Election à la présidence du MEDEF : Quand le Web 2.0 s’en mêle

Fraîchement élue lauréate du Grand Prix de l’e-réputation dans la catégorie « Economie », la présidente du MEDEF, Laurence Parisot obtient un joli clin d’œil pour son activisme numérique avéré depuis plusieurs années. C’est aussi, ironie de l’histoire, par le Web 2.0 qu’une pugnace opposition décoche tweets assassins et messages de défiance à son encontre depuis qu’elle tente un passage en force pour conserver les rênes de l’organisation patronale. Le champ de bataille digital pourrait-t-il être une des clés du prochain vote des grands électeurs du MEDEF ? Revue des troupes en présence et analyse.

Depuis octobre 2012, Laurence Parisot s’ingénie à dramatiser la situation économique pour mieux justifier la nécessité de lui confier un troisième mandat à l’issue des élections qui désigneront en juillet 2013, le nouveau chef de file du MEDEF. Seul hic de taille : les statuts actuels ne prévoient pas la possibilité d’une passe de trois. En toute logique, la vice-présidente de l’Ifop devrait donc s’effacer. C’est pourtant un tout autre scénario qui est en train de s’écrire où Laurence Parisot entend faire évoluer les règles du jeu pour garder son leadership. Dans une interview donnée au Monde début mars, elle a d’ailleurs été sans ambages (1) : « J’ai l’audace de pouvoir espérer être candidate ». Effet collatéral de ce scénario en force : une intense fronde 2.0 s’est déclenchée autour de ce que d’aucuns qualifient sans rechigner de « putsch à la Poutine».

A tout seigneur, tout honneur ?

Laurence Parisot a été une « early adopter » du 2.0

Auréolée de son récent Grand Prix de l’e-réputation dans la catégorie « Economie », Laurence Parisot est loin d’être une novice dans le maniement des outils numériques. S’il est un mérite qu’on peut lui attribuer sans barguigner, c’est bien celui d’avoir compris avant bon nombre de ses congénères que les réseaux sociaux allaient bousculer la donne en termes d’écho médiatique et de réputation. Dès 2007, elle avait eu par exemple l’idée originale de convier près de 75 blogueurs à couvrir l’université d’été du MEDEF et à commenter en ligne les débats des ateliers.

L’initiative était plutôt gonflée dans un univers patronal où l’ouverture n’est pas toujours la vertu cardinale la mieux partagée. Elle s’est d’ailleurs poursuivie au gré des éditions de l’université d’été même si çà et là, des voix se sont élevées pour critiquer le profil plus ou moins aseptisé des blogueurs invités. Sur les listings, force est de reconnaître que les plus virulents n’avaient guère droit de cité. Etait-ce déjà une volonté de la présidente du MEDEF de cadenasser et canaliser un dialogue qui en aurait les apparences sans en avoir la fond ?

Toujours est-il que Laurence Parisot s’est vite appliqué la recette digitale à sa propre personne. En plus de ses interventions médiatiques aussi régulières qu’un imperturbable métronome, elle s’est dotée depuis fin 2009 d’un tryptique Web entièrement dédié à son actualité de présidente du MEDEF : un site Web, une page Facebook qui compte aujourd’hui plus de 2400 fans et un compte Twitter suivi par plus de 14 000 followers. Sur ces canaux 2.0, elle fait part de ses prises de position pour défendre le monde entrepreneurial tout en soulignant également son combat acharné pour une plus grande parité homme-femme dans la société.

En revanche, une chose saute littéralement aux yeux de l’internaute qui s’aventure sur les lieux d’expression numérique de Laurence Parisot. On n’y trouve nulle trace du bras-de-fer qu’elle a pourtant entrepris depuis octobre 2012 pour se maintenir à la tête du MEDEF. Etonnant ? Pas tant que çà pour Alexia Guggémos, dirigeante de l’agence de communication interactive Smiling People (2) : « Il est intéressant de voir que les tweets révèlent beaucoup de la personnalité de ces femmes d’influence. Ceux de Laurence Parisot sont toujours très maîtrisés quand Laurence Ferrari ou Audrey Pulvar sont beaucoup plus impulsifs ». Maîtrisé est effectivement l’épithète idoine depuis qu’un blog contestataire a décidé de faire vaciller le mythe Laurence Parisot.

