Le greenhushing, un succédané du greenwashing qui commence à proliférer

Tandis que l’étau juridique et sociétal ne cesse de se resserrer sur les entreprises adeptes du greenwashing, une autre posture tout autant délétère (mais plus subtile) est en train d’émerger dans certaines stratégies de communication : le greenhushing. Traduite en français par « éco-silence » ou « mutisme vert », la pratique consiste à ne plus rien communiquer à propos de ses actions environnementales soit pour occulter l’absence de mesures concrètes, soit par crainte de se faire étriller par des mouvements activistes radicaux. Dans tous les cas, cette tendance est pourtant toxique et peu recommandée.

Si l’apparition du terme de « greenhushing » date déjà qu’une quinzaine d’années à l’initiative du site américain d’information spécialisé en environnement et durabilité, TreeHugger, ce n’est que récemment que le concept a commencé à prendre une certaine ampleur. Le greenhushing est en quelque sorte un effet collatéral du très notoire greenwashing allègrement pratiqué par nombre d’entreprises depuis plusieurs décennies pour verdir leur communication, passer pour les bons élèves de la transition écologique et convaincre les consommateurs et citoyens de leurs produits vertueux. A force d’avoir tiré le diable par la queue, les adeptes de l’éco-blanchiment se voient aujourd’hui de plus en plus sévèrement sanctionnés sur le plan juridique et impactés par de virulentes campagnes activistes qui les dénoncent (ce qui n’empêche pas toutefois d’aucuns de persister).

Eviter de communiquer pour protéger la réputation ?

Face au risque réputationnel toujours plus avéré qu’engendre une stratégie de greenwashing, des entreprises font dorénavant le choix du silence. Motus et bouche cousue, elles n’évoquent plus publiquement leurs actions qui touchent au développement durable et à la responsabilité sociétale. Objectif premier : disparaître des écrans radars des ONG et associations écologistes qui débusquent en permanence les discours environnementaux qui relèvent de la triche et de l’abus de langage.  Ainsi, l’image de marque de l’entreprise est préservée des accusations et à l’abri de polémiques souvent amplifiées par les médias.

Cette hantise d’être passé au crible et de devenir potentiellement une cible à abattre pousse véritablement des entreprises à la politique de la porte close à tel point que 25% des grandes entreprises privées se refusent à tout commentaire sur leurs actions en faveur de l’environnement. Ce chiffre émane d’une étude réalisée en 2022 par le cabinet de conseil en environnement South Pole à travers un panel de 1200 sociétés issues de 15 secteurs d’activité différents et de 12 pays dans le monde. Un mutisme qu’explique Karine Basso, une des auteurs de l’étude (1) : « Les médias, les ONG et les consommateurs s’intéressent de plus en plus à ce que font les entreprises dans ce domaine, ce qui explique que les entreprises soient plus réticentes qu’auparavant à communiquer ces objectifs ».  

Ne rien dire par peur d’être taxé de … greenwashing

La réticence est bel et bien existante chez ceux qui ne font effectivement rien ou se contentent d’opérations a minima comme financer la replantation d’arbres quelque part sur la planète pour compenser les émissions carbone de leurs activités. Pour eux, le risque de se faire pincer est évidemment une hypothèse plus que probable. Le problème est que le greenhushing n’est pas que l’apanage des cancres en développement durable qui pensent que se taire permet de passer au travers des mailles du filet.

D’autres entreprises, qui accomplissent pourtant des efforts probants en la matière, préfèrent malgré tout adopter un profil le plus bas possible de peur d’être taxées de … greenwashing. Il est vrai que les détracteurs écologistes ne s’embarrassent généralement pas de fioritures dès qu’il s’agit de vilipender une entreprise. Dans leur imaginaire militant, une entreprise est forcément un ennemi incompatible de la nature, du climat et de la biodiversité. Dès lors, même les actions sincères, solidement engagées et concrètes sont vite suspectées de récupération mal intentionnée et parfois victimes de procès médiatiques injustes ou disproportionnés.

