Mariage gay & Guerre scolaire : Décryptage d’une embuscade communicante

Peut-on débattre du mariage homosexuel dans l’enceinte scolaire ? Cette question digne d’un libellé de baccalauréat de philosophie s’est récemment transformée en bourbier communicant pour le ministre de l’Education nationale. Tandis que Vincent Peillon visait à rappeler les principes de neutralité de l’école aux responsables de l’enseignement catholique, le ministre s’est aussitôt fait étriller par ces derniers au motif qu’il discrimine l’école privée par rapport à l’école publique. Et de s’embraser aussitôt une virulente passe d’armes de communication où le ministre est accusé de « rallumer la guerre scolaire ». Cas d’étude symptomatique d’un renversement d’image qui n’aurait jamais dû se produire.

Avant d’aller plus loin dans la réflexion, je tiens toutefois à préciser que ce billet n’est ni un quitus accordé à l’école catholique, ni une défense apportée au ministre de l’Education. Devant ce sujet si épidermique et aux attitudes souvent dogmatiques, il me semblait crucial d’apporter cet éclairage afin que l’analyse qui suit ne soit l’objet d’aucune discorde, mésinterprétation ou récupération. Ce sont surtout les mécanismes tactiques de communication mis en œuvre et les erreurs d’appréciation de la situation qui ont motivé l’écriture de cet article. Ce préambule étant signifié, en route pour le décryptage d’une opération de communication rondement menée !

Peillon au pilori

Couverture choc pour alimenter la polémique !

Le ministre et son cabinet ont probablement dû bondir de leur fauteuil en découvrant la Une particulièrement sans ambages du Journal du Dimanche en date du 6 janvier. En gros caractères et avec photo suggestive à l’appui, le titre est plutôt comminatoire : « Mariage gay : Peillon cible les catholiques ». Autrement dit, le ministre de l’Education outrepasse ses fonctions ministérielles à l’égard des établissements privés d’obédience catholique sur la question sensible du mariage civil entre deux êtres du même sexe et il pratique sans réserve la discrimination.

Cette Une mordante n’est en fait que l’aboutissement d’un débat délétère où la congrégation catholique française n’a eu de cesse de ferrailler contre le gouvernement socialiste et ses projets de réforme antagonistes de la morale chrétienne sur des sujets comme l’avortement, l’euthanasie ou encore l’inscription du principe de laïcité dans la Constitution. Dans cette guerre de tranchées rhétorique, le projet gouvernemental de mariage civil pour les homosexuels (et de l’adoption) figure également dans la ligne de mire des autorités religieuses d’autant que le président François Hollande en avait fait un engagement pendant sa campagne en cas d’élection victorieuse.

Autant dire que dans ce contexte miné, le terrain relevait de l’ultra-sensible et que la mobilisation des opposants catholiques ne demandait que quelques signaux d’appel pour se faire plus consistante et déterminée que jamais. C’est précisément dans l’optique de capitaliser sur cette sensibilité exacerbée que le responsable de l’Enseignement catholique, Eric de Labarre, a adressé le 12 décembre dernier un courrier à l’ensemble des 8800 établissements qui accueillent plus de 2 millions d’élèves (1). La première mèche est allumée. Elle va faire mal !

Qu’en termes habiles, ces choses-là sont dites !

Objectif : mobiliser plus de 8000 établissements catholiques

Dans sa missive, Eric de Labarre entend partager quelques recommandations avec les directeurs des écoles privées catholiques concernant le projet de loi qui encadrerait le mariage des couples homos ainsi que l’adoption. D’emblée et sous couvert de répondre à des interrogations pouvant émaner d’élèves et/ou de parents, il leur fait néanmoins comprendre que ce texte n’est pas une simple « note interne » mais qu’il fera aussi l’objet d’un communiqué de presse. L’objectif de déclencher le débat sur la place publique est par conséquent patent même si les apparences semblent a priori mesurées.

Le ton est pondéré, se veut respectueux (2) « des personnes accueillies dans nos établissements, quelles que soient leurs histoires familiales » et affirme œuvrer dans « l’intérêt supérieur des enfants qui sont confiés à l’Enseignement Catholique ». Cependant, le message clé est astucieusement distillé pour faire comprendre entre les lignes que la Commission Permanente et le Comité nationale de l’Enseignement Catholique s’inscrivent nettement contre les initiatives législatives projetées par le gouvernement. Bien qu’il soit tourné de façon habile, un paragraphe entier appelle ainsi à la mobilisation (3) : « Chaque école, collège ou lycée peut prendre les initiatives qui lui paraissent localement les plus adaptées pour permettre à chacun l’exercice d’une liberté éclairée à l’égard des choix aujourd’hui envisagés par les pouvoirs publics ».

