Journalisme & Armée : L’équation communicante impossible ?

L’intervention armée française au Mali a remis au goût du jour l’antienne récurrente qui ponctue les rapports compliqués entre les militaires et les journalismes. Chacun suspecte l’autre de l’entraver dans ses missions sans vraiment parvenir à placer le juste curseur entre ce qui doit être impérativement su de l’opinion publique et ce qui doit strictement relever du confidentiel défense. Analyse d’un communicant qui a aussi été journaliste !

S’il fallait résumer d’une phrase les relations qu’entretiennent journalistes et soldats lors d’un conflit, celle-ci pourrait ressembler à une formule à la Michel Audiard du style « Les baveux et la Grande Muette » tant les premiers veulent raconter ce que les seconds s’obstinent à tenir secret pour motif de guerre. Le déclenchement de l’opération Serval pour la reconquête du territoire Nord du Mali le 10 janvier n’a pas manqué d’emprunter à nouveau au registre des chiens de faïence. Pendant longtemps, les journalistes ont été confinés dans les bases urbaines de Bamako à l’écart des premières manœuvres offensives qu’effectuaient les soldats français, maliens et tchadiens sur le terrain occupé par les djihadistes terroristes. Est-il pourtant possible d’envisager le travail de la presse et celui d’une armée sans que l’un ne mette en péril l’autre ?

 Objectif zéro image

Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major des armées, est inflexible à l’égard de la ligne de conduite de communication de l’armée

Dès le début des hostilités, les reporters avides d’images fortes en ont été pour leurs frais. Ils se sont heurtés d’emblée sur le cadenas médiatique verrouillé à triple tour par l’armée française. Dans une récente interview donnée au magazine professionnel Stratégies, Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major des armées, est d’ailleurs inflexible à l’égard de la ligne de conduite de communication a minima adoptée par les militaires (1) : « Nous gérons la communication opérationnelle. Elle a pour impératif qu’aucune information ne puisse nuire au succès des opérations et in fine à la sécurité des soldats français ». C’est ainsi que pendant plusieurs semaines, aucun média ni français, ni étranger ne parvient à obtenir un sésame pour couvrir les opérations en cours sur le terrain.

Les journalistes témoignent vite de ce blocus étanche imposé à leur corporation comme Sylvain Lequesne, grand reporter à France 3 (2) : « L’armée française a dépêché des officiers de presse sur place mais ils sont injoignables. Ils nous disent que ne pas communiquer, c’est déjà communiquer ». Un agacement patent partagé par son confrère Pierre Grange, grand reporter pour TF1 (3) : « Les autorités ont peur que nos informations servent à l’ennemi. On nous refile donc très peu de tuyaux ». De fait, les journalistes doivent se contenter de miettes.

Certaines proviennent de l’Ecpad (Etablissement de communication et de production audivisuelle de la Défense) dont plusieurs caméramans sont embarqués au quotidien avec les troupes. Ceux-ci réalisent quantité d’images des actions effectuées dans les villages et les massifs désertiques mais également des frappes aériennes et des combats entre soldats et rebelles djihadistes. Au total, ils disposent actuellement de 91 sujets vidéos d’une à 3 minutes et de 400 clichés (4). Une mine d’or journalistique pourtant filtrée et égrenée au minutieux compte-gouttes des militaires. Il faudra attendre le 24 janvier pour qu’enfin sortent les premières prises de vue siglées Ecpad et diffusées ensuite sur les chaînes de télévision mais sans infos additionnelles comme le lieu, la date et la cible.

Entre embargo  …

Embargo à tous niveaux !

Devant cette étanchéité ultra-calibrée, certains journalistes se sont alors repliés sur les opérations logistiques et de débarquement du matériel et des troupes à Bamako en n’évitant d’ailleurs pas toujours une proximité verbale un peu trop enthousiaste et ostentatoire. D’autres ont préféré pérorer doctement sur les stratégies militaires et les performances du matériel engagé à défaut de pouvoir illustrer avec des images issues du quotidien des bataillons engagés. Quelques-uns ne désarment pas et persistent à solliciter des accréditations pour pénétrer dans les zones rebelles où se déroule la véritable action. Peine perdue comme en témoigne Lucas Menget, rédacteur en chef d’i>Télés (5) : « Etre français ne nous aide en rien, toutes nos demandes pour monter au front sont restées lettre morte ».