Laure Pinpon allume le gyrophare

Sobre par le design, le blog ouvert en octobre 2012 l’est moins par le style très cinglant !

C’est en octobre 2012 qu’un blog anti-Parisot a fait irruption dans la blogosphère. A la manœuvre de cette entreprise séditieuse, une anonyme blogueuse (ou blogueur ?) qui s’est ironiquement baptisée Laure Pinpon en référence à la volonté de Laurence Parisot d’invoquer un état d’urgence pour briguer un troisième mandat. L’objectif affiché sur le blog est limpide (3) : « Laure Pinpon est évidemment un pseudo. Pourquoi ? Parce que, impliquée dans cette belle maison qu’est le MEDEF, j’ai voulu pouvoir commenter tranquillement dans les mois qui viennent la campagne électorale qui s’annonce. Cette période, au MEDEF, est toujours intéressante car, au-delà des egos et des volontés des uns et des autres, elle permet de mettre en valeur l’état de notre patronat en France. En résumé, dépasser les egos pour comprendre la dynamique sociologique du patronat, voici un peu l’ambition (démesurée) de ce blog ».

Si Laurence Parisot fait l’impasse à propos de ses ambitions électorales pour le MEDEF sur ses propres réseaux sociaux, Laure Pinpon n’est en revanche pas avare de commentaires. Tel un Dexter maniant sans pitié le scalpel, elle décortique avec une précision chirurgicale les déclarations et manifestes en tout genre que Laurence Parisot réserve aux seuls médias traditionnels sur son envie de candidature. Après 4 billets au dernier trimestre 2012, le rythme de publication de Laure Pinpon s’est brutalement accéléré à mesure que l’actuelle n°1 pousse ses pions. Au jour d’aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 16 billets vipérins qui étrillent joyeusement les saillies médiatiques de Laurence Parisot mais également les jeux de pouvoir qui se déroulent en coulisses au MEDEF.

En parallèle, Laure Pinpon a également débarqué sur Twitter avec un fil à l’audience pour le moment plutôt confidentielle puisque seulement 160 followers l’ont rejoint. En revanche, on note parmi eux quelques influenceurs de poids comme plusieurs journalistes économiques et des candidats déclarés à la succession de Laurence Parisot. En embuscade pour grappiller un buzz ou un tweet-clash ? Cependant, ce sont probablement les vidéos parodiques mises en ligne sur le compte YouTube de Medef Insider – lequel se décrit comme « observateur amusé des manœuvres de la présidente du Medef pour prolonger son mandat à vie » – qui ont tapé le plus fort. Celles-ci détournent des films connus comme « Kill Bill » et « La Chute » pour ridiculiser les ambitions de la patronne des patrons. En attendant, le mystère perdure autour de l’identité des trublions et des éventuels commanditaires !

Où sont les autres candidats ?

De tous les candidats opposés à L. Parisot, Geoffroy Roux de Bézieux est le plus médiatique

Le premier membre du MEDEF à s’être porté candidat est Hervé Lambel. Concomitamment à Laurence Parisot, il s’est lancé dans l’arène pour prétendre restaurer l’influence du MEDEF et la défense des entreprises. A l’instar de sa concurrente, l’homme a ouvert un blog officiel, un fil Twitter (440 abonnés) et une page Facebook où il livre ses réflexions un peu technocratiques mais assidues sur les problématiques des entreprises. Un pari pourtant guère payant puisque la grande majorité des médias omet régulièrement de citer son nom hormis un article récent du Figaro sous la plume du journaliste économique Marc Landré.

Dans cette course à l’armement numérique, un autre prétendant assumé semble déjà accumuler du retard : Jean-Claude Volot. Président de l’Agence pour la Création d’Entreprise (APCE), il vient tout juste d’ouvrir un compte Twitter. Moins de 60 aficionados l’ont déjà rejoint mais n’ont eu l’occasion de ne lire à date … qu’un seul tweet annonçant une interview de l’impétrant sur France Inter. Même Frédéric de Saint-Geours, président de la puissante fédération de la Métallurgie et candidat pressenti, parvient à mieux exister sans même avoir de relais 2.0 à sa disposition !

