[Etude Edelman Trust Barometer] : La défiance grossit envers les médias sociaux et les marques doivent intervenir

A l’heure où 26% des Américains ont supprimé l’application Facebook de leur smartphone, un vent de défiance sans précédent se lève sur les réseaux sociaux. Captation indue des données personnelles, prolifération de fake news, invasion de discours haineux sont autant de faits qui rendent les internautes de plus en plus circonspects. Un désenchantement que vient de confirmer une étude spéciale du Trust Barometer de l’agence Edelman publiée fin août 2018. Les défections et les suspicions grandissent parmi les consommateurs qui estiment que les marques ont un rôle majeur à jouer pour améliorer le fonctionnement des médias sociaux.

Ce n’est pas encore l’exode massif mais l’agacement est palpable chez les utilisateurs des réseaux sociaux. En juin dernier, l’institut d’études américain Pew Research Center s’était déjà penché sur les usagers de Facebook après les multiples scandales ayant émaillé la réputation du n°1 des médias sociaux. Les résultats furent édifiants. 42% des personnes participant au panel déclarent avoir diminué, voire temporairement abandonné leur fréquentation de Facebook. 25% sont même plus radicaux puisqu’ils ont purement et simplement désinstallé l’application de leur téléphone mobile (1). L’affaire Cambridge Analytica contribue pour beaucoup à cette désaffection. Les données personnelles collectées illégalement restent en travers de la gorge de nombre d’internautes. Néanmoins, l’invasion des fake news et des contenus haineux est également pointée du doigt. Et le phénomène est loin de se restreindre au continent nord-américain comme l’indique le rapport spécial que le Trust Barometer d’Edelman vient de diffuser à propos des médias sociaux.

La confiance se dégrade

Internet Crime

Les résultats concernant la France constituent un signal d’alarme qu’il serait malvenu d’ignorer ou de mettre sur le compte d’un énervement passager d’autant que les mêmes tendances se retrouvent parmi les 9000 personnes issues de 9 pays et interrogées par les experts du Trust Barometer. Ainsi dans l’Hexagone, 40% des répondants affirment qu’ils ont supprimé au moins un profil sur un réseau social car ils n’avaient plus confiance dans la façon dont leurs données privées sont gérées et protégées. Avec le Royaume-Uni (24%), la France se distingue par ailleurs avec le taux de confiance le plus bas dans les réseaux sociaux avec seulement un quart d’utilisateurs qui continue d’accorder leur confiance aux plateformes sociales. Pour les auteurs de cette étude, il y a péril en la demeure (2) : « On note ainsi une tendance de défiance envers l’écosystème du marketing qui pourrait se confirmer dans les prochains mois avec les scandales récents de data breach et de fake news. Le consommateur rejette maintenant l’ensemble des techniques de marketing fondées sur les données, y compris des pratiques universelles acceptées de longue date, comme les programmes de fidélité ».

Pour qui ne comprendrait pas cette allergie croissante des consommateurs connectés, ces derniers avancent pourtant des arguments très précis. Ainsi, 80% jugent « défavorablement qu’une marque puisse acheter leurs données personnelles à une autre société, voire estiment que cela devrait être interdit ». Et 62% des Français déclarent qu’ils ne sont « pas prêts à renoncer à une partie de la confidentialité de leurs données pour bénéficier d’une expérience d’achat plus personnalisée ». Ces chiffres sont loin d’être uniquement des déclarations d’intention si l’on se réfère par ailleurs à l’explosion des plaintes que la Commission nationale Informatique et Liberté (CNIL) a enregistré depuis l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement Général pour la Protection des Données) le 25 mai au sein des pays membres de l’Union européenne. Le bond est effectivement spectaculaire puisque 2770 plaintes ont été adressées depuis l’application du RGPD. L’an passé à pareille époque, la CNIL n’avait enregistré que 1780 contentieux soit une augmentation de 56% en l’espace d’un an (3). Même si la CNIL n’a pas encore communiqué la typologie des récriminations déposées, il est fort à parier que le sujet des données personnelles constitue l’épine dorsale des requêtes. D’ailleurs, le rapport spécial du Trust Barometer pointe un chiffre symptomatique : 62% des Français ne font nullement confiance aux entreprises de médias sociaux en ce qui concerne leur souci de responsabilité dans la collecte des informations personnelles.

D’autres sources de discorde

Au-delà des intrusions mal acceptées et de l’opacité que nombre d’acteurs digitaux cultivent à l’égard des données personnelles, d’autres motifs viennent accroître significativement la perte de confiance envers les réseaux sociaux. L’étude d’Edelman met notamment en avant trois fléaux qui sévissent sur le Web social et qui ont le don d’inquiéter les utilisateurs. 69% des Français s’insurgent ainsi contre l’usurpation d’identité. 67% pestent contre la prolifération des « fake news ». 65% déplorent la cyber-intimidation et les discours d’incitation à la haine. Dans une moindre proportion, d’autres dénoncent également la pratique du « clickbait » (l’usage de titres racoleurs pour faire cliquer l’internaute) et le recours aux bots. Elle semble loin l’époque où chacun s’extasiait devant les perspectives positives de communication et d’information que les médias sociaux promettaient à corps et à cri.