Progressivement et devant le mécontentement grandissant des reporters sevrés de faits réels et vécus, l’armée va alors desserrer l’étau médiatique en acceptant d’intégrer des équipes de journalistes avec des unités en route vers le Nord du Mali. Néanmoins, le deal est clair. Les journalistes ne sont pas transportés sur les zones d’affrontement. La plupart du temps, ils demeurent en arrière et doivent se satisfaire avec des interviews de soldats en soutien et des rencontres avec les habitants des villages ayant été pris à l’ennemi. En langage militaire, ils deviennent alors « embedded » !

… & « embedded » !

Embedded, une manière de contrôler les médias ?

La technique de l’ « embedded journalism » qu’on peut traduire littéralement par « journalisme embarqué », est d’une redoutable efficacité. C’est le service de presse de l’armée américaine qui l’a inventé lors de l’intervention militaire en Irak en 2003. Sous couvert d’assurer sa sécurité physique, l’idée consiste à intégrer un journaliste dans un bataillon lors de leurs missions.

Au fil du temps, le journaliste se retrouve en immersion totale et finit inconsciemment par épouser le point de vue et les émotions de ceux qu’il côtoie au quotidien. Une astuce qui a d’ailleurs permis à l’administration Bush d’occulter pendant un certain temps, la réalité du désastre irakien grandissant face à l’opinion américaine.

Faute de mieux, beaucoup de médias ont accepté la stratégie de communication de l’armée française. A ce jour, les militaires ont d’ailleurs embarqué près de 400 journalistes provenant de 180 médias différents (6). Un score flatteur en termes d’activités mais source inéluctable de divergence et d’énervement du côté de la presse qui accepte de moins en moins d’être ainsi jugulée dans son travail. Jean-Louis Le Touzet, envoyé spécial du quotidien Libération, ne mâche pas ses mots pour qualifier les relations avec les hommes en uniforme (7) : « La communication de l’armée est totalement infantilisante. Ils nous proposent des activités (suivre des convois logistiques, des actions de soutien aux populations locales…ndlr) comme si nous étions des enfants hyperactifs qu’il faut absolument occuper ».

Et à ceux qui s’aventureraient malgré tout à désobéir et/ou contourner les sas de contingentement mis en place par l’armée, c’est alors le CSA (Conseil Supérieure de l’Audiovisuel), l’autorité de tutelle des médias qui fait irruption. Suite à un reportage de l’émission Envoyé Spécial montrant des cadavres de rebelles et de personnes probablement torturées et assassinées, le CSA s’est alors fendu d’un rappel à l’ordre pour modérer le contenu des reportages. Une prise de position modérément goûtée par Christophe Deloire, directeur général de Reporters Sans Frontières (8) : « Il est aberrant de ne montrer de la guerre que des couchers de soleil sur des chars rutilants. Le CSA est entré dans cette logique alors qu’il doit défendre la liberté des médias ».

Plus vous interdisez, moins vous maîtrisez

Interdire l’information à tout prix, la solution ?

Cette obsession du contrôle et du tamisage des informations véhiculées par les médias a probablement été excessive de la part de l’armée. Les communicants expérimentés savent pertinemment qu’imposer un blindage absolu dans les relations avec la presse présente un fort risque d’aboutir à une impasse et/ou un dérapage médiatique aux impacts souvent plus gênants et difficiles à maîtriser. Or, face à des journalistes occupant en masse le terrain mais interdits de toute image forte, il était fort à parier qu’un événement impromptu et monté en épingle allait éclater puisqu’il était impossible de relater le cours des opérations militaires.

