Stratégie de communication : Les moins de 13 ans sont-ils une communauté à intégrer ? 

Officiellement, les moins de 13 ans n’ont pas droit de cité sur les réseaux sociaux. Dans les faits, ils se sont affranchis depuis longtemps des règles fixées par les grandes plateformes à mesure qu’ils disposaient de tablettes et de smartphones bien avant l’âge requis. Ceux que l’agence Heaven baptise les « Born Social » constituent-ils pour autant une communauté digitale consistante avec laquelle marques et entreprises doivent déjà interagir ou faut-il laisser les pré-ados connectés en dehors des dispositifs de communication ? Eléments de réflexion.

En septembre dernier, l’agence de communication Heaven a publié la 2ème livrée de son baromètre des usages des moins de 13 ans sur les médias sociaux. Les chiffres sont implacables. En classe de 3ème, 85% des collégiens sont au moins inscrits à un réseau social (1). Autre enseignement majeur du baromètre qui en est à sa 2ème année d’existence : les 7-12 ans consacrent 6 heures et 10 minutes à surfer sur le Web chaque semaine. Un temps qui ne cesse d’augmenter (2) par rapport à 2016 (+ 30 minutes) et 2015 (+ 45 minutes). Des scores pas si surprenants au final. Quiconque a des enfants ou des neveux de cette tranche d’âge a déjà constaté que l’année scolaire entre la fin du primaire au CM2 et l’entrée au collège en 6ème marque un large bond en termes d’équipements mobiles et connectés. En novembre 2015, l’étude d’Ipsos et Holimetrix pour la chaîne Gulli avait relevé que 73% des 4-14 ans détenaient au moins un écran personnel (souvent une tablette au départ) et que 64% des 11-14 ans possèdaient un smartphone (3) qui s’impose alors très vite comme le cordon ombilical avec les copains et les copines et les premières véhémences d’autonomie envers les parents ! 

Mais où sont-ils vraiment ?

Littéralement nés dans un monde 100% connecté, les moins de 13 ans ne sont pas pour autant la copie conforme des générations précédentes lorsqu’il s’agit d’être présent et actif sur un réseau social. L’exemple le plus flagrant est la 3ème position enregistrée par Facebook là où la plateforme de Mark Zuckerberg est systématiquement plébiscitée en tête pour les autres tranches d’âge. Avec de surcroît, un décrochage en filigrane des moins de 13 ans sur Facebook qui le délaissent peu à peu, souvent pour éviter de croiser les parents mais aussi parce que les types de contenus ne correspondent pas forcément et pleinement à leurs attentes et leur façon de consommer des contenus. Les pré-ados sont effectivement fans absolus de visuel et d’instantané. C’est la raison pour laquelle Snapchat et Instagram recueillent en priorité leurs faveurs. Sur ces deux réseaux en totale concurrence frontale pour précisément capter l’attention des moins de 13 ans, ces derniers peuvent créer, communiquer et partager à loisir des contenus vidéo et photo dont une grosse majorité est très orientée « selfie ».

Un autre réseau social moins connu des plus vieux, parvient également à tirer son épingle du jeu. Il s’agit de Musical.ly, une appli de lip syncing qui permet d’éditer des vidéos de 15 secondes en pleine séance de karaoké et/ou de danse et sur les airs de ses chanteurs préférés. Le tout étant ensuite immédiatement envoyé à la communauté des amis. Chez les jeunes filles, c’est même carton plein puisque 80% des « born social » féminines y sont actives (4). Les aficionados de ce réseau né en Chine en 2014 ont même dorénavant un petit surnom, les « Musers » au même titre que les YouTubers, les Twittos ou les Instagram. Ils ont aussi leurs propres stars, Lisa et Lena, deux sœurs jumelles allemandes qui génèrent des millions de vues avec les vidéos reprenant des standards de la pop, du rock, du funk, etc et qu’elles postent également sur YouTube.

YouTube, le pont générationnel

Dans le classement opéré par l’étude Heaven, on remarque la présence atypique de YouTube. La plateforme vidéo de Google n’est pas utilisée au même titre que le trio Snapchat, Instagram et Musical.ly mais elle n’en demeure pas moins un point d’accès prisé par les moins de 13 ans. Ceux-ci apprécient en premier lieu les défis et les challenges (de plus ou moins de bon goût au passage !) qui interviennent à cadence régulière sur le fameux modèle du #IceBucketChallenge. L’autre clé d’entrée sur YouTube est l’arrivée massive de YouTubers de 13/14 ans qui à l’instar des aînés comme Norman ou EnjoyPhoenix, publient et animent des chaînes qui rencontrent un franc succès chez les moins de 13 ans qui y trouvent là en quelque sorte des grands frères ou grandes sœurs digitaux. Avec des tendances comportementales spécifiques selon Heaven comme le « Room Tour » (l’ado présente sa chambre), le « Haul » (il présente et commente ses achats) et le « Meet Up » (Les jeunes têtes d’affiche vont à la rencontre de leurs fans).

Au final, les moins de 13 ans sur YouTube constituent un véritable public en soi avec ses codes, ses envies et ses programmes favoris comme par exemple la chaîne « Latte Chaud ». Créée en avril 2015 par quatre jeunes filles, la chaîne relate leurs visites en divers endroits, glisse des sketches humoristiques ou répond à des questions générationnelles. Ce vlog est en tout cas un franc succès avec 575 000 abonnés et plus de 67,7 millions de vus pour ses contenus vidéo. Et ce YouTube des moins de 13 ans, les annonceurs s’y intéressent fortement. Même si les marques font également de plus en plus d’incursions sur Snapchat et Instagram, elles apprécient YouTube comme levier pour toucher cette tranche d’âge. Laquelle ne s’offusque pas vraiment de la présence des marques à condition qu’elles leur parlent vraiment avec des contenus adaptés à leurs propres aspirations souvent tournées vers l’apparence physique et vestimentaire.