Pierre Gattaz est également dans la course à la succession. Néanmoins, son profil peine à émerger significativement. Bien qu’il parvienne à décrocher sporadiquement quelques tribunes médiatiques, il est cependant en retrait sur le front numérique. Uniquement nanti d’un fil Twitter ouvert depuis seulement février 2013, le président de Radiall rassemble 208 followers et tweete des formules plutôt convenues qui ne créent guère d’engagement.

Ce n’est au contraire pas le cas des deux autres aspirants à la présidence du MEDEF que sont Geoffroy Roux de Bézieux et Thibault Lanxade. Le premier jouit déjà d’une incontestable notoriété qu’il avait notamment acquise en 2007 en publiant un ouvrage poil-à-gratter intitulé « Salauds de patrons ! ». Le livre avait enregistré un joli écho médiatique qui a permis au patron d’OMEA télécom de devenir une figure reconnue et un « bon client » des médias. Il a depuis su capitaliser avec un blog « Entreprenons l’avenir » et un profil Twitter qui compte près de 700 followers. Toutefois, le ton est un peu plus assagi que ce à quoi nous avait habitué le sémillant patron qu’est Geoffroy Roux de Bézieux.

PDG d’Aqoba, le second ne s’embarrasse pas de fioritures pour se faire entendre. S’il ne dispose pas du capital médiatique de son homologue Roux de Bézieux, Thibault Lanxade n’en est pas moins actif. Son blog comme son fil Twitter (725 followers) savent quelquefois délaisser les circonvolutions verbales pour ferrailler plus vivement et en particulier à l’encontre de Laurence Parisot. Il a notamment osé ouvrir une cagnotte sur Leetchi.com pour inviter les entrepreneurs à se cotiser pour le pot de départ de la présidente et lui offrir du matériel de ski nautique pour sa retraite à Saint-Barth ! L’idée provocatrice a généré un petit buzz et a permis à Thibault Lanxade de s’immiscer dans la joute tout en ne rendant pas forcément audible les propositions qu’il défend.

Les twittos s’en mêlent

Bitter_Patron n’a pas son tweet dans sa poche, loin s’en faut !

Si les officiels ont plus ou moins pris pied sur les réseaux sociaux et Twitter en particulier, d’autres acteurs non candidats n’hésitent cependant pas à hacher menu plus souvent qu’à leur tour.

Sur Twitter, le gazouillis n’est pas toujours pavé de bonnes intentions à l’égard de Laurence Parisot même si certains autres sont aussi malmenés. Les profils hostiles ou bien alliés essaiment çà et là pour déclencher des polémiques, répliquer vertement ou couper court aux arguties des opposants.

Dans cette bataille de chiffonniers digitaux, un profil est particulièrement à la pointe du combat : @patron_bitter . Se définissant comme « observateur amusé (et amusant ?) du monde patronal » – (NDLR : sémantique très proche du slogan de Medef Insider sur YouTube. Serait-ce le même personnage ?), il a bâti depuis janvier 2013 son compte Twitter (près de 330 abonnés à ce jour) comme une scrupuleuse vigie balançant à tout va des roquettes de 140 caractères pilonnant la candidature Parisot. A cet effet, il compile et retweete tous les messages peu amènes qu’il glane sur Twitter et ailleurs tout en distillant de temps à autre quelques mots d’encouragement aux outsiders qui osent défier ou contredire l’actuelle patronne.

Ce twittos apparemment entrepreneur dans la vie civile présente également une autre spécificité : celle de croiser le fer ponctuellement avec un autre mystérieux twittos : @VictoriaDiaz100. Depuis plusieurs mois, cette inoxydable thuriféraire de Laurence Parisot tacle et matraque celles et ceux qui osent émettre des points de vue divergents et critiquer l’objectif actuel de la n°1 du MEDEF. Tel un Sapeur Camembert accro du clic, cet anonyme profil est un véritable lance-flamme oratoire aspergeant quiconque étant un adversaire de messages brut de fonderie, parfois à la limite de la vulgarité. Il n’empêche que la recette plaît puisqu’elle rassemble 1000 abonnés qui se repaissent de ses formules fleuries.