Thierry Burkhard tente pourtant de défendre la position de l’armée (9) : « Quand 150 journalistes débarquent à Bamako, je n’ai aucune possibilité de tous les satisfaire: ils veulent tous être dans le VAB de tête, et si possible tout seul, sans autre journaliste. Mais quand je mets un journaliste, j’enlève un soldat! D’autant qu’ils veulent tous des images de combat (…). Les médias ont donc cherché à faire des images qui n’existaient pas ou à voir des combats qui n’ont pas réellement eu lieu. Ils en ont déduit qu’on leur cachait les combats ».

Or, c’est précisément ce rationnement drastique d’images marquantes qui a débouché sur la controverse médiatique du légionnaire français masqué. Fin janvier, l’homme est pris en photo par des photographes de l’AFP avec une posture martiale et particulièrement glaçante. Il porte en effet un masque macabre de tête de mort digne des jeux de guerre vidéo les plus violents. Le cliché embrase aussitôt les réseaux sociaux qui s’offusquent avec virulence de l’irrespect et l’agressivité dont fait preuve à leurs yeux ce soldat. En attendant, la photo circule partout et dans tous les médias jusqu’à même faire la couverture du magazine américain Newsweek !

Gêné, l’état-major des armées s’empresse illico de condamner l’attitude du militaire français lors d’un point presse où les journalistes sont enfin ravis de pouvoir récupérer une histoire qui sort de l’ordinaire lénifiant dans lequel ils sont maintenus depuis le début de l’opération Serval. Thierry Burkhard choisit immédiatement de prendre ses distances (10) : « Cette image n’est pas représentative de l’action que conduit la France au Mali à la demande de l’Etat malien et de celle que mènent ses soldats, souvent au péril de leur vie ». Et de promettre des sanctions exemplaires pour celui qui a mélangé jeu vidéo et guerre réelle !

La donne communicante a changé

Les réseaux sociaux bouleversent la donne communicante

Expert en communication stratégique et guerre informationnelle, David Millian estime que l’armée française et le ministère de la Défense ont pêché par excès de réaction. A force de vouloir tout verrouiller, ils ont perdu de vue que la communication ne se décrète pas dans un sens unique mais s’ajuste au fur et à mesure. Son analyse a effectivement de quoi interpeler (11) : « Je trouve que la réponse du Mindef a été dictée par la peur plus qu’autre chose. Et au lieu de simplement dire que ce n’était pas un sujet important ou que ce n’était peut-être pas approprié, mais sans plus (…) C’est avec ce genre de réflexe de communication que l’on se fait pousser à la faute. Faute qui finira par être exploitée par l’ennemi. Car ce dernier ne se prive pas d’infiltrer les forums, pages Facebook et commentaires de sites d’information depuis le début du conflit. Il sait comment marche Twitter, la propagande et il l’a bien rappelé lors de l’échec du sauvetage de la DGSE en Somalie ».

A trop se focaliser sur les journalistes et leurs potentielles dérives, la communication de l’armée s’est en partie fourvoyée. Certes, Thierry Burkhard a raison d’insister sur certains fondamentaux non-négociables qui pourraient nuire aux objectifs poursuivis (12) : « Il s’agit également de faire en sorte que l’ennemi ne comprenne pas ce qu’il va se passer à cause de ce que pourrait dire un média (…) Les journalistes ne sont pas malintentionnés, mais ils ne se rendent pas toujours compte de ce qu’ils transmettent vers l’extérieur ». Sur ce point, les journalistes doivent en effet être vigilants et jouer un jeu responsable plutôt que le scoop à tout prix.

En revanche et avec l’avènement des réseaux sociaux, la communication militaire doit opérer sur de nouveaux théâtres où les enjeux ne sont pas moindres, en particulier à l’égard de l’opinion publique. Le porte-parole des armées semble conscient du risque (13) : « Une opinion publique qui ne comprend pas ce qu’on fait ne peut pas soutenir l’opération. Elle peut même se laisser manipuler par une communication adverse ». Mais paradoxalement, la réaction de la Défense vis-à-vis du masque mortifère du légionnaire révèle l’inverse. Sans pour autant cautionner la maladresse évidente du soldat, le discours de l’armée aurait pu être plus musclé et ne pas embrayer aveuglément dans un mea culpa décalé.

