Communication & humour sont-ils toujours conciliables ?

Chaque premier vendredi du mois d’octobre, le monde entier célèbre la journée du sourire. Celle-ci est apparue en 1999 sous l’impulsion d’un artiste américain, Harvey Ball, à qui l’on doit par ailleurs l’incontournable « smiley face » qui ponctue dorénavant tous nos messages numériques et même en version papier. Cette petite bouille ronde et jaune n’est pourtant pas sortie anodinement de l’imagination de son créateur. A l’origine, il s’agit d’une commande d’une société d’assurances à la recherche d’un symbole pour accompagner une campagne de communication interne destinée à améliorer le moral de ses employés ! Pour autant, l’humour est-il vraiment toujours soluble dans une stratégie de communication ?

Faire rire ou même soutirer un sourire peut constituer un puissant outil relationnel entre un émetteur et un récepteur. L’émotion positive qui s’en dégage, induit aussitôt un contexte plus détendu et une perception de l’autre plus empathique. Même dans des situations désespérées, l’humour peut insuffler espoir et résilience. Comme l’écrivait le chercheur et auteur de la « Théorie générale de l’information et de la communication », Robert Escarpit, « l’humour est l’unique remède qui dénoue les nerfs du monde sans l’endormir ». Autant dire qu’avec de telles vertus, la tentation est grande d’y recourir pour s’attirer la sympathie de communautés ou de l’opinion publique.

C’est l’histoire d’un peloton de gendarmes …

Qui aurait-pu croire que sous le képi d’un gendarme, pouvait se nicher un communicant facétieux ? C’est pourtant le cas depuis 2018 avec l’arrivée du colonel Brice Mangou à la tête du groupement de gendarmerie des Vosges. Sa conviction est faite (1) : « J’ai voulu instaurer une proximité numérique avec un côté vivant. Si on propose des choses trop institutionnelles, on ne va pas au contact. Sur le fond, les messages de prévention restent les mêmes, mais pas sur la forme. ». De fait, le premier message posté sur Twitter fait un carton. Alors que les risques d’incendie sont maximaux dans la région, les pandores écrivent (2) : « S’il vous plaît, ne jetez pas vos mégots par terre dans le massif. La nuit, les écureuils descendent de leurs arbres pour les fumer. Or les agents de l’Office national des forêts essaient de les faire arrêter. ». 11 000 likes et 18 400 fans s’ensuivront avec en sus, la création d’une page Facebook qui compte par ailleurs près de 43 900 abonnés dont une vaste majorité d’habitants de la région.

L’initiative a visiblement inspiré d’autres pelotons de gendarmerie. Cet été, c’est au tour de la gendarmerie de l’Hérault de s’emparer de Twitter et Facebook pour mener une opération communication humoristique autour de messages de prévention. A celles et ceux qui aimeraient disposer des plages comme d’alcôves intimes, la maréchaussée rappelle (3) : « L’ambiance🌞 🏖️ 🌊 peut en émoustiller certains et certaines. Même si la tentation est grande, nous vous rappelons que les ébats « amoureux » sur la plage ou dans certaines dunes du département peuvent constituer un délit d’exhibition sexuelle imposé à la vue d’autrui. Le risque ? Être interrompu ou surpris par mémé Ginette, le petit Kevin ou passer un séjour en prison et/ou une amende de 15 000 € ». Plus récemment, c’est le groupement de la Seine-et-Marne qui s’est également converti à l’humour communicant. Le colonel Mickaël Furbury explique y voir « un vrai outil pédagogique » (4)

… et d’une bande de burgers

Dans un tout autre registre, l’enseigne de restaurant rapide Burger King a opté pour l’humour taquin à l’égard de son célèbre et puissant concurrent, McDonald’s. C’est pourtant le n°1 mondial qui lui tend la perche initialement. En 2016, ce dernier installe une immense panneau sur une route française pour signaler aux automobilistes la proximité du prochain restaurant McDo à 5 km tandis que l’autre est à 258 kilomètres. Objectif ? Moquer la faible implantation de Burger King dans l’Hexagone. Lequel s’est aussitôt empressé de répliquer avec humour avec un second panneau posé un peu plus loin (5) : « Plus que 253 km avant notre Whopper. Merci à McDonald’s d’être présent partout ».