En d’autres termes, l’Enseignement Catholique verrait d’un œil très favorable si les établissements communiquent auprès des élèves et fassent part de la position de l’Eglise catholique à l’égard du mariage homosexuel. Autant dire que c’est une forme de blanc-seing délivré aux chefs d’établissements dans un contexte où les manifestations de diverses associations catholiques essaiment un peu partout dans l’Hexagone.

Peillon anticlérical ?

Vincent Peillon, un ministre anticlérical ?

Si aujourd’hui le ministre de l’Education nationale est volontiers dépeint par ses détracteurs comme un anticlérical, ce n’est pourtant pas la ligne de conduite adoptée par celui-ci lors de sa prise de fonction en mai 2012. Lors de la campagne présidentielle, Vincent Peillon avait même pourfendu les « intégristes » de la laïcité (4). De même, il n’entendait absolument pas réviser la loi Carle de 2009 qui régit la parité de financement entre écoles publiques et privées. Révision en revanche sans cesse réclamée par les « laïcards », associations et syndicats mêlés.

Or, c’est justement de ce camp fermement réfractaire aux établissements religieux que la polémique va enfler puisque le ministre ne bouge pas. Alors que la lettre d’Eric de Labarre est largement diffusée au sein des écoles privées (et probablement déjà dans les bureaux du ministère de tutelle sans susciter pour autant de commentaires en provenance du 110, rue de Grenelle), plusieurs syndicats d’enseignants comme l’Unsep et Sundep-Solidaires s’emparent du sujet. Le 20 décembre, ils publient un communiqué qui met la pression sur le ministre (5) pour dénoncer « ce discours de pseudo-liberté qui vise de fait à utiliser parents, élèves et personnels des établissements privés comme chair à canon des combats de l’Eglise catholique ».

Des mots soigneusement pesés mais qui sonnent véritablement comme une déclaration de guerre à l’encontre de l’Enseignement catholique soupçonné de prendre en otage des gens pour faire passer leurs convictions religieuses avant même la neutralité éducative auquel tout établissement doit s’astreindre sur les sujets d’ordre politique. Cette fois, le ministre ne peut plus esquiver le débat entre des syndicats laïques qui le pressent et des acteurs catholiques qui agissent discrètement mais efficacement pour souffler sur les braises de la polémique.

Retard à l’allumage mais maxi-réaction !

Terrain miné pour projet de loi contesté

Malgré les objurgations syndicales, le ministère ne réagit toujours pas d’un iota tandis que laïques et religieux ont déjà largement croqué dans la pomme de la discorde ! Pire, il faut attendre le 4 janvier (soit pratiquement 3 semaines après l’envoi du courrier d’Eric de Labarre et 2 semaines après le communiqué syndical) pour enfin voir Vincent Peillon se manifester. Il adresse à son tour une lettre aux recteurs où il invite (6) « à la plus grande vigilance à l’égard des conditions du débat légitime qui entoure le mariage pour tous (…) notamment dans les établissements privés sous contrat. Le caractère propre de ces établissements ne saurait leur permettre de déroger au strict respect de tous les individus et de leurs convictions ».  Un rappel à l’ordre que précise de nouveau le ministre sur RTL en déclarant qu’il ne faut pas (7) « importer dans l’école des débats qui doivent avoir lieu dans la société ».

C’est l’étincelle de trop qui précipite dès lors la crise ouverte. L’Enseignement catholique ne loupe pas le coche et enfonce aussitôt le clou (8) : « La lettre de Peillon a envenimé le climat. C’est une échauffourée grave, une maladresse du gouvernement qui témoigne d’un manque de maturité vis-à-vis des relations avec l’enseignement privé ». Et de saisir aussitôt tous les arguments pour appuyer leur démonstration. L’un d’entre eux fait particulièrement florès avec la visite de Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement dans une école publique. Elle vient à l’invitation d’un collectif contre l’homophobie pour parler des brimades dont sont victimes les ados gays. Devant les caméras de télévision, elle répond entre autres à une question sur le mariage homo. Il n’en faut pas plus pour exhiber la preuve que le gouvernement mène la chasse aux écoles catholiques.

Breloques symboliques et postures outrées

Certains rêvent de rééditer les manifestations de l’école privée en 1984

Pris dans la nasse, le gouvernement a alors bien du mal à se dépêtrer d’une controverse qui s’enflamme au grand bonheur de l’opposition politique de droite qui voit là le moyen de ressouder ses troupes. Christine Boutin du Parti démocrate chrétien, Laurent Wauquiez et Luc Chatel de l’UMP (pour ne citer qu’eux) montent unanimement au créneau et s’offusquent des coups portés envers l’enseignement catholique. L’ancien ministre de l’Education nationale déplore même que le pays n’a « pas besoin que l’on ressorte de vieux clivages » (9).

