titré L’Express en septembre 2016 ressurgiront inévitablement. Les premières alertes au sujet d’omissions fiscales puis de préférences sexuelles différentes de celles affichées en public avaient été gérées avec retardement. Or, laisser un intervalle de temps trop grand suffit aujourd’hui à rendre consistant une rumeur ou une attaque. Ce déminage en règle devra être l’objet d’une communication de crise plus poussée et réactive. Les adversaires d’Emmanuel Macron ne lui épargneront rien.

Ensuite, il faudra également veiller aux embardées potentielles. En mai 2016, le ministre d’alors avait sèchement rétorqué à deux personnes l’interpelant rudement sur sa loi Travail (8) : « Vous ne me faites pas peur avec vos t-shirts, la meilleure façon de se payer un costard est de travailler ». La réplique avait été très diversement accueillie et venait entacher l’image de l’homme qui vient à l’écoute du quotidien des Français. Là encore, les provocations ne manqueront pas dans les mois à venir d’autant plus que le climat global est au repli sur soi, à la peur de l’autre et l’agressivité ambiante. Puisque le mot de bienveillance est clairement affiché dans la philosophie d’En Marche, il conviendra de savoir y recourir à bon escient. Un peu à l’image de ce que Barack Obama a fait tout récemment à l’égard d’un électeur de Trump qui huait abondamment. Le bientôt ex-président des Etats-Unis a alors pondéré le public en faisant cette tirade qui a cartonné sur les médias sociaux (9) : « Premièrement, nous sommes un pays qui respecte la liberté d’expression. Deuxièmement, on dirait qu’il a fait partie de l’armée et cela se respecte. Troisièmement, c’est un homme âgé et il faut respecter nos aînés. Et quatrièmement, ne huez pas ! Votez ! ». C’est aussi sur ce genre de détail qu’une campagne aussi disruptive et alternative qu’elle soit, peut se perdre ou se gagner.

Sources

– (1) – Chiffres publiés sur le site officiel d’En Marche
– (2) – Thierry Fabre – « Les Français rejettent les partis traditionnels: une aubaine pour Macron » – Challenges.fr – 4 novembre 2016
– (3) – Laurent Bazin & Alba Ventura – Le Bal des dézingueurs – Flammarion – mars 2016
– (4) – « Emmanuel Macron: Face au système, « ma volonté de transgression est forte » » – Challenges – 16 octobre 2016
– (5) – Laurent Bazin & Alba Ventura – Le Bal des dézingueurs – Flammarion – mars 2016
– (6) – Ibid.
– (7) – Discours d’Emmanuel Macron au rassemblement des animateurs d’En Marche – 5 novembre 2016
– (8) – Yohann Blavignat – « Emmanuel Macron: «Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler» – Le Figaro – 28 mai 2016
– (9) – Paul Guyonnet – « Interrompu par un partisan de Donald Trump, Barack Obama donne une leçon de démocratie » – Huffington Post – 5 novembre 2016



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