Responsable du développement durable chez Nespresso France, Clémence Nutini confirme que son entreprise est parfois timorée lorsqu’il s’agit de faire connaître ses actions (2) : « Chez Nespresso, nous souhaitons avoir des preuves sur le long terme avant de communiquer. Toutes les marques ne sont pas sur cette ligne. Nous n’avons donc pas communiqué sur les actions menées, même si elles sont d’ampleur. Nous sommes peut-être un peu trop discrets. L’équilibre est hyper compliqué, car dès que Nespresso communique sur une bonne action, il y a des critiques quoi qu’il en soit ».

Un phénomène persistant

Il est vrai qu’en ces temps actuels où la radicalité binaire ne s’est jamais aussi bien portée dans les débats sociétaux, grande est la tentation de passer sous silence les démarches environnementales pour éviter de recevoir une tornade de critiques vociférantes et nuisibles à la réputation de l’entreprise. Un phénomène en atteste. En France depuis 2012, toute entreprise comptant plus de 500 collaborateurs est tenue de déposer un bilan carbone quantifiant les émissions de gaz à effet de serre liées à ses activités. En 2021, l’Agence de la transition écologique (Ademe) constatait que 57% des entreprises n’avaient pas respecté l’obligation légale (3).

Manque de temps et de ressources pour certaines, exercice trop complexe pour d’autres ou jugé non prioritaire, les justifications abondent pour expliquer ce contournement silencieux d’autant que l’amende prévue en cas de non-publication n’est que de 10 000 euros, donc pas franchement dissuasive. Problème : si même les organisations engagées dans de vraies opérations de transition écologique se mettent aussi à barguigner sur le sujet, il va devenir très compliqué de montrer que des progrès sont pourtant enregistrés même s’ils ne vont pas forcément à la vitesse souhaitée par les plus intransigeants. Une transformation environnementale ne se décrète, ni ne se concrétise en un laps de temps resserré.

Assumer plutôt qu’éluder

Fondatrice de l’agence Be Social Communication en Suisse romande, Magali Di Marco déplore ce phénomène paralysant la communication de nombreuses entreprises qui ont pourtant des choses authentiques à leur actif à faire valoir (4) : « Le greenhushing est très inquiétant, car il empêche une prise de conscience générale des enjeux climatiques. Ce n’est pas parce qu’on est un gros pollueur qu’on ne peut pas parler des efforts que l’on fait. Beaucoup de PME font des choix allant dans le sens du climat, mais se taisent de peur d’être perçues comme militantes ou d’être stigmatisées sur ce qu’il reste à faire. C’est ignorer leur responsabilité de modèle ».

Ce glissement vers un mutisme voulu ou subi ne constitue clairement pas une option recommandable. Même si elle peut effectivement exposer à la critique, la transparence reste toujours plus préférable que le silence. Dans ce monde d’hyper-information et d’hyper-connexion, ce dernier a désormais tous les attributs du suspect. Ne rien dire implique aux yeux de beaucoup le fait d’avoir quelque chose à se reprocher et de fait, d’avoir un statut de suspect dont il sera bien difficile de se débarrasser ensuite. Le greenhushing ne résout rien à brève ou longue échéance.

Si des objections doivent être formulées au sujet d’actions environnementales menées par des entreprises, autant les accueillir avec intérêt (pour peu évidemment qu’elles soient fondées et ne relèvent pas de la doxa militante) et les considérer comme levier supplémentaire d’amélioration. Aucune entreprise n’est immédiatement parfaite. Et ce point peut tout à fait être entendu par le public si la communication est sincère, précise, factuelle et sans arrière-pensée manipulatoire comme le greenwashing sait si bien l’instiller. D’autant que communiquer sur ses propres chantiers doit pouvoir aussi s’accompagner du regard d’experts indépendants et de tiers de confiance qui viendront valider la réalité des actions engagées. Le silence n’est pas une option viable en dépit de son côté tentant.

Sources