Armand de Rendinger : « La communication est l’élément déterminant pour obtenir les JO 2024 à Paris »
A une large majorité, le Conseil de Paris a approuvé le 13 avril l’engagement de Paris dans une candidature pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. En attendant que le Comité International Olympique tranche à l’été 2017, la compétition pour la désignation de la ville hôte est lancée. Au-delà des débats financiers et techniques, le dossier parisien va également devoir mettre en action une stratégie de communication plus impactante si elle veut gagner des points pour s’assurer du soutien populaire national et de la préférence des membres du CIO.
Consultant international dans le domaine du sport olympique et auteur du récent ouvrage « La tentation olympique française », Armand de Rendinger a participé de près à plusieurs candidatures de villes pour l’organisation des Jeux Olympiques. L’expert des cinq anneaux olympiques en est convaincu. L’obtention des JO 2024 à Paris passe obligatoirement par une stratégie de communication puissante, coordonnée et volontariste. Interview
Le 13 avril 2015 le Conseil de Paris a voté à la quasi-unanimité son soutien pour une candidature à l’organisation de Jeux Olympiques à Paris en 2024. Que vous inspire ce vote ?
Armand de Rendinger : Enfin ! Ce qui n’était plus un secret pour personne, la Maire de Paris, Anne Hidalgo, a pu officialiser cette candidature. Cette décision clôt une première séquence politique de décision, bien longue au vu du mouvement olympique qui avait fait son « job » en remettant un dossier de faisabilité et d’opportunité le 12 février dernier. Cette longueur peut se comprendre quand on connaît les réticences maintes fois exprimées par la Maire sur le dossier des JO, pour ne pas dire son opposition, comme elle le fit savoir à New York en mai 2014. Le 23 mars dernier au journal Le Parisien, ne déclarait-elle pas qu’elle était favorable à une candidature et à l’organisation des JO, dans la mesure où celles-ci respectaient 3 exigences : l’éthique, un modèle économique non pénalisant pour le contribuable parisien, une empreinte écologique (dernière exigence incluant le respect des libertés démocratiques, si chères à la France) ? Il semblerait donc que ces exigences ont été levées ces dernières semaines.
Maintenant il ne s’agit plus de ratiociner sur le passé, mais aller de l’avant, en espérant que la communauté internationale ne nous tienne pas rigueur de cette lenteur qui pourrait s’apparenter pour certains à la conséquence de petits calculs politiques et pour d’autres à une sérieuse interrogation de la France quant à l’utilité des JO pour un pays et à la valeur éthique qu’ils véhiculent. Rapidement l’avenir répondra à cette espérance, tant, comme je l’ai toujours répété, la France, qui n’est pas n’importe quel pays dans le concert olympique, est tout particulièrement attendue et scrutée notamment par les décideurs du CIO. Chaque fait, qu’il soit sportif, politique, économique, social ou moral… chaque posture et déclaration relatives aux éléments touchant à l’olympisme font et feront l’objet d’analyses et de jugements de valeur. Sans se donner plus d’importance que nous ne le méritons, il est certain que la concurrence se chargera de les rappeler au CIO si nécessaire.
Qu’entendez-vous par posture ? En vous entendant commenter dans les médias la fin de cette première phase politique, vous semblez parfois considérer que les éléments de communication priment sur les éléments techniques et financiers dans un projet de candidature. Est-ce vraiment le cas ?
Armand de Rendinger : Pour être clair sur la question relative à la posture, il est des plus contre-productifs de donner cette impression de vouloir en permanence mener un débat sur le bien-fondé des JO, quand on est la France et ce qui plus est, après 5 échecs. Il est patent et évident que le Comité National Olympique Sportif et Français aurait dû depuis longtemps communiquer et faire œuvre de promotion et d’éducation auprès de la population sur la question des JO et de l’olympisme. Ne tirant qu’une partie et bien tardivement quelques enseignements des erreurs passées et n’ayant sans doute pas l’autorité et la crédibilité suffisantes pour le faire, le CNOSF a mis les promoteurs du projet des JO dans une situation paradoxale aujourd’hui. Alors que la France est candidate, les promoteurs du projet sont dans l’obligation de convaincre les décideurs du CIO et en même temps d’entrer dans une campagne d’explication auprès de la population, avant même de les mobiliser.
Pour le passionné que je suis des JO et qui ne rêve que d’une chose – voir un jour les JO en France -, je trouve cette situation frustrante et particulièrement pénalisante que la France s’interroge ainsi et encore sur leur utilité. Je suis certain que nombre de membres du CIO s’étonnent que la France, sorte de « fille ainée » de l’Olympisme soit encore à ce stade de réflexion. La situation devient même encore plus surréaliste quand ce sont des politiques qui expliquent pourquoi les JO seraient utiles pour un pays, en lieu et place des responsables du mouvement olympique.