C’est aussi l’avis de David Millian (14) : « Tout est question de posture. Imaginez que le porte-parole eut fait une réponse du genre : “Au moins les terroristes n’ont aucune illusion à se faire quant à la détermination de nos gars”. Oui, je sais, c’est un peu “à l’américaine” (…) Mais admettons que cela a quand même plus de gueule que “nos troupes de choc n’ont pas le dress code approprié, on est désolé ».

Mais d’où vient cette défiance envers les journalistes ?

Dialogue difficile entre reporters et soldats

Il est évident que la mission d’information du journaliste peut constituer ponctuellement un handicap pour une unité militaire impliquée dans une mission délicate où chaque détail compte et peut faire capoter l’atteinte d’un objectif. Pourtant, les relations entre médias et armées n’ont pas toujours été empreintes de suspicion frénétique contrairement à ce que certains préjugés peuvent entretenir.  Aimé-Jules Bizimana travaille au département des sciences sociales de l’Université de Québec. En 2006, il a notamment étudié l’évolution des rapports entre uniformes et reporters aux USA au fil des siècles et des guerres modernes où la presse est devenue partie intégrante du terrain des opérations.

Dans un dossier passionnant pour Les Cahiers du Journalisme, il relève notamment qu’en plusieurs circonstances, journalistes et militaires ont trouvé leurs marques (ce qui n’a pas toujours exclu pour autant des cas flagrants de censure !). Selon lui, le point de bascule où les deux ont commencé à diverger, a été la guerre du Vietnam. Couvert en toute liberté au début, le conflit est devenu insupportable au sein de l’opinion à mesure qu’il s’enlisait dans l’horreur et l’absurde que montraient les médias américains et étrangers.

Après le Vietnam, Aimé-Jules Bizimana écrit (15) : « L’étau se resserre sur les conditions d’exercice du métier de correspondant de guerre. Plus jamais les journalistes ne débarquent dans une zone de guerre sans contrôle ou menace militaires. Le libre accès des médias sur un champ de bataille appartient dorénavant au rêve d’un journalisme de guerre autonome. Le système de pool devient le paradigme dominant de la couverture journalistique entre la guerre du Vietnam et la guerre en Irak ». Aujourd’hui encore, prévaut cette philosophie d’airain.

Conclusion – Ne pas se tromper d’ennemi

Ne pas se tromper d’enjeu en termes de communication (photo AFP)

Cette dichotomie presse-armée perdure. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à l’actuel conflit juridique qui oppose actuellement le journaliste et ex-otage en Afghanistan, Hervé Ghesquiere et l’officier de presse traitant à l’époque Jackie Fouquereau. Le second se défend du premier d’avoir « intoxiqué » sa hiérarchie militaire et politique en disant qu’il avait pourtant averti les journalistes du danger à se rendre seuls dans la vallée de la Kapisa. Ce à quoi répond le journaliste (16) : « Non seulement l’armée ne nous a pas interdit d’y aller, mais il était convenu avec elle que nous prendrions un jour de liberté pour nous rendre sur cet axe. Mon analyse c’est que l’armée a commencé par vouloir se couvrir pour ne pas montrer qu’elle ne contrôlait pas le terrain. Ni l’armée française, ni aucune autre de la coalition d’ailleurs ». Ce ping-pong verbal est caractéristique de la défiance existante.

En dépit de l’accroissement continu de la pression médiatique et de l’exigence accrue du corps sociétal d’être clairement informé, les armées ont pourtant toujours tendance à se recroqueviller dans l’hypercontrôle de la communication. Si cette posture a pu fonctionner jusqu’à encore récemment, elle est de plus en plus vouée à s’effriter. D’abord avec les journalistes toujours moins enclins à se laisser dicter leur conduite surtout si tout est mis en œuvre pour systématiquement leur barrer la route. Sans doute faudrait-il intensifier des formations comme celle dispensée par le Centre national d’entraînement commando dans les Pyrénées-Orientales. Celui-ci a accueilli plus de 300 journalistes français et européens (17) pour les sensibiliser aux contingences d’un champ de bataille et s’efforcer de « réconcilier » deux univers souvent contradictoires.

