Police & Poulet de Loué : Outrage publicitaire ou blague potache ?

Les poulets de Loué viennent de se faire voler dans les plumes par un syndicat de police. Objet du délit : une campagne publicitaire associant volatiles et policiers sous le slogan de la marque : « Depuis 1958, un bon poulet est un poulet libre ? ». Irrévérencieux coup de pub ou buzz malin ?

Entre les képis de la Police Nationale et l’aviculteur Loué, ça fleure bon la récidive ! La nouvelle campagne d’affichage de ce dernier a encore pris récemment un malin plaisir à jouer avec la sémantique du mot « poulet » de la langue française.

Poulet potache !

L’affiche Loué version 2012

Actuellement, on y voit ainsi un gendarme juché sur un tracteur équipé d’un gyrophare côtoyant une fière volaille elle-même perchée sur son panneau du village de Loué. L’idée potache provient du directeur général de la coopérative des poulets de Loué, Yves de la Fouchardière.

L’éleveur avicole n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2010, il s’était aventuré à brocarder la maréchaussée en imaginant une affiche faisant figurer d’un côté un policier décontracté avec le slogan clin d’œil « Poulet de Loué élevé en liberté » et de l’autre des pandores compactés dans une estafette de police avec une simple mention « D’autres poulets ». Objectif de cette parabole humoristique : vanter avec humour les mérites des poulets élevés en plein air par rapport à ceux issus des élevages en batterie.

A la limite de l’outrage à agent ?

L’affiche Loué version 2010

Néanmoins, la familiarité taquine d’Yves de la Fouchardière s’est à chaque fois attirée les foudres de certains représentants de l’ordre. Ceux-ci y voient une inacceptable atteinte à la dignité de leur profession. Il y a deux ans, le syndicat Unité SGP Police s’était fendu d’une lettre indignée au directeur général de Loué pour critiquer cet « outrage à agent de la force publique » (1) : « Il me semble qu’un groupe avicole aussi important que le vôtre n’a pas besoin d’une publicité aussi simpliste. En ces périodes où les policiers sont particulièrement exposés dans l’exercice de leur profession, et décriés par de nombreux contradicteurs, il est inutile de notre point de vue que la Police Nationale soit ridiculisée de la sorte».

Le cru récidiviste de 2012 n’a nullement échappé aux réprimandes du même syndicat qui à nouveau a entonné la complainte du policier mal-aimé (2) : « Notre métier est de plus en plus dur et on rencontre des difficultés grandissantes pour se faire respecter. Avant l’uniforme représentait quelque chose. Maintenant, pour gagner quelques sous, on en vient à ridiculiser une profession ». Et dans la foulée, d’exiger très officiellement le retrait des affiches calomnieuses auprès du préfet des Pyrénées-Atlantiques !

Louée soit l’irrévérence publicitaire ?

Même Gaston Lagaffe aime s’amuser des « poulets » !

En s’indignant bruyamment, les policiers vexés se sont en fin de compte administrés eux-mêmes un retour de matraque qui bénéficie plus à la notoriété des poulets de Loué qu’à l’image des forces de l’ordre.

Lesquelles apparaissent sur ce coup comme étant plutôt des mauvais coucheurs. De plus, si l’objectif était de réduire au silence la campagne moqueuse, l’effet est totalement raté puisque médias et réseaux sociaux s’en sont emparés avec délectation.

La réaction syndicale est d’autant plus décalée que la culture hexagonale a toujours malicieusement associé sa police à des vocables de volatiles. Il suffit de feuilleter quelques pages du dictionnaire de l’argot pour se remémorer nombre d’expressions espiègles comme « poulet » évidemment mais aussi « perdreau », « poulaga », voire « la maison Poulardin ». En ce sens, la marque Loué ne fait que rebondir sur un filon populaire volontiers taquin à l’égard des forces de l’ordre.

L’origine argotique même du mot « poulet » possède de surcroît un lien avec la dite volaille qu’élève la coopérative de Loué. C’est d’ailleurs le site Internet du ministère de l’Intérieur lui-même qui dévoile l’origine de l’association sémantique entre policier et « poulet » (3) : « Par arrêté du préfet de police du 7 septembre 1870, les sergents de ville changent de nom ; ils deviennent des gardiens de la Paix publique. Leur uniforme est modifié, le bicorne est remplacé par le képi. En 1871, Jules Ferry met à disposition de la préfecture de police la caserne de la Cité pour en faire son siège. Cette caserne ayant été bâtie sur l’emplacement de l’ancien marché aux volailles de Paris le sobriquet de poulet est alors donné aux policiers ».

La police inspire la pub et le buzz

« La Maison Poulaga », un concept de rôtisserie et livraison de poulets !

L’irritation épidermique du syndicat Unité SGP Police semble de surcroît ignorer que la police a très régulièrement inspiré les créatifs publicitaires depuis de nombreuses années et souvent sous l’angle de la mise en boîte du pandore.

Pour s’en convaincre, il suffit de se balader sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel pour tomber sur quelques pépites comme ce spot publicitaire des herbes aromatiques Ducros diffusé en 1998.

Plus ancien encore, chacun (du moins les générations d’avant les années 80 !) se souvient du film railleur de la boisson sans alcool Canada Dry en 1979 où deux chauffeurs routiers se payent ostensiblement la tête d’un motard de la police en buvant sous son nez la dite boisson aux reflets de whisky mais sans ses effets éthyliques.

De même, on peut rappeler les initiatives futées de certains commerçants pour attirer l’attention. C’est ainsi qu’à Nîmes, une entreprise de rôtisserie et de livraison à domicile de poulets s’était auto-baptisée « La Maison Poulaga » avec des employés habillés en forces de l’ordre et des véhicules aux couleurs de la « Rôtisserie Nationale ». Une idée astucieuse qui a même conduit ses concepteurs à la décliner rapidement sous forme de franchise commerciale dans toute la France ! Cependant, après des débuts médiatiques en fanfare, l’affaire a périclité en avril 2012.

Lire la suite du billet sur Le Plus du Nouvel Observateur 

Sources

(1) – « La publicité qui fâche les policiers » – Le Parisien – 22 juillet 2010
(2) – David Briand – « Pyrénées-Atlantiques : des policiers furieux contre la campagne de publicité de Loué » – Sud-Ouest – 27 juillet 2012
(3) – « Histoire de la police nationale » – Site du ministère de l’Intérieur

A lire en complément

– Aurélie Champagne – « Pourquoi on surnomme les policiers « poulets » (et pourquoi çà fâche ?) » – Rue89 – 31 juillet 2012