Fiasco du stade de France : Une stratégie de communication brouillonne qui ne résout rien
C’est à une étrange stratégie de communication qu’ont choisi de se fier le gouvernement et la préfecture de police de Paris pour tenter de se dépêtrer du ratage total de l’organisation de la finale de la Ligue des champions opposant Liverpool au Real Madrid le 28 mai au Stade de France. A les entendre dans leurs différentes prises de paroles et tweets, les causes du capharnaüm retransmis en mondovision résident dans l’abondance de hooligans anglais venus sans billets ou avec des faux billets. Ne serait-ce pas là un artefact de communication pour préserver l’image de la France souvent présentée comme championne du monde de l’organisation d’événements sportifs dont la prochaine Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux Olympiques de 2024 ?
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’en démord pas. Le chaos autour de l’enceinte du Stade de France trouve son origine dans la présence de « milliers de « supporters » britanniques, sans billet ou avec des faux billets ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers. Merci aux très nombreuses forces de l’ordre mobilisées ce soir dans ce contexte difficile » comme l’a tweeté le locataire de la place Beauvau sitôt la finale achevée sur la pelouse de Saint-Denis. Ce lundi 30 mai, l’impétrant reste sur la même ligne de conduite lors de la conférence de presse donnée avec la toute récente ministre des Sports, Amélie Castera-Oudéa. L’équation pour expliquer le fiasco est claire : faux billets + sans billets + hooligans de Liverpool = dérapages en série. Entre déni de réalité et communication biaisée, les autorités jouent un jeu dangereux.
Une défense argumentaire qui interpelle
Tout serait donc la faute d’un gigantesque trafic de faux billets. C’est peu ou prou la version à laquelle s’accrochent mordicus les pouvoirs publics pour commenter les débordements déplorables qui ont eu lieu en marge de la finale de la Ligue des champions opposant Liverpool et le Real Madrid. Ces faux billets auraient été rendus de surcroît plus faciles à contrefaire du fait de l’émission de billets papier demandés par le club britannique à l’UEFA, l’instance européenne qui gère la compétition. De là, aurait découlé un marché noir où les fans des Reds auraient acquis un sésame frelaté. Dans sa conférence de presse du 30 mai, le ministre de l’Intérieur avance même des chiffres avoisinant les 30 000 tickets falsifiés dont 70% auraient été saisis lors du premier sas de filtrage des supporters anglais et 15% lors du second filtrage.
A peine Gérald Darmanin consent-il à reconnaître que le report massif des fans de Liverpool sur le RER D en lieu et place du RER B en grève, a entraîné un afflux excessif sur les postes de contrôle avant l’accès au stade, provoquant ainsi un gigantesque attroupement et des mouvements de foule. Phénomène qui s’est reproduit un peu plus loin à proximité de plusieurs portes pour entrer dans les tribunes. C’est à ce moment-là que tout a basculé dans la violence et la pagaille. Aux intrusions et à la colère, les forces de l’ordre ont répliqué par des gaz lacrymogènes sans réelle distinction. Mais pour le ministre de l’Intérieur, le bilan parle de lui-même. Sur les 39 interpellations ayant débouché sur des gardes à vue, 50% étaient le fait de citoyens britanniques comme il l’a rappelé durant la conférence de presse. Avant de se satisfaire qu’un plus grand drame ait pu être évité en ne déplorant aucune victime, ni blessé grave. Et en concluant que l’hooliganisme serait sévèrement combattu.
Communiquer n’est pas réécrire les faits
La communication gouvernementale (sans parler de celle de la Préfecture de police de Paris du même acabit) a de quoi dérouter les observateurs des images brutales qui ont défilé sur les réseaux sociaux et les témoins qui ont vécu directement l’immense chaos autour des grilles du stade. Grand reporter à l’Equipe, Vincent Duluc s’indigne à juste titre de cette réécriture de l’histoire en grossissant certains faits et les faire endosser par les fans de Liverpool pour en minorer d’autres, voire les passer sous silence (1) : « La foule a été exceptionnellement calme et patiente, compte tenu des circonstances, il n’y a pas eu d’affrontements entre supporters, pas un gramme de hooliganisme, alors que blâmer les fans pour le chaos est un scénario trop familier pour l’Angleterre et Liverpool, après que les enquêtes ont démontré la faillite et les mensonges de la police lors de la tragédie de Hillsborough (97 morts) en 1989 ».