La communication est donc, oui je vous le confirme, l’élément déterminant pour la stratégie des JO à Paris. Le dossier technique est incontournable. Cependant chaque pays candidat a la capacité de présenter des dossiers dont les différences seront marginales. Sur les questions budgétaires, si importantes et à juste titre pour les politiques, ne nous trompons pas de combat et soyons réalistes et transparents. La plupart des chiffres budgétaires annoncés sont contestables, contestés et incomplets. Classique. Avons-nous par exemple une idée de ce que sera le coût de la sécurité en 2024 et durant toute la phase de préparation des JO, si Paris les obtient officiellement en 2017 ? Dire que les JO ne coûteront rien aux contribuables est autant une hérésie de communication qu’une contre-vérité.
En revanche, les retombées économiques seront nombreuses et dans différents secteurs mais elles ne se comptent pas en nombre d’emplois. Sinon, on rend l’argument peu crédible à ce stade pour vouloir justifier les JO. Ceux-ci représentent avant tout un investissement permettant d’accélérer la mise en place d’infrastructures et d’équipements nécessaires d’une part et d’autre part un excellent contributeur au renforcement de l’image d’un pays. Parler du mieux vivre ensemble, d’équilibrage de territoires, de transformation de banlieues, etc., sans en négliger l’importance au plan franco-français, n’est qu’un prétexte à considérer comme la conséquence d’un choix politique premier : veut-on oui ou non les JO? Si oui, on y met les moyens pour y parvenir.
Or aujourd’hui, j’ai plus que l’impression que ce choix n’a pas été fait et que l’on minimise volontairement les coûts, quitte à présenter un projet « rabougri » et peu valorisant pour le CIO (même si l’on se persuade qu’il répond aux directives de l’agenda olympique 2020). Juste pour ne pas dire trop fort que ceux-ci deviennent une priorité par rapport à d’autres investissements nécessaires pour le pays. C’est de toute évidence une approche communicante risquée. Le doute peut effectivement s’installer quand nous nous trouvons dans une sérieuse crise économique et de confiance. Là encore, les porteurs du projet JO 2024 vont être rapidement confrontés à des exigences de transparence avec la population, laquelle sera assurément plus regardante que ses élus. Aussi est-il grand temps de répondre à cette question fondamentale à laquelle le mouvement olympique et politique n’a toujours pas répondu de manière compréhensible et acceptable : Pourquoi et avec quelle ambition budgétaire Paris et la France veulent-elles les JO ?
Il paraît que la réponse est secrète (pour ne pas informer la concurrence !) et se trouve dans la partie du rapport remis le 12 février et non rendue publique. Ceux qui ont eu accès à celle-ci auront tout le loisir de s’exprimer sur la nature de la réponse qui s’y trouve quand ils le jugeront utiles.
Enfin quand j’insiste sur l’importance et la primauté de la communication sur le technique, j’évoque un concept global et totalement intégré. Celui-ci couvre le champ suivant et associe différentes fonctions : pourquoi les JO, quel positionnement du projet, communication nationale, mobilisation nationale, adhésion, promotion internationale, gestion des relais internationaux, gestion des medias et des réseaux sociaux, lobbying global et lobbying individuel.
Revenons sur l’actualité de ce jour. Compte tenu de votre expérience et de votre indépendance à ce jour à l’égard de tous les projets en cours ou à venir pour 2024 et/ou 2028 (même si vous n’hésitez pas à montrer votre souhait de voir les JO au plus tôt en France), que vous inspirent les présentations et les commentaires entendus lors de l’annonce de la décision du Conseil de Paris ce 13 avril 2015 ?
Armand de Rendinger : Quand on veut gagner une candidature, il est certainement utile de montrer de l’enthousiasme, de respecter ses promesses, de parler franchement et si possible, au stade où nous en sommes encore aujourd’hui, sans langue de bois. Ma réponse à votre question va tenir en 9 points :
1. Paris, même si cela n’est pas encore officiel pour des raisons protocolaires, est candidate : Enfin et tant mieux.
2. La qualité de la décision prise par le Conseil de Paris ne se retrouve pas dans la forme de présentation : confiance communicative, enthousiasme et jeunesse.
3. L’affirmation de « trêve politique » dans l’environnement olympique est un terme inapproprié, comme si nos querelles politiques franco-françaises vont s’arrêter par enchantement et surtout il n’est pas bon d’assimiler celles-ci aux conflits internationaux qu’évoquent les responsables du CIO à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des JO.
