Rumeurs #MeTooCinéma : la cote d’alerte a été franchie par les médias … et c’est préoccupant !

Il a suffi d’un compte X/Twitter pourtant réputé complotiste pour mettre en émoi total, le monde du cinéma deux semaines avant l’ouverture du 77ème festival de Cannes mais également pour leurrer des médias ayant pignon sur rue. En l’espace d’une dizaine de jours, une rumeur annonçant que Mediapart allait dévoiler une liste de 10 grands noms du cinéma français auteurs présumés de violences sexuelles et sexistes, a frayé son chemin et percolé un peu partout avant de faire pschitt non sans avoir récolté au passage quantité de likes et de partages et semé encore plus la zizanie informationnelle. Ce cas d’étude est particulièrement préoccupant parce qu’il est réplicable contre n’importe qui, entreprises y compris, et qu’il sape encore plus la crédibilité des médias et le débat démocratique.

Le pitch de cette rumeur est particulièrement retors. A l’origine, il s’agit d’un compte sulfureux et connu pour déblatérer quantité d’annonces fracassantes qui se déballonnent généralement quelques jours plus tard, faute d’éléments concrets. Et pour cause, l’essentiel des « allégations » émane du compte Twitter/X @Zoesagan (créé en 2018) derrière lequel se cache Aurélien Poirson-Atlan, un ancien publicitaire reconverti en besogneux écrivain qui se complaît dans des romans ampoulés, torturés et verbeux comme par exemple Kétamine sorti en 2020. Une année charnière où l’impétrant va précisément connaître son premier fait d’armes graveleux. Sous son désormais célèbre pseudo, il va en effet être le premier à viraliser la vidéo qui montre l’appendice de l’entrejambe de Benjamin Griveaux, alors en course à l’élection municipale de Paris et poulain d’Emmanuel Macron et provoquer ainsi son retrait quasi immédiat de la campagne.

Un cocktail nocif mêlant le vrai et le faux

Depuis cet « exploit », l’homme n’a pas désarmé une minute. Totalement décomplexé et provocateur, il s’attache à jouer les lanceurs d’alerte avec un tropisme prononcé pour le massacre réputationnel de personnalités publiques. Régulièrement, il promet des révélations retentissantes sur des pratiques déviantes qu’une omerta institutionnelle s’ingénierait à étouffer auprès de l’opinion publique. C’est ainsi qu’il s’est volontiers prêté à répercuter l’an passé l’ignoble fake news affirmant que Brigitte Macron est à l’origine un homme. Au point d’être repris à son tour par toute la complosphère pro-trumpiste américaine (lire par ailleurs sur ce blog).

Sa méthode de désinformation est particulièrement rôdée. A la différence d’autres complotistes comme Silvano Trotta, Mike Borowski, Richard Boutry et consorts qui balancent des énormités débiles et sans aucun fondement, ce faussaire volubile sait doser subtilement ses menaces en s’appuyant sur un contexte sociétal réel de défiance générale et en distillant çà et là des éléments vrais ou vraisemblables qui sont ensuite malaxés et distordus dans une logorrhée racoleuse et exhalant le parfum du scandale. Dans le cas de #MeTooCinema, Poirson-Atlan a adopté la même combine. Alors que l’ouverture du 77ème festival de Cannes approche, il tweete le 2 mai un post où il affirme que Mediapart va révéler une liste de 10 célébrités du cinéma français qui seraient coupables de violences sexistes et sexuelles.

Brouiller le vrai pour faire croire au faux

La grenade dégoupillée va faire son œuvre avec ses atours d’une pseudo-vérité. En effet, Mediapart enquête déjà depuis longtemps sur les déviances qui règnent dans le milieu cinématographique hexagonal. Le site d’investigation a notamment été en pointe dans l’affaire d’Adèle Haenel ou encore plus récemment dans celle de Judith Godrèche. Sans parler du dossier Depardieu. Par ailleurs, les voix se libèrent en effet de plus en plus pour dénoncer des réalisateurs ayant abusé de certaines actrices. L’actrice Isild Le Besco vient de publier un livre mettant en cause son ancien réalisateur et compagnon, Benoît Jacquot. Sans oublier la commission d’enquête qui s’est mise en place sur les abus et violences dans le cinéma et la prochaine comparution en juin devant la justice pour agressions sexuelles de Dominique Boutonnat, président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