La référence à la fameuse « guerre scolaire » est notamment ressortie prestement du placard et devient illico le refrain entonné par quasiment tous les ténors de l’UMP, seul parti ayant publiquement déclaré vouloir défiler aux côtés des manifestations anti-mariage gay (même le Front National a décliné). D’aucuns rêvent même d’un scénario à la 1984 où le pouvoir socialiste avait dû sacrifier son ministre de l’Education nationale, Alain Savary (ainsi que le Premier ministre) sous la pression de la rue (1 million de manifestants) devant l’échec de la réforme de la loi Falloux, réforme qui visait à rapprocher le privé et le public.

Certaines figures de droite comme Laurent Wauquiez ont même embrayé sur le recours législatif. Le même dimanche où paraissait la Une accusatrice du Journal du Dimanche, le député UMP annonçait son intention de déposer une « motion référendaire » pour obliger le gouvernement à organiser un référendum sur le sujet. Etrange tactique au final puisqu’un sondage Ifop – Le Pèlerin (hebdomadaire catholique s’il en est) révèle quelques jours plus tard que 60% des Français (10) sont favorables au mariage homo bien qu’ils estiment que le sujet soit secondaire !

Conclusion – Le silence n’est pas toujours d’or !

Quelle issue pour se dépétrer d’une controverse débordante ?

Aujourd’hui, l’Enseignement catholique peut clairement estimer avoir réussi son opération de communication. En dépit de sondages qui indiquent une majorité d’opinions contraires à ses positions, l’organisme scolaire est parvenu à mettre en porte-à-faux le ministre de l’Education nationale. Eric de Labarre persiste et signe (11) : « Le ministre de l’Education nationale a cru bon de rappeler à l’ordre l’Enseignement catholique, qualifiant même la lettre (…) de faute. Je conteste formellement qu’il y eut la moindre faute et je n’admets même pas avoir commis une maladresse ».

En omettant de réagir aussitôt la lettre envoyée, Vincent Peillon en a en revanche commis une belle. Au point d’ouvrir une boîte de Pandore bien malgré lui où les clivages bornés de part et d’autre se réveillent pour le « bonheur » de ceux qui les agitent. Débordé par des syndicats laïques toujours prêts à en découdre dès lors que le religieux se mêle d’éducation et doublé par l’habile prosélytisme de l’association présidée par Eric de Labarre, le ministre de l’Education nationale est tombé dans une embuscade communicante d’où il sera désormais difficile de sortir indemne.

Pour n’avoir pas su (ou voulu ?) engager le dialogue dès la diffusion de la lettre (et enrayer ainsi dès le départ la polémique), le ministre a laissé le champ de l’espace public au profit des arguments défendus par les établissements privés puis des laïques les plus durs alors qu’une communication claire et immédiate sur la nécessaire neutralité du monde scolaire aurait très probablement permis de déminer le terrain mouvant où il évolue désormais. La contestation déborde maintenant le cadre thématique du mariage homo pour devenir un levier d’opposition politique. Il va être difficile de tempérer les ardeurs des uns et des autres tellement le fossé s’est creusé. L’attentisme n’est jamais conseillé lorsque la crise commence à poindre sauf à la laisser vous emporter.

Sources

(1) – « Mariage homosexuel : Wauquiez veut « forcer » le débat sur un référendum » – Le Monde – 7 janvier 2013
(2)  – Lettre d’Eric de Labarre – 12 décembre 2012
(3) – Lettre d’Eric de Labarre – 12 décembre 2012
(4) – Marie-Caroline Missir – « Peillon et les catholiques : une question plus politique qu’éducative » – L’Express – 7 janvier 2013
(5)  – Olivier Faye – « Enseignement catholique : les chefs d’établissement invités à ouvrir le débat sur le mariage homosexuel » – La Croix – 28 décembre 2012
(6) – Marie-Caroline Missir – « Peillon et les catholiques : une question plus politique qu’éducative » – L’Express – 7 janvier 2013
(7) – Ibid.
(8) – Ibid.
(9) – « Mariage homosexuel : Wauquiez veut « forcer » le débat sur un référendum » – Le Monde – 7 janvier 2013
(10) – « Sondage : Les Français pour le mariage gay » – Europe 1.fr – 8 janvier 2013
(11) – « Mariage pour tous : l’enseignement catholique conteste avoir commis une faute » – La Croix – 8 janvier 2013

Pour en savoir plus

– Lire l’instructif article d’Atlantico sur les rapports conflictuels entre catholiques et laïques – « Vincent Peillon accusé de rallumer la guerre scolaire. Mais au fait qu’est-ce que la guerre scolaire ? » – 7 janvier 2013
– Regarder en vidéo l’analyse de Sylvie Pierre-Brossolette (Le Point) et Laurent Joffrin (Le Nouvel Observateur) sur France Info – 7 janvier 2013