Cette guéguerre des mots rythme désormais la vie des deux enseignes. C’est ainsi qu’en 2019, McDonald’s décide d’installer une immense bâche publicitaire juste à côté du futur nouveau restaurant de son meilleur ennemi à Bruxelles. Avec une punchline en anglais plutôt rigolote : « Served by a king or served as a king » (NDLR : Servi par un roi ou servi comme un roi ?). La réponse ne se fait guère attendre. Burger King plante à son tour une bâche avec inscrit dessus (6) : « Why try to roast when you can’t even flame grill ? ». En jouant sur le double sens du mot « roast » (griller/vanner), ce dernier rappelle à son adversaire qu’il ne faut pas titiller la seule enseigne qui propose des burgers toastés.

A consommer avec prévention

A la lumière de ces deux exemples pourtant aux antipodes de l’un et de l’autre, on constate que cultiver un fil humoristique a le grand mérite de fidéliser les aficionados. Le premier bénéfice (et non des moindres) est la mémorisation accrue du message par celui ou celle qui le voit. L’autre intérêt est de susciter de la connivence immédiate et bien souvent, d’inciter à partager et viraliser la blague émise par l’auteur. Responsable de la communication digitale d’Interflora, Yvain Ducrocq abonde pleinement (7) : « Nous avons pris ce virage il y a quatre ans (NDLR : 2014) pour continuer à moderniser notre marque Interflora, qui fête ses 70 ans. Les résultats sont extrêmement positifs avec une bonne visibilité de nos publications mais aussi une communauté qui croît naturellement ».

Toutefois, il y a aussi des limites à ne pas franchir pour éviter que la blague ne se transforme en ratage dans les grandes largeurs. En premier lieu, l’humour peut être très clivant. Ce qui fait rire telle communauté, peut très bien indisposer, voire indigner une autre car les référents culturels et les sensibilités humoristiques sont très différents. Ensuite, il y a aussi des temps où le ton de la blague est à proscrire, particulièrement chez les adeptes du newsjacking qui se prennent parfois les pieds dans le tapis comme la marque d’assurances Mister Assur en octobre 2014. Alors que le PDG de Total, Christophe de Margerie vient de décéder dans un tragique accident d’avion, le community manager tweete (8) : « Pensez à souscrire une assurance vie car les accident sont vite arrivés #Rip #ChristopheDeMargerie #Total ». L’écho du clin d’œil malvenu a alors viré à l’étrillage en règle.

Sans pour autant bannir l’humour dans une stratégie de communication, il convient de ne pas céder à la tentation inextinguible du bon mot pour s’arroger à tout prix la palme de la sympathie. Une marque, une enseigne ou une institution doit avant tout être consciente des perceptions qui l’entourent. Entre image voulue et image perçue, existe parfois un écart irréconciliable où l’humour risque de faire plus de ravages que d’avantages. Si les gendarmes ont pu se permettre d’adopter une tonalité décalée, c’est aussi parce que leur image est globalement bonne dans l’opinion publique. Dans le cas contraire, il aurait été suicidaire de s’adonner à l’humour même si par ailleurs, d’aucuns très galonnés ont quelque peu toussoté en haut-lieu sur cette façon de communiquer. A leurs yeux, celle-ci décrédibilise l’autorité. Eux, en revanche, feraient bien de rire un peu plus souvent !

Sources

– (1) – Doris Henry – « Humour, com et maréchaussée : les gendarmes s’amusent sur les réseaux sociaux » – Le Parisien – 3 octobre 2020
– (2) – Ibid.
– (3) – Claire moutarde – « La gendarmerie de l’Hérault fait de la prévention avec humour sur les réseaux sociaux » – France Bleu Hérault – 27 août 2020
– (4) – Sylvain Deleuze – « Quand les gendarmes osent la dérision sur les réseaux sociaux » – Le Parisien – 3 octobre 2020
– (5) – « La réponse pleine d’humour de Burger King à McDonald’s » – Spion.com
– (6) – « Attaqué récemment par McDonald’s, Burger King réplique avec humour » – Blog J’ai un pote dans la com’ – 23 juillet 2019
– (7) – « Sur Twitter aussi, un accident est vite arrivé » – Assurance & Banque 2.0 – 21 octobre 2014