Cette posture communicante du « circulez, y a rien à voir » est effectivement à la limite de l’escroquerie intellectuelle. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les abondants témoignages de supporters anglais dans l’édition du Parisien du 30 mai ou de consulter les réseaux sociaux qui grouillent de scènes explicites où l’on cherche en vain des maillots rouges commettant des actes répréhensibles. Des pères avec leurs enfants déclarent avoir croisé (2) « des bandes de locaux, surtout des jeunes qui se baladaient parmi les fans et qui essayaient de voler des portables et des portefeuilles » et déplorent l’inaction de la police pendant longtemps (voire son absence à certains endroits chauds) avant de gazer indistinctement la foule autour d’eux. De même, les individus qui grimpent et franchissent les grilles du stade n’ont rien de l’accoutrement classique d’un supporter de football, ni même d’hooligans cherchant à en découdre avec les fans du camp adverse. Assez bizarrement, les impétrants s’expriment de surcroît en … français !
Tronquer les faits génère la défiance
A vouloir faire de l’histoire des faux billets le « pivot » (mot employé à plusieurs reprises par les deux ministres) explicatif du fiasco du Stade de France, les autorités ont surtout récolté en retour une forte vague de défiance critique. La presse britannique s’est évidemment déchaînée contre l’incompétence des organisateurs français et de la police plus prompte à gazer des supporters certes imbibés de bière mais calmes plutôt que des lascars venus semer la perturbation et la violence. Certains ayant même réussi à se filmer ensuite depuis les tribunes à l’intérieur du stade tout en proférant des insultes envers les forces de l’ordre.
Cette communication tronquée qui se refuse à reconnaître des défaillances dans le dispositif policier et qui évoque du bout des lèvres la présence de jeunes des cités voisines, n’est pas le meilleur service à rendre pour l’image de la France, nation organisatrice de deux prochains grands événements sportifs d’envergure mondiale avec la Coupe du mode de rugby en 2023 et les Jeux Olympiques en 2024. La conférence de presse du 30 mai aurait pu être l’occasion de sortir des conclusions lapidaires du tweet de Gérald Darmanin. Il n’en fut rien. Au contraire, le discours officiel persiste à faire des faux billets, la cause majeure des débordements enregistrés à la veille du coup d’envoi de la finale.
S’il est incontestable que la circulation récurrente de billets apocryphes constitue un indéniable problème de sécurité publique (au-delà de l’infraction grave qu’elle est aussi), il est capital d’admettre que le dispositif de sécurité a failli et n’a pas su empêcher l’immixtion de bandes de casseurs pourtant connus des services de police. Directeur exécutif du réseau Football Supporters Europe, Ronan Evain était observateur sur le terrain samedi dernier. Son analyse est implacable (3) : « Il faut qu’on sache. Car si on ne va pas au bout des choses, on reproduira les mêmes erreurs au prochain grand rendez-vous. La communication gouvernementale ne tient pas debout, même s’il reste difficile de savoir qui est décisionnaire entre la préfecture de police, la FFF et l’UEFA. Mais il faut que les erreurs soient rendues publiques et que l’approche soit transparente ».
Campagne électorale oblige, les extrêmes politiques français ont évidemment tapé à bras raccourcis avec des relents de racisme chez Le Pen et Zemmour. Mais plus grave, est l’image renvoyée à l’étranger sur la capacité tricolore à gérer en toute sécurité des grands rassemblements mondiaux. Au lieu d’ergoter avec des arguments biaisés, la transparence serait d’admettre que les choses ont été plus complexes qu’un tweet !
Sources
– (1) – Vincent Duluc – « Assumer » – L’Equipe – 30 mai 2022
– (2) – Alexandre Aflalo – « On s’est sentis plus en sécurité à Kiev en 2018 » – Le Parisien – 30 mai 2022
– (3) – Simon Bolle et Vincent Duluc – « Au stade de la déchéance » – L’Equipe – 30 mai 2022