Yann Moix : Plus qu’un parfum de scandale, une stratégie réputationnelle de victimisation délibérée

En publiant son nouvel opus littéraire « Orléans » qui se veut « une tétralogie de l’humiliation » (sic), l’écrivain Yann Moix récidive dans le scandale à grands coups de remugles familiaux qui ont fait les délices de la chronique médiatique et au passage, la promotion bien opportune du livre. Ne serait-il pas temps de prendre conscience que le personnage relève d’une stratégie d’image victimaire totalement assumée pour incarner un sulfureux et bankable Calimero des lettres modernes. L’objectif ? Vendre sa prose vomitique et rester sur le devant de l’intelligentsia médiatique et germanopratine.

« Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie » écrivait le poète Alfred de Musset à son ami Edouard Boucher dans son recueil intitulé « Premières Poésies » (1828 – 1835). Et d’ajouter dans les vers suivants, ce constat : « C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour ; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie ». Deux siècles plus tard, le controversé écrivain Yann Moix pourrait paraphraser à sa manière cette citation tant est grande sa propension à se dépeindre en auteur maudit et provocateur patenté. La ville d’Orléans était jusqu’alors connue pour sa célèbre pucelle de Jeanne d’Arc et sa non moins célèbre rumeur disséquée par l’éminent sociologue Edgar Morin. Faudra-t-il dorénavant y ajouter l’ouvrage éponyme au fumet sulfureux commis récemment par Yann Moix ? En effet, ce dernier y règle sans filtre ses comptes avec ses parents et indirectement son frère, Alexandre. Lequel se sentira tellement agressé et vilipendé qu’il rédigera une retentissante tribune dans Le Parisien où il réplique à son aîné en le qualifiant de menteur pathogène après la mise au point du père effectuée sur les assertions romanesques de son premier fils dans le quotidien local d’Orléans, La République du Centre. Les médias se délectent tellement du sac de nœuds déballé par Yann Moix qu’ils en viennent à lui déterrer une autre casserole : celle d’un passé d’auteur antisémite (L’Express) et d’une fréquentation assidue des négationnistes de la Shoah (Le Monde). Alors l’arroseur arrosé ? Pas si sûr ! Dans le petit monde putride moixien, un scandale permet toujours d’être un phénix médiatique.

De quoi Moix est-il le nom ?

La marque « Moix » commence sa saga sous les meilleurs auspices. En 1996, l’apprenti écrivain repéré et adoubé deux ans plus tôt par le philosophe Bernard-Henri Lévy, décroche le prometteur Prix Goncourt du premier roman avec « Jubilations vers le ciel », une bluette qui surfe sur le thème inaltérable de l’amour déchiré et déchirant entre les sexes. Déjà, la jeune plume s’ingénie à mixer les cocktails incertains de la violence et de la tendresse des sentiments sur fond de passion vouée à l’inanité éternelle. Déjà, l’apprenti littéraire intègre la prestigieuse écurie Grasset qui mise sur ce talent en devenir et à la noirceur intime revendiquée. Deux autres romans vont suivre sur le même registre avant la véritable consécration médiatique en 2002 avec la publication de « Podium » où il narre les avanies sociales, identitaires et amoureuses d’un sosie de Claude François. Un ouvrage qui propulse Yann Moix au firmament médiatique d’autant plus que celui-ci fait l’objet d’une adaptation cinématographique avec Benoît Poelvoorde qui cartonne deux ans plus tard sur le grand écran.

Le style Moix est installé. Il ne cessera jamais plus de râcler avec obsession les culs-de-basse-fosse de la psyché humaine et la sienne propre au passage. Ce qui lui vaut une seconde récompense littéraire en 2013 avec le prix Renaudot attribué à « Naissance », un roman protéiforme où l’on voit déjà poindre la problématique torturée de la filiation paternelle. Entretemps, il aura également jeté un pavé dans la mare en 2004 avec « Partouz » où il s’adonne avec jubilation à la provocation la plus percutante. Les critiques littéraires s’emparent du phénomène et s’écharpent pour tenter de cerner cet OVNI torturé. Ainsi, Pierre Assouline estime dans la foulée du Renaudot décroché qu’il est « né sous le signe de l’excès. […] Moix ne se refuse rien, et si une digression doit courir sur vingt pages, qu’elle courre ! Rien n’est hors-sujet puisque le sujet est partout. Enfin un auteur qui s’autorise ! […] l’on dira que son auteur en fait trop, ce qui est vrai ». Mais, c’est sans doute Bernard Pivot qui fixe au plus juste ce qu’est véritablement la posture déclinée par Yann Moix (2) : « écrivain surdoué […] De cruelles métaphores jaillissent de sa plume. Le lyrisme ne lui fait pas peur. Il n’appartient pas à l’école des écrivains au style raplapla. C’est un provocateur qui jubile quand ses mots font mouche, y compris et surtout contre lui-même ».