Autant dire qu’il s’agit d’un terreau extrêmement fertile pour la givrée @Zoesagan pour ensuite broder avec ses propres fantasmes de révolutionnaire ombrageux qui n’hésite d’ailleurs jamais à faire la promotion d’une autre figure d’ultra-gauche, à savoir l’avocat activiste Juan Branco qui est lui-même résolument anti-système et qui rêve d’un grand soir où la société serait renversée. Pourtant, les saillies verbales de Poirson-Atlan accouchent la plupart du temps de souris rachitiques et sont alors vite remplacées par de nouveaux délires, histoire d’escamoter l’absence de preuves concrètes. A noter par ailleurs que le compte @Zoesagan est un compte certifié sur la plateforme d’Elon Musk. Lequel, depuis juillet 2023, rémunère les « influenceurs » à la coche bleue qui génèrent le plus de buzz avec leurs contenus. Une motivation supplémentaire ?

Emballement médiatique sans précautions

Pour les médias classiques, Aurélien Poirson-Atlan n’est plus un inconnu surgi de nulle part. En janvier 2022, le magazine Paris Match lui a même consacré un long et détaillé portrait sur ses lubies et son obsession à jouer avec les lignes de la vérité et celles de la supercherie. De ce romancier en mal de gloriole littéraire, tout est précisément dit. Faute de parvenir à percer avec sa plume romanesque, il prête celle-ci à la conception d’accusations plus ou moins vérolées. Jusqu’à connaître donc son heure de gloire avec l’affaire Griveaux en 2020.

Des médias, et non des moindres, vont pourtant mordre à l’hameçon lancé par Poirson-Atlan qui ne recule devant rien. Quelques jours après son premier tweet aguicheur, il en remet une couche en citant nommément 8 acteurs et 2 producteurs notoires, le tout assorti avec l’affiche d’un film en compétition au festival de Cannes où figurent deux des dix noms alignés. C’est le Figaro qui ouvre le bal le 5 mai avec un long article qui spécule en reprenant tout l’historique de #MeToo dans le cinéma depuis l’affaire Harvey Weinstein mais qui n’apporte aucun contrepoint.

Va ensuite embrayer le Canard Enchaîné qui indique au passage que la direction du festival de Cannes s’est mis en mode crise et qu’elle a même appointé une agence de communication de crise pour l’épauler au cas où Mediapart publierait. Sans oublier un journal matinal sur France Info TV qui lance (1) : « une liste de personnalités […] devrait être publiée demain dans une enquête de Mediapart » sans même s’enquérir auprès du site de la véracité ou pas de cette enquête. Même des titres de PQR comme Le Dauphiné Libéré, le Midi Libre et Le Progrès vont également donner un écho à cette nauséabonde supputation.

Et pour couronner le tout, le charognard Cyril Hanouna, toujours à l’affût des remugles et des histoires crapoteuses, joue à son tour les bravaches dans son émission populiste TPMP sur C8 en évoquant la sortie imminente de cette liste et en se vantant de surcroît de disposer lui aussi des noms (2) : « On a les noms, c’est tout le cinéma français qui est touché, une liste extraordinaire ». Il est vrai qu’en matière de malversation informationnelle et propagation de fake news, le bouffon Hanouna est passé maître ordurier.

L’heure (enfin) de la déconstruction

Après une huitaine de jours de grand n’importe quoi sans l’ombre d’un indice factuel, deux médias vont enfin déconstruire ce fil narratif pernicieux. Le 11 mai, Le Parisien pondère nettement les emballements qui bruissent et agitent la Croisette. Dans la foulée, La Tribune consacre plusieurs articles sur cette rumeur qui empeste l’ambiance et accorde notamment une interview édifiante à Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, qui connaît sur le bout des doigts la mécanique perverse des rumeurs et des fake news. Sans parler de @Zoesagan elle-même qui l’a étrillé à de nombreuses reprises avec des mises en cause totalement frelatées.