Une communauté mature mais sans recul critique

Cette présence désormais assumée des moins de 13 ans sur les médias sociaux (même si paradoxalement, il n’existe que peu de données et d’études sur cette communauté digitale) n’est pas sans poser des questions corollaires. La première concerne évidemment les risques de cyber-harcèlement et de pédophilie dont les médias font régulièrement l’écho. S’il ne convient pas de les minorer, les pré-ados n’offrent pas pour autant une posture primesautière. En juin 2017, l’association Génération Numérique et la CNIL ont effectué une vaste enquête auprès de 6417 jeunes de 11 à 18 ans pour mieux cerner la façon dont ils appréhendent la protection de leurs données personnelles. Les résultats obtenus soulignent que les plus jeunes sont loin d’être naïfs ou ignorants en la matière. Filles et garçons de 11 à 14 ans savent majoritairement naviguer sur le Web en mode privé et s’attachent à effacer leurs historiques de navigation. De même pour leurs mots de passe, ils sont une forte proportion à choisir des codes compliqués pour éviter les intrusions indélicates. Au bout du compte, il ressort qu’ils ont un bon niveau de maturité en matière de gestion des données personnelles.

En revanche, lorsqu’il s’agit de s’informer, la problématique s’avère plus désespérante. Les moins de 13 ans ne sont que très peu à consulter des sites d’information au-delà des notifications qu’ils peuvent éventuellement recevoir. Très tournée sur elle-même et ses centres d’intérêt, l’information est véritablement le parent pauvre de cette tranche d’âge. Et s’il s’agit de s’informer, plus qu’ailleurs encore, le poids de la recommandation des amis est prépondérant. Ce qui n’est pas sans poser de problème. En novembre 2016, l’université de Stanford en Californie a publié une étude sur le niveau de vigilance des jeunes envers l’information en ligne. Le constat est brutal. Ils sont généralement incapables de distinguer le vrai du faux comme s’en plaint le résumé de l’étude (5) : « La capacité de raisonnement des jeunes sur l’information en ligne peut être résumée en un seul mot : désolante. Nos “digital natives” sont peut-être capables de passer de Facebook à Twitter tout en publiant un selfie sur Instagram et en envoyant un texto à un ami, mais quand il s’agit d’évaluer l’information qui transite par les réseaux sociaux ils sont facilement dupés. »

Des influenceurs en puissance pour le meilleur … ou le pire

Plus que jamais, l’enseignement critique de l’information auprès des moins de 13 ans (mais aussi envers les ados plus âgés) est une priorité absolue. A l’heure où les « fake news » s’immiscent continuellement dans les débats sociétaux, il est urgent d’entreprendre une éducation soutenue auprès des plus jeunes afin qu’ils se prémunissent mieux contre les intoxs et rumeurs en tout genre que le Web charrie. Face à une génération ultra-connectée mais en fin de compte très démunie dans sa capacité à hiérarchiser des informations, recouper et distinguer les sources, etc, il est du ressort de chacun de prendre une partie du problème. Les médias sont de toute évidence les premiers concernés d’autant que pré-ados et ados ont nettement tendance à les ignorer ou ne pas les connaître. A cet égard, il faut saluer le fait qu’un quotidien comme Le Monde ait osé depuis 2016 se doter d’une rédaction de 7 journalistes et graphistes entièrement dédiés à nourrir le flux Snapchat du quotidien. C’est effectivement en allant et en s’intéressant aux pratiques de ces communautés adolescentes que pourra se transmettre un apport plus pédagogique.

Que les marques fassent des campagnes de pub envers ces cibles hyper-consommatrices est une chose. Mais là aussi, il est de leur intérêt d’entrer plus en dialogue avec ces communautés, de nourrir une proximité qui ne se borne pas uniquement aux placements de produits sur YouTube ou l’achat d’Instagram sponsorisés. Face à des « Born Social » qui zappent vite, il convient dès maintenant d’intégrer cette catégorie générationnelle dans les plans de communication. Il est révolu le temps où les pré-ados et ados avaient peu ou pas de moyens d’expression. Aujourd’hui, ils apprivoisent à vitesse éclair et certains deviennent influents comme jamais. Raison de plus pour leur donner un regard plus critique sur les contenus qui transitent sur le Web et éviter que le mythe des Illuminati soit un sujet crédible de conversation dans les cours d’école et sur les smartphones. Témoignage du père que je suis !

Sources

– (1) – Margaux Dussert – « 85% des collégiens inscrits sur un réseau » – L’ADN – 28 septembre 2017
– (2) – Ibid.
– (3) – Thierry Wojciak – « 73% des 4-14 ans disposent d’au moins un écran personnel » – CB News – 6 novembre 2015
– (4) – Thibaud D. – « Malgré les interdits, les moins de 13 ans débarquent sur les réseaux sociaux » – La Réclame – 30 septembre 2017
– (5) – Morgane Tual – « Fausses informations en ligne : les adolescents « facilement dupés », selon une étude » – Le Monde – 26 novembre 2016