Médias, je vous aime, moi non plus !

Néanmoins, l’impact réputationnel de Yann Moix n’aurait certainement pas atteint celui qu’il est encore aujourd’hui si très tôt, il ne s’était pas adjoint le concours de la caisse de résonnance des médias. Dans la suite de son premier roman, il empile les collaborations et les chroniques littéraires dans Marianne, Elle, Le Figaro littéraire, Le Point et même des reportages dans Paris Match. Evidemment, les textes fleurent bon la polémique à tout va. L’impétrant s’attaque avec une volupté non dissimulée à des figures de la vie littéraire comme Amélie Nothomb, Alexandre Jardin, etc. Ce versant pamphlétaire débouche fort logiquement sur des prestations radiophoniques et télévisuelles qui vont cette fois toucher un public encore plus vaste. C’est l’animateur et humoriste Laurent Ruquier qui lui met le pied à l’étrier en le faisant venir dans l’émission d’Europe 1, « On va s’gêner » puis aux « Grosses Têtes » sur RTL. Il tâte également de la polémique à débit continu sur I-Télés (devenue CNews) avant de refaire équipe avec son mentor cathodique pendant trois ans dans le talk-show « On N’est Pas Couché ».

Yann Moix va alors sciemment utiliser toutes ces fenêtres d’exposition maximale pour alimenter sans barguigner les clashs et les scandales. S’il poursuit l’écriture de livres, il devient un abonné de la rubrique des controverses. Ses interventions sont truffées d’assertions à l’emporte-pièce et de phrases cinglantes. L’une d’entre illustre parfaitement la mécanique Moix. En septembre 2018, il est l’invité de l’émission de Thierry Ardisson, « Salut Les Terriens ». Il part aussitôt en triple salto verbal contre la police qu’il abomine (3) ! « Si vous venez dire ici que les policiers ont peur, vous savez bien que la faiblesse attise la haine : dire que vous chiez dans votre froc, alors que vous faites un métier qui devrait prendre cette peur en compte… » pour ensuite accuser celle-ci de se « victimiser à longueur d’émission de télévision alors que ses cibles préférées sont les pauvres et les milieux défavorisés ». Et de conclure de manière péremptoire : « Je suis moi-même spectateur du harcèlement que vous pratiquez sur des gens inoffensifs (…) parce que, effectivement, la peur au ventre, vous n’avez pas les couilles d’aller dans des endroits dangereux ». Le tollé est au rendez-vous. Les syndicats de police sont outrés. Le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérard Collomb, annonce qu’il va porter plainte en diffamation contre l’écrivain.

Le cocktail Moix : du purulent et du larmoyant

Cependant, la marque de fabrique Moix ne s’arrête pas là. Une fois le scandale bien étalé, le provocateur plumitif embraye sur la deuxième phase : la résipiscence. A peine les braises de la polémique étaient-elles en train de refroidir que Yann Moix se lance alors dans son exercice favori de flagellation. Piteux comme un chenapan pris en flagrant délit, il fait acte de contrition et s’excuse quelques jours plus tard lors d’une interview sur le plateau de LCI. Il en fait alors trois tonnes avec des déclarations du style (4) : « Je disais avec des mots grossiers que je regrette, parce que c’est jamais bien les mots grossiers […] que la police n’a pas à venir dire sur les plateaux qu’elle a peur puisque le signal envoyé n’est pas le bon pour être respecté […] Cette façon triviale de parler n’est pas la bonne. J’ai manqué d’intelligence sur cette manière de s’exprimer. Personne n’est anti-flic dans cette histoire, être anti-flic n’a aucun sens et aucun intérêt ».

Le chaud-froid de Yann Moix est permanent. En témoigne notamment sa fameuse phrase en janvier 2019 où il se déclare « incapable d’aimer une femme de plus de 50 ans » au motif que leurs corps ne « sont pas extraordinaires du tout ». Cette fois, c’est avec une petite variante au programme ! Moix persiste et enfonce le clou dans un premier temps avant de finalement rétropédaler quelque temps plus tard en établissant une comparaison osée pour estomper le malaise (5) : « C’est quelque chose qui rend le président de la République extrêmement sympathique. Je trouve que ce n’est pas évident. C’est un garçon jeune, il est avec une femme plus âgée, ça se voit (…) Ce couple est extraordinaire. C’est un vrai courage, ça n’a pas dû être simple (…) Ce qu’il a dû subir tout sa vie pour assumer ce choix, je lui présente mes respects pour cette raison. C’est fort. On voit un couple amoureux, il n’y a pas de triche (…) Je suis un peu la Brigitte Macron de la littérature française. Je suis comme elle en fait ». Docteur Yann et Mister Moix ont encore frappé. De cogneur, il se fait victime repentante !

« Orléans » et antisémitisme : bis repetita !