Si ce nécessaire resserrement des liens (qui ne veut pas dire a contrario consanguinité) est souhaitable, il n’en demeure pas moins que l’exercice de la communication en temps de conflit doit inciter à la responsabilisation de chacun (militaires comme journalistes) et au pragmatisme. Les ennemis combattus sont désormais de plus en plus rodés à la communication, aux réseaux sociaux et autres techniques pour conquérir le soutien des publics, voire de certains médias. A bétonner médiatiquement comme l’armée s’y livre encore un peu trop facilement, cette dernière risque surtout d’alimenter de la suspicion qui profitera in fine aux adversaires combattus.

S’il ne s’agit évidemment pas de tout révéler aux caméras, il conviendrait en revanche d’expliquer plus ouvertement le rôle de l’armée lors d’opérations. Les journalistes ne sont pas forcément des adversaires mais à la condition qu’on leur dise franchement les choses, y compris qu’on ne peut dire pour cause de secret défense. N’oublions pas qu’aujourd’hui, des myriades de blogs commentent aussi les actions des armées. L’écosystème médiatique et social ne peut plus se contenter d’une « Grande Muette » patinant les événements selon son unique prisme. C’est certes un challenge complexe pour la communication militaire mais qu’il faudra relever autrement qu’à coups de blocus.

Sources

(1) – Amaury de Rochegonde – « Ils veulent tous des images de combats » – Stratégies – 14 mars 2013
(2) – Lucas Armati, Aude Dassonville, Richard Senejoux et Olivier Tesquet – « Guerre au Mali : Comment s’en tirent les médias français ? » – Télérama – 24 janvier 2013
(3) – Ibid.
(4) – Amaury de Rochegonde – « La drôle de guerre sans images » – Stratégies – 14 mars 2013
(5) – Lucas Armati, Aude Dassonville, Richard Senejoux et Olivier Tesquet – « Guerre au Mali : Comment s’en tirent les médias français ? » – Télérama – 24 janvier 2013
(6) – Amaury de Rochegonde – « La drôle de guerre sans images » – Stratégies – 14 mars 2013
(7) – « L’armée française plus muette que jamais face aux journalistes au Mali » – La Charente Libre – 1er mars 2013
(8) – Amaury de Rochegonde – « La drôle de guerre sans images » – Stratégies – 14 mars 2013
(9) – Amaury de Rochegonde – « Ils veulent tous des images de combats » – Stratégies – 14 mars 2013
(10)  – « Mali : l’état-major des armées juge cette photo inacceptable » – Le Parisien – 21 janvier 2013
(11)  – David Millian – « Le légionnaire et son masque : la Défense se tire une balle dans le pied » – Comfluences – 22 janvier 2013
(12) – Amaury de Rochegonde – « Ils veulent tous des images de combats » – Stratégies – 14 mars 2013
(13) – Ibid.
(14)  – David Millian – « Le légionnaire et son masque : la Défense se tire une balle dans le pied » – Comfluences – 22 janvier 2013
(15)  – Jules-Aimé Bizimana – « Les relations militaires-journalistes : évolution du contexte américain » – Cahiers du Journalisme n°16 – Automne 2006
(16)  – « Rencontre avec Hervé Ghesquière » – La Plume d’Aliocha – 21 novembre 2011
(17)  – « Journaliste en zone de conflit : s’entraîner avec l’armée française » – Reporters Sans Frontières – 19 février 2010



4 commentaires sur “Journalisme & Armée : L’équation communicante impossible ?

  1. Anonyme  - 

    Bonjour,

    N’ayant d’autre but que de pouvoir partager avec vous quelques premières réflexions strictement personnelles, vous me permettrez, j’espère, de recourir à l’anonymat : ma proximité avec le domaine que vous décrivez fait que je ne souhaite pas donner le sentiment d’écrire au nom d’une quelconque organisation ou profession.