Le 13 mai, Mediapart prend enfin la parole pour recadrer les choses (3) : « Depuis plusieurs jours, nous assistons, médusé·es, au parcours fou d’une prétendue « liste », voire d’une « liste noire » d’auteurs de violences sexistes et sexuelles que Mediapart s’apprêterait à révéler en ouverture du Festival de Cannes, mardi 14 mai. C’est faux, évidemment. Disons-le d’emblée : Mediapart ne publie pas de « liste ». Quand nous révélons des faits à propos de violences sexistes et sexuelles, comme sur l’ensemble des sujets d’intérêt général que nous couvrons, nous publions des « enquêtes » portant sur des informations recoupées ».

Cela a l’immense mérite d’être clair. Néanmoins, le silence initial adopté par Mediapart, pose question. Pourquoi n’avoir pas d’emblée démenti ce que prétendait Poirson-Atlan dans son premier tweet ? Ce mutisme a quelque part accrédité l’idée que quelque chose était bien en cours et conféré une consistance qui n’avait pas lieu d’être.

Il y a urgence à reprendre en main nos esprits critiques

Alors affaire close dorénavant ? Pas vraiment. Le 14 mai, les révélations (véridiques cette fois) du magazine ELLE sur les plaintes de 9 femmes à l’encontre du producteur de cinéma Alain Sarde, ont remis à leur insu une pièce dans le juke-box complotiste. Sur son site Web Apar.tv tout aussi délirant que ses réseaux sociaux, Poirson-Atlan a rebondi aussitôt sur la nouvelle en la présentant fallacieusement comme une divulgation de son fait alors qu’il fait carrément un copié-collé de l’article d’ELLE (en indiquant à peine que cela provient du magazine). Et sur Twitter, il fanfaronne à nouveau avec cette perche médiatique opportune pour son business de désinformation (4) : « La liste noire des 10 n’est pas contrairement à ce que vous racontent les médias traditionnels, la « liste de Zoé Sagan ». C’est la liste qui tournait sous le bureau dans le milieu du cinéma depuis un mois. Par contre, ma liste à moi arrive bientôt. Soyez patient. Elle sera longue ».

Ce n’est certes pas la première fois que des rumeurs ont la peau dure. En revanche, la porosité accrue entre la vitesse de circulation de celles-ci sur les réseaux sociaux et la légèreté éditoriale grandissante de certains médias à prendre pour argent comptant (sans doute aussi pour faire du « putaclic » sans l’air d’y toucher) est très préoccupante. La confusion entre faux, vrai et vraisemblable atteint aujourd’hui des niveaux tellement erratiques qu’il est urgent de se reprendre. Au sein des médias en ne sautant pas à pieds joints sur les dernières crétineries obsédées d’un écrivaillon à l’ego frustré et bileux. A nous, les citoyens en réactivant plus que jamais notre esprit critique pour ne pas gober malgré parfois nos pulsions voyeuristes pour ce genre d’histoire.

Enfin, il est étonnant que les autorités publiques ne s’emparent pas non plus de ce phénomène caractérisé de désinformation patente. Ce que fait Poirson-Atlan (et bien d’autres) relève de la diffusion de fausses nouvelles et contribue à la déstabilisation du corps sociétal et démocratique français. Bien avant les faussaires numériques, la loi de 1881 sur le droit de la presse qualifiait d’infraction pénale, le fait de se livrer à la diffusion de fausses informations. Elle est toujours en vigueur aujourd’hui et a même été renforcée en 2018. Si une fausse information est amenée à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la vie privée d’une personne, des amendes peuvent être émises à l’encontre des contrevenants. Elles peuvent aller jusqu’à 45 000 € et un an d’emprisonnement. Qu’attend-on pour agir ? Jusqu’où va-t-on laisser les décadents subversifs raconter tout et n’importe quoi en jouant de la confusion permanente ? Veut-on que des @ZoeSagan continuent de métastaser nos univers informationnels ? Quand débranchera-t-on cette baudruche vénéneuse et inutile ? Quand les plateformes vont-elles cesser leur laxisme indécent ?

Sources

– (1) – Lénaïg Bredoux – « #MeToo : la force tranquille de l’information » – Mediapart – 13 mai 2024
– (2) – Cyril Lacarrière – « #Metoo cinéma : comment les médias valident une rumeur » – France Inter – 13 mai 2024
– (3) – Lénaïg Bredoux – « #MeToo : la force tranquille de l’information » – Mediapart – 13 mai 2024
– (4) – Tweet de @ZoeSagan – 14 mai 2024

Pour aller plus loin



Laisser un commentaire


Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.