Tout occupé à la promotion de sa dernière production littéraire où il entend tuer le père et jouer la carte du petit chose massacré dans son enfance, Yann Moix va pourtant tomber sur un os sans doute pas prévu dans le plan marketing de son éditeur. Coup sur coup, L’Express exhume des écrits antisémites (et des dessins) que le trublion a commis durant ses années d’étudiant en école de commerce et affiche les preuves qu’il en est l’auteur. Le Monde enchaîne avec des révélations supplémentaires où il s’avère que le même personnage a continué de fréquenter des négationnistes jusqu’en 2013 (6). L’écrivain se braque, nie fermement puis louvoie avant de lâcher prise dans un mea culpa huilé. Quelques jours plus tard, il joue la carte du penaud mortifié et admet dans Libération (7) : « J’assume, j’endosse tout. Ce que j’ai fait à l’époque avec 3 ou 4 cons, on était des types complètement paumés ».

La machine à pénitence va alors embrayer à plein tube. Hasard bienheureux de la promotion du bouquin, Yann Moix est justement programmé pour être l’invité d’« On N’est Pas Couché » diffusé le 31 août sur France 2. Ses accointances médiatiques d’avec la productrice de l’émission, Catherine Barma, vont être d’un précieux recours. Le passage à confesse cathodique est implacable et Moix surjoue son récital victimaire sans une fausse note (8) : « La première chose, je demande pardon pour les dessins abjects, choquants que j’ai commis à 20 ans (…) Le jeune homme que j’étais, je lui cracherais dessus aujourd’hui (…) Je demande pardon à Bernard Henri-Lévy et à tous ceux que j’ai blessés du plus profond de mon être. Pardon pour ces bandes dessinées (…) Je n’avais pas les épaules assez larges pour me suicider physiquement alors je me suis suicidé moralement. J’ai un dégoût de moi-même, ce raté, cet être méprisé et méprisable. Je me vomissais ». N’en jetez plus, la polémique est pleine !

Jusqu’où le double jeu réputationnel ?

A force de jouer avec les lignes et de brouiller la réalité à sa guise, Yann Moix a peut-être atteint les limites de sa communication bipolaire. En alternant attaques vitupératives et excuses larmoyantes, il s’est aiguisé le personnage qu’il vise en permanence : être un écrivain clivant dont on parle quitte à froisser mais en sachant pondérer ensuite pour rester « lu et fréquentable » comme l’écrivent les journalistes Ariane Chemin et Laurent Telo dans Le Monde. Dans cette partie de cache-cache où ombres réelles et ombres fictives s’entremêlent, Yann Moix aurait dû s’attendre à ce que ses propres zones grises rejaillissent (et il en a un nombre certain).

La double polémique surgie dans la foulée de son dernier livre jette finalement une lumière crue sur l’essence même du personnage. Aujourd’hui, il s’en sort à nouveau grâce à une certaine complaisance médiatique où peu de voix osent s’élever contre cette mascarade œdipienne peu ragoutante et ce numéro de tartuffe pleurnichard. En dépit d’une hyper-médiatisation où il s’est redressé au forceps, « Orléans » plafonne en termes de ventes dans les librairies. Edistat annonce 4970 exemplaires écoulés (9) pour la première semaine alors que l’éditeur a déjà mis en place 42000 unités du livre. Et si finalement les lecteurs se lassaient enfin de ce trublion trouble à l’excès ? En attendant, l’impétrant dispose toujours de son émission « Chez Moix » sur Paris Première et son rond-de-serviette chez nombre d’influents acteurs parisiens médiatiques et de l’édition.

Mise à jour du 6 septembre 2019 : Paris Première met Yann Moix hors-jeu. La chaîne culturelle grand public du groupe M6 arrête l’émission «Chez Moix», lancée en 2018.

Photo Eric Malot

Sources

– (1) – Pierre Assouline – « Pardonnez Moix … » – La République des Livres – 8 septembre 2013
– (2) – Bernard Pivot – « Yann Moix, l’infidélité avouée » – Le Journal du Dimanche – 13 avril 2015
– (3) – « Propos antipoliciers : Gérard Collomb annonce porter plainte contre Yann Moix » – Le Monde – 27 septembre 2018
– (4) – « Yann Moix s’excuse pour ses propos « grossiers » sur les policiers » – L’Obs – 25 septembre 2018
– (5) – Elise Poiret – « Yann Moix et les femmes de 50 ans : il se compare à Brigitte Macron » – Femme Actuelle – 21 janvier 2019
– (6) – Ariane Chemin et Laurent Telo – « Ces heures où Moix a tenté de rester fréquentable » – Le Monde – 2 septembre 2019
– (7) – « Yann Moix s’excuse pour ses dessins antisémites » – Libération – 31 août 2019
– (8) – Ibid.
– (9) – Manuel Alaver – « Yann Moix : premiers chiffres de vente décevants pour Orléans, son roman polémique » – Capital.fr – 30 août 2019



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