    Suivant depuis longtemps avec un très grand intérêt ce que vous publiez, merci une fois de plus pour vos analyses particulièrement stimulantes. Il se trouve que le sujet présent me concerne tout particulièrement. Ayant été absent ces derniers temps, je réagis hélas tardivement et « à chaud », mais je souhaite vous apporter quelques éléments supplémentaires de réflexion.

    Le premier point concerne l’absence, dans votre article, de toute mention du rôle du politique. Le porte-parole des armées n’agit pas en toute indépendance, mais il s’inscrit dans une ligne de communication définie par le gouvernement. C’est normal, légal et légitime, mais il serait intéressant de réfléchir également à la stratégie poursuivie par le pouvoir, en dehors du souci militaire de protection des opérations.

    Le second point a trait aux objectifs en apparence contradictoires entre journalistes et militaires. Beaucoup a déjà été dit et écrit sur le sujet, depuis longtemps. Ce que j’ai pu constater en d’autres temps et lieux, c’est qu’il est presque toujours possible d’arriver à un compromis satisfaisant pour les deux parties, à condition qu’elles aient une connaissance préalable du domaine de l’autre.

    Pour faire simple, rien de pire pour un militaire que d’avoir à faire à un journaliste qui débarque subitement sur une opération en n’ayant pas ou peu d’expérience de la chose militaire, ni parfois même du pays concerné. Le tout sous pression de rédactions en France, qui ont pré-défini une ligne de conduite, avec un point de vue métropolitain parfois largement erroné sur la réalité des choses. La tendance alors est de se raccrocher aux pratiques habituelles du fait divers (on couvre une opération comme on couvrirait la perte du chat de la mère Michel à Bouzy-le-Têtu), voire d’arriver avec en tête de bons vieux clichés (de toute façon, la grande muette ne peut que nous mentir et nous cacher des choses).
    Il y a également un décalage de plus en plus flagrant avec une société hédoniste et individualiste, qui jouit de la paix sur son territoire depuis plus de 50 ans, qui refuse de plus en plus l’idée même de mort, qui ne jure que par le principe de précaution, ce qui ne facilite pas les choses, pour les deux protagonistes.

    Je ne blâme pas ces journalistes, je décris des réalités. De leur côté, les militaires doivent aussi faire de très gros efforts de pédagogie, mais le temps manque parfois sur le terrain. Donc ces efforts doivent être réalisés en amont, autant que faire se peut… On en revient à l’idée de réputation. Encore faut-il qu’elle ne repose pas sur des malentendus dont tout le monde se satisfait quand tout va bien, mais bien sur de solides fondements.
    Finalement, sur cet aspect et dans l’absolu, l’institution militaire fait face à peu près aux mêmes difficultés que bien d’autres organisations ou professions. Reste que le contexte marque une différence non négligeable.

    Le dernier point concerne les réseaux sociaux. Je reste extrêmement circonspect par rapport au discours ambiant du « tout réseaux sociaux » et de la révolution qu’ils apporteraient. Je n’en mésestime pas l’importance et votre excellent blog est souvent là pour nous le démontrer. Mais, si je m’en tiens à l’histoire des médias (cf. l’excellent livre de Jean-Noël Jeanneney, même s’il date du millénaire dernier), aucun medium n’a jusqu’à présent totalement supplanté ses prédécesseurs. Les armées en ont en tout cas pris la mesure, même s’il leur reste encore certainement d’immenses progrès à faire en la matière…

    Désolé d’avoir été si long, mais le sujet me passionne : il y aurait d’ailleurs encore bien plus à dire.

    Je vous invite également à jeter un œil sur le post de Pierre Bayle : http://pierrebayle.typepad.com/pensees_sur_la_planete/2013/02/la-guerre-d-un-seul-cote.html

    Pour finir sur une pointe ludique, connaissez-vous l’origine de l’expression la « grande muette » ? En fait, ce n’est pas à cause de leur souci supposé maladif du secret et du silence, mais parce que les militaires français ont été les derniers à obtenir le droit de vote, en 1945, un peu plus d’un an après les femmes… Si vous ne le saviez pas, rassurez-vous : la plupart des journalistes utilisant ce commode raccourci l’ignorent également !