Conclusion – Et maintenant, on continue le vaudeville ?

Au final, l’image de L. Parisot en pâtit mais celle du MEDEF aussi (Dessin Morchoisne)

A ceux qui s’extasient régulièrement d’un avènement imminent de la démocratie participative que seul le 2.0 est capable d’engendrer, le piteux théâtre de boulevard auquel se livre le MEDEF par réseaux sociaux interposés a plutôt de quoi refroidir les esprits les plus primesautiers. A quoi finalement assiste-t-on dans ce déluge de peaux de bananes et noms d’oiseaux sinon qu’un pugilat d’une vacuité assourdissante ?

D’un côté, on trouve une Laurence Parisot drapée dans sa superbe et à la manœuvre pour parvenir à faire modifier les statuts qui lui permettront de solliciter un troisième mandat. Tant dans les médias traditionnels que sur ses propres canaux digitaux, Laurence Parisot n’est jamais dans la conversation mais plutôt dans l’évitement de trop de questions embarrassantes sur cette histoire de statuts et dans les discours dilatoires sur la situation économique. On l’aimerait pourtant un peu plus prolixe sur cette façon de tailler les règlements à sa mesure !

Cette stratégie de communication fait d’ailleurs tousser Christophe Ginisty, expert en communication politique et digitale (4) : « En tentant de parler d’autre chose que de sa propre réélection et focaliser toute l’attention sur l’acte d’être candidate, elle a réussi à enrober cette manœuvre d’un velours dont les médias semblent se satisfaire jusqu’à présent. Très peu sont en effet les journalistes qui y trouvent à redire au nom des principes démocratiques chers à notre idéal républicain (…) Sans doute aussi que sa féminité lui a permis de présenter les choses à son avantage. Dans un monde d’hommes — celui des chefs d’entreprises —, elle rejoue le couplet de la petite bonne-femme presque sans défense qui veut seulement s’exprimer au milieu de tous ces machos sans vergogne. On en oublierait presque que c’est une redoutable guerrière ».

Dans le camp d’en face et malgré les cris d’orfraie, la dialectique numérique n’est guère plus brillante ou élaborée. Entre les pastiches certes marrants, les petites phrases assassines de certains ou alors le jargon techno et hermétique d’autres, les attaques ont plus l’allure de fléchettes naïves qui n’élèvent guère le débat  et n’évoquent guère les enjeux cruciaux que le MEDEF doit relever avec le renouvellement programmé de sa présidence. Déjà largué lors de la jacquerie digitale des Pigeons en septembre 2012, le MEDEF donne maintenant dans la pochade 2.0. De quoi désespérer les entrepreneurs qui attendent autre chose que des bagarres dignes de cour de récré de classe élémentaire. Il serait peut-être temps d’écouter le cri d’alarme lancé récemment par l’un des candidats, Pierre Gattaz (5) : « C’est une situation de vaudeville, c’est du Feydeau. Ce brouhaha médiatique, ce n’est pas sain pour notre organisation. Il faut impérativement que le comité statutaire exprime sa décision très rapidement puis qu’on entame derrière un vrai processus démocratique ». Qui osera tweeter cette voie pleine de bon sens ?

Sources

(1) – Jean-Baptiste Chastand, Claire Guélaud et Michel Noblecourt – « J’ai l’audace de pouvoir espérer être candidate » – Le Monde – 1er mars 2013
(2) – « Exclu Metro : les femmes les plus influentes sur le Web » – Metrofrance.com – 8 mars 2013
(3) – Blog de Laure Pinpon MEDEF
(4) – Christophe Ginisty – « Stratégie perfide pour un putsch de velours » – Ginisty.com – 6 mars 2013
(5) – Astrid Gouzil – « Pierre Gattaz appelle à sortir du vaudeville » – Usine Nouvelle – 28 février 2013



3 commentaires sur “Election à la présidence du MEDEF : Quand le Web 2.0 s’en mêle

  1. Jean Dupont  - 

    Quand on voit que les amis de Madame Parisot font ce qu’ils veulent en échange de leurs signatures au Conseil Executif pour modifier les statuts !!! Allez voir dans le 93 vous comprendrez comment on écarte la démocratie ,,!!

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