4. A peine la Maire de Paris avait terminé sa présentation en insistant sur le consensus politique et l’ardente obligation de mettre le mouvement sportif en avant, nous n’avons vu et entendu dans les médias pratiquement que des politiques, représentant toutes les strates administratives et de sensibilités politiques, s’exprimer. Concernant l’insistance de la mise en avant du mouvement sportif, je ne peux que recommander à vos lecteurs de se plonger dans les archives relatant l’annonce que Paris était candidate aux JO de 2008 et 2012. Vous serez surpris de voir combien on retrouve les mêmes intentions et déclarations. On a vu ce qu’a été en fait la réalité finale !
5. Le mouvement sportif en avant (en fait cela doit être le mouvement olympique) est effectivement une nécessité. Alors pourquoi ses décisionnaires assistent sans broncher sur les doléances de différentes villes réclamant une partie de l’organisation de JO, quitte à remettre en cause ensuite l’autorité de ces mêmes décisionnaires et la qualité du dossier technique.
6. Le souci légitime de la recherche du consensus politique justifie-t-il des déclarations immédiates. A l’instar de celle du grand champion et du politique qu’est Jean-François Lamour, annonçant que si on ne gagne pas cette fois ci, autant renoncer à toute candidature ultérieurement. Certes, cette sentence peut être interprétée comme une pression politique franco-française pour éviter que la candidature ne soit qu’une simple candidature de témoignage faute de moyens attribués. Mais d’autres pourraient l’interpréter, à notre corps défendant, comme une forme de chantage vis-à-vis du CIO. A chacun son interprétation, mais en attendant la communication doit être en toute circonstance coordonnée.
7. Au-delà de l’image politique, il est intéressant que la gouvernance du projet semble enfin se décider avec Tony Estanguet et Bernard Lapasset. Encore me semble-t-il important que cet attelage intègre Guy Drut, en tant que membre du CIO. Ne pas le faire serait une grave erreur et non pas pour une simple question d’image.
8. Concernant un référendum ou une consultation populaire, j’avoue que le débat sémantique dans lequel s’est mise la candidature me paraît tout aussi invraisemblable. Je ne vois pas comment celle-ci pourrait y échapper. Si pour des raisons politiques, on décidait au final de ne rien faire en la matière après toutes les promesses effectuées, la puissance des réseaux sociaux et des médias notamment risque alors de se faire entendre, et pas obligatoirement de façon positive.
9. Enfin, comme il est de l’intérêt du CIO d’avoir un maximum de candidatures, il est urgent de ne pas se satisfaire des déclarations habituelles consistant à dire que la France serait une excellente candidature, comme nous l’avons encore entendu récemment. Ce discours, nous l’entendons depuis 30 ans et ce à chaque nouvelle olympiade. Il n’en demeure pas moins que c’est une excellente nouvelle que le président Thomas Bach reçoive le président François Hollande, accompagné des 2 membres français du CIO et du président du CNOSF, le 16 avril à l’occasion de sa visite en Suisse. Il n’aura échappé cependant à personne que cette visite se fait dans le respect de règles protocolaires voulues par le CIO.
Pensez-vous que l’on ait tiré tous les enseignements de toutes nos erreurs passées et que faudrait-il faire dans l’immédiat pour renforcer nos chances de succès ?
Armand de Rendinger : Difficile de répondre. Je n’aurai pas la prétention de me muer en donneur de leçons ou de mettre en doute la parole des porteurs projet 2024. Lesquels sont convaincus de la justesse de leur démarche. Laissons les œuvrer et mettre en place tout ce qu’ils ont promis d’effectuer. Je pense que certains d’entre eux ont lu mon livre « La tentation olympique française ». Répondront-ils aux questions qui leur sont posées ? Je sais que les convictions et le désintéressement de ceux-ci peuvent s’accompagner de courage et de volonté pour y répondre avec discernement et efficience.
Il est clair cependant que tous les enseignements de toutes les erreurs du passé n’ont pas été tirés. Mais rien n’est définitif et rédhibitoire. Chaque olympiade est originale, même s’il existe des règles immuables à suivre pour au moins éviter le sentiment de certitude qu’une fois de plus l’on va perdre. L’optimisme et la lucidité doivent être les 2 maîtres-mots. En attendant, si je peux me permettre trois conseils de bon sens : activer la formalisation du discours franco-français de mobilisation, en parallèle rattraper le temps perdu en matière d’écoute et de souhaits du CIO et de ses décideurs et enfin savoir garder le cap indépendamment des rebondissements politiques qui se développeront inexorablement dans et autour de la candidature. De cela et de la situation de la concurrence, on aura l’occasion d’en parler plus en détail ultérieurement et tout au long de ce long parcours que représente une candidature.