    Bien cordialement

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour

      Tout d’abord je souhaite vous remercier chaleureusement pour ce très long et passionnant commentaire qui provient de surcroît de quelqu’un du terrain. Cela n’en a que plus de pertinence. Sincèrement merci car c’est un plaisir que de pouvoir susciter via un billet de telles réactions intéressantes et très complémentaires par rapport au post publié.

      Sur le point 1 du politique, je suis d’accord avec vous. J’ai omis l’aspect du politique qui n’est effectivement pas neutre. Loin de là oserai-je même dire ! Il conditionne en effet les décisions que les militaires vont devoir appliquer et cherche à orienter les médias pour obtenir en retour une forme de caution médiatique. Ce ppoint est totalement clé et j’abonde pleinement en votre sens.

      Dans mon billet, j’ai voulu me focaliser plus sur la relation militaire/journaliste sinon je crois que j’explosais le nombre de lignes de mon article si j’ajoutais la dimension politique ! Mais je prends bien note de cette remarque intelligente et ne manquerai pas d’y revenir dans un autre billet à l’avenir.

      Sur le point 2, je ne peux également qu’approuver vos remarques. Comme vous, je partage cette nécessité que les journalistes connaissent mieux leurs interlocuteurs plutôt que de débarquer à l’improviste avec des idées préconcues et parfois une ligne imposée par une rédaction en chef loin du terrain et plus soucieuse d’audimat que de décryptage intelligent. A contrario, les militaires ont également besoin de mieux comprendre le métier de journaliste. J’ai vécu en entreprise cette même crainte, réticence et préjugés de la part de dirigeants qui du coup se braquaient dans la langue de bois et le charabia calibré. Etablir des ponts entre les deux professions est nécessaire et n’implique pas pour autant de « copiner » honteusement mais simplement de mieux appréhender la réalité plus complexe de l’autre.

      Sur le point 3, là encore, je vous rejoins. Autant je passe beaucoup de temps sur mon blog à expliquer l’importance incontournable de ceux-ci dans le nouvel écosystème médiatique actuel, autant je ne leur prête pas non plus une influence exagérée qui de surcroît viendrait remplacer les médias traditionnels. Les médias sociaux modifient la donne, accroissent l’exigence de compréhension mais les médias classiques ont précisément un rôle majeur à exercer en étant des « vérificateurs » de faits, des « contextualisateurs » et des « décrypteurs » tant circule une masse d’infos plus ou moins valides !

      Enfin merci pour la lecture de Pierre Bayle et l’explication de la Grande Muette que j’ignorais également ! Merci à nouveau pour votre fidélité de lecteur !

      Olivier

  2. Antoine Cheret  - 

    Grand écart vertigineux entre confidentialité des opérations et séduction de l’opération publique. L’interview de Burkhard dans Stratégies était fascinante, entre rigidité et franchise. Mais ce qui questionne presque plus, c’est le rôle des journalistes : comment faire leur métier dans ces conditions ? Faut-il nécessairement aller au front ? Ne faut-il pas multiplier les angles pour raconter autrement un conflit, cf. le reportage de RFI qui en dit long aussi sur l’instrumentalisation de l’information par l’armée. http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/mali-redaction-sevare-journaliste-guerre
    Bravo pour ce billet bien documenté !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Antoine pour ces précisions intéressantes !
      Je ne sais effectivement pas s’il existe une solution véritable pour résoudre ce grand écart permanent entre exigence militaire et exigence journalistique sans que l’une ne s’accomplisse trop au détriment de l’autre. Les uns comme les autres doivent se parler et essayer de mieux se comprendre mais les tentatives de manipulation des militaires et les scoops à tout prix des journalistes sont deux pièges à constamment surveiller !

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