C’est donc un fait établi. Les réseaux sociaux n’ont plus cette cote d’amour dont ils ont pu se targuer à un certain moment. Pour autant (et c’est souvent là le paradoxe du citoyen-consommateur), il n’y a pas une majorité de personnes qui envisage de se retirer totalement des réseaux sociaux. Certes, Facebook (mais aussi Twitter ou encore Instagram) passe un peu plus souvent à la trappe des applis dont on ne veut plus. Cependant, le souhait d’être relié, informé et de partager perdure malgré les déviances citées plus haut. C’est ce qui apparaît en filigrane dans les observations effectuées par le rapport spécial du Trust Barometer. Et pour résoudre le problème de cette défiance croissante, les internautes ont une exigence bien spécifique : les marques doivent peser plus sur les plateformes sociales pour enrayer les pratiques contestables.

Les marques pour restaurer la confiance ?

C’est sans doute l’enseignement le plus surprenant de cette étude. 66% des Français souhaitent que les marques s’engagent auprès des réseaux sociaux à les protéger contre les fake news. 67% estiment aussi que les marques ne doivent pas hésiter à faire pression grâce à leur poids financier d’annonceur sur les réseaux sociaux pour que ceux-ci adoptent un usage éthique et une vraie protection des données personnelles qui leur sont confiées. De même sur les contenus haineux, 64% pensent que les marques peuvent jouer un rôle décisif pour endiguer leur circulation. Pour Edelman, l’explication est la suivante (4) : « Les marques sont la nouvelle démocratie. Les consommateurs attendent des marques qu’elles défendent des valeurs, et pas seulement qu’elles apportent de la valeur ajoutée. Ils veulent qu’elles prennent des mesures pour parvenir à améliorer le fonctionnement des réseaux sociaux, au simple motif qu’un annonceur a plus de pouvoir qu’une personne seule ».

A la lumière de ces chiffres et de ces exigences à l’encontre des marques, le directeur du digital d’Elan Edelman, Alexandre Faure, va même un cran plus loin dans l’analyse de cette attente (5) : « Les consommateurs ne comptent pas abandonner les réseaux sociaux, mais ils veulent changer la donne des plateformes. Les marques doivent protéger les consommateurs contre les tentatives d’exploitation, et disposent, pour ce faire, de quatre leviers : exiger des informations fiables, s’engager à confier leurs budgets publicitaires exclusivement à des plateformes offrant un contenu qualitatif et non diffamatoire, réclamer de la visibilité sur le traitement de la collecte et de l’utilisation des données personnelles et enfin, demander le maximum de transparence autour de leurs fameux influenceurs ».

Alors, on passe à l’action ?

Sur la question des données et de leurs usages abondants en matière de traçabilité, de personnalisation, etc, la tension était effectivement latente depuis un certain temps. L’affaire sulfureuse de Facebook et Cambridge Analytica a largement contribué à entrouvrir le capot de la boîte noire du Big Data. Pour autant, les marques ont-elles tout pouvoir de faire évoluer certaines pratiques chez les acteurs de la Data qui n’ont de cesse de toujours collecter plus en volume et en granularité ? Pas si sûr ! Lors de l’entrée en vigueur du RGPD, chacun a été assailli de formulaires demandant le consentement pour continuer à glaner les données personnelles. Or, pour celles et ceux qui se sont essayé à refuser, les parcours opératoires sont tellement fastidieux et compliqués que la collecte sauvage de données risque de perdurer. D’autant plus qu’un Google ou un Facebook restreint en données n’acceptera jamais une régulation plus drastique, la data étant le cœur nucléaire de leur business model.

L’espace où les marques peuvent en revanche agir avec plus d’impact est sans nul doute celui de la création de contenus à destination de leurs communautés. Le rapport spécial du Trust Barometer est à cet égard très clair. 65% des personnes veulent des contenus de qualité et 63% des auteurs à l’expertise avérée. De même, ils sont 57% à exiger une plus grande transparence sur l’identité du commanditaire du contenu, des influenceurs sollicités. Autre point notable (qu’on retrouvait déjà dans les précédentes éditions du Trust Barometer global) : les consommateurs accordent à 60% leur confiance à un expert et/ou à une « personne comme moi » là où le PDG obtient 40% et la célébrité 27% ! Ces renversements de paradigmes sont une réelle opportunité pour les marques et les entreprises mais à condition de savoir s’affranchir du discours « bullshit », incantatoire et préformaté qui continue de sévir çà et là. Pour Amélie Aubry, Managing Director Brand Marketing d’Elan Edelman, le constat parle de lui-même et les marques doivent passer à l’action (6) : « Les citoyens-consommateurs tiennent les marques responsables, comme ils le font pour les plateformes. Mais une erreur peut avoir des conséquences beaucoup plus graves pour une marque : cesser d’acheter un dentifrice ou une lessive sera toujours plus simple que de quitter Facebook, Instagram, Twitter ou se passer de Google ! ».

Sources

– (1) – Andrew Perrin – « Americans are changing their relationship with Facebook » – Pew Research.org – 5 septembre 2018
– (2) – Amelle Nebia – « Les marques, des remparts contre les fake news ? » – CB News – 27 août 2018
– (3) – Louis Adam – « RGPD : les plaintes à la CNIL évidemment en hausse » – ZD Net – 5 septembre 2018
– (4) – Communiqué de presse d’Edelman – 27 août 2018
– (5) – Amelle Nebia – « Les marques, des remparts contre les fake news ? » – CB News – 27 août 2018
– (6) – Communiqué de press d’Edelman – 27 août 2018

Pour aller plus loin

– Lire et télécharger l’intégralité du rapport spécial « Trust, Brands and Social »



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