Marques & Fake news : Personne n’est à l’abri … et il est temps (d’enfin) se préparer

Celles et ceux qui suivent mon blog, savent que j’évoque régulièrement la problématique des fake news qui s’attaquent à des marques et les entreprises qui les produisent et commercialisent. Toutefois, en dépit des occurrences répétées, un préjugé tenace perdure chez nombre d’organisations et de décideurs. Ce genre de crise est encore pris à la légère alors même que les impacts subis par les acteurs victimes sont loin d’être superfétatoires. Il serait grand temps d’ouvrir les yeux sur un phénomène appelé à s’amplifier pour de multiples raisons dont la puissance accrue de la désinformation grâce à l’IA générative, la concurrence économique exacerbée et les officines qui vendent du « Dark PR » sans états d’âme. Nouveau petit florilège de cas récents.

L’an passé, j’avais parlé des démêlés d’Adidas, de Bonduelle, de McDonald’s et de Starbucks avec des rumeurs et/ou de véritables opérations de désinformation qui les avaient frappés. Cette année, le casting change mais pas les attaques réputationnelles et les dommages qu’elles provoquent ensuite. Au menu de cette deuxième fournée : une marque de voiture électrique, une eau en bouteille, du sel de cuisine et des crèmes solaires. Avec pour chaque cas, une brève analyse de ce qui a été fait (ou pas) en matière de réplique à une fake news ainsi que quelques enseignements à retenir sur la systémique d’une infox.

Nio, un storytelling à la chinoise puissant mais …

Bien qu’elle existe déjà depuis 10 ans en Chine, Nio reste encore méconnue sur le Vieux Continent automobile, hormis en Europe du Nord où cette marque chinoise de voitures électriques haut de gamme a opéré quelques incursions commerciales depuis 2022 au point de disposer aujourd’hui de plus de 1000 collaborateurs dans cette région (1). Poids lourd de la mobilité électrique en Chine, son fondateur, William Li, nourrit à cet égard d’immenses ambitions pour sa marque. Outre un développement à l’international appelé à s’amplifier dans les prochains mois (en France notamment), Nio mise par ailleurs sur un positionnement ultra-innovant et singulier pour convertir ses futurs adeptes à travers le concept de Nio House qui accompagne les luxueuses voitures de la gamme du constructeur.

Concrètement, il s’agit d’une station de stockage et de recharge qui comporte en son sein, 23 batteries avec des capacités différentes en fonction des usages routiers de chacun (petits trajets urbains, longs voyages sur autoroute, etc). En trois minutes, un bras robotisé retire la batterie vide et en remet une pleine selon les vœux du conducteur. Enfin, ce dernier peut aussi réserver à l’avance depuis une application sur smartphone, une station de recharge et le modèle de batterie désiré et tout un tas d’autres fonctionnalités pour sa voiture. Avec en point d’orgue, la possibilité d’installer une batterie capable de tenir sur 1 000 kilomètres. Un exploit que William Li a pris soin de filmer sur les réseaux sociaux en décembre 2023 en accomplissant cette distance en 14 heures en mode autonome avec au bout du compte encore 3% de charge disponible (2).

… devenu objet de désinformation récurrente

Pourtant, ce storytelling technologique époustouflant a été sévèrement écorné le 31 août dernier. En cause ? Une rumeur qui annonce une banqueroute imminente de Nio du fait de ses pertes financières importantes. Celle-ci se répand à une vitesse éclair sur les réseaux sociaux chinois et est vite reprise par le site d’information CnEVPost spécialisé sur le marché de la mobilité électrique en Chine. Par le truchement de son département juridique, Nio bat aussitôt en brèche la fake news, déclare avoir déposé plainte auprès de la police et menace de poursuites juridiques quiconque continuant de dénigrer la société.

Ce n’est pas la première fois que la marque est mise en cause de cette façon. Mais jusqu’à présent, la position de l’entreprise avait été plutôt laxiste en préférant ne pas répondre pour ne pas donner d’écho trop vaste à des fausses informations. A force de coups répétés et d’impacts accrus sur sa notoriété, Nio a alors évolué dans sa posture. En mai 2023, la marque a ouvert plusieurs profils officiels sur les principaux réseaux sociaux dont le but est de systématiquement contrer les allégations apocryphes à son encontre. Enfin, des influenceurs chinois qui avaient injustement critiqué certains modèles de Nio, ont été condamnés en justice à l’initiative de Nio !

A l’heure actuelle, difficile de déterminer exactement si cette infox agressive poursuit son travail de sape. Néanmoins, elle a laissé des traces et donc de possibles doutes sur la solidité de l’entreprise. Laquelle est effectivement est confrontée à un endettement record du fait de ses gigantesques investissements en R&D et dans le déploiement des « Nio House ». Elle a également connu quelques revers financiers la conduisant à licencier 10% de ses effectifs du fait d’un ralentissement des ventes en Chine l’an passé. Pour autant, les résultats financiers du 1er trimestre 2024 indiquent que l’entreprise dispose de plus de 5,7 milliards d’euros en trésorerie (3). Alors à qui profite la fake news ? Sur le féroce marché automobile électrique chinois où Nio est un des rares acteurs totalement privés, il n’est pas interdit de penser qu’un adversaire proche du pouvoir central aurait pu tenter un croche-pied réputationnel pour provoquer une sortie de route !

Cristaline : quand vrai + vrai = faux !

Parfois, il suffit de la diffusion quasi concomitante de deux informations vraies mais non directement liées pour déboucher sur un amalgame falsifié difficile à enrayer. C’est précisément cette systémique pernicieuse qui est advenu en mai 2024 à l’encontre de la marque d’eau embouteillée Cristaline dans le 101ème département français de Mayotte. Après avoir déjà alerté la population mahoraise en janvier 2024 à ne pas consommer un lot défectueux de bouteilles Cristaline issues de la source Noémie, l’Agence Régionale de Santé (ARS) récidive le 13 mai en identifiant de nouvelles anomalies sur un autre lot de Cristaline provenant cette fois de la source Elena. A chaque fois, les communiqués de l’ARS sont particulièrement succincts sans jamais préciser le problème exact, ni exiger le retrait des produits incriminés.

Cette deuxième mise en cause va pourtant être fatale pour Cristaline. Quelques jours plus tard, l’ARS signale la détection de 85 nouveaux cas de choléra sur l’île ainsi que la mort d’un enfant de 3 ans et d’une femme de 62 ans. Dans un contexte local où la potabilité de l’eau et son accès sont régulièrement problématiques pour les habitants et sont en partie la cause de l’épidémie qui sévit, il n’en faut pas plus pour activer une rumeur qui mêle aussitôt Cristaline et choléra dans un même narratif. Sur Facebook et TikTok, les internautes se déchaînent et accusent la marque d’être contaminée et mortelle si on la boit. La viralité des vidéos est si foudroyante qu’elle oblige l’ARS à communiquer le 27 mai sur la réalité du problème identifié dans certains lots de Cristaline (à savoir des anomalies olfactives !).

La marque se manifeste au même moment pour confirmer à l’Agence France Presse (AFP) que le lot de mai 2024 était bien défectueux mais sans aucun risque pour la santé des consommateurs, ni contamination bactérienne. Avant de déplorer de manière grinçante (4), le  « peu d’information sur l’origine du problème » diffusé par l’ARS et d’estimer que (5) « l’absence d’information a pu laisser libre cours à des interprétations erronées voire malveillantes de la situation ». Un manque informationnel qui de surcroît a de quoi crisper le groupe Alma, propriétaire et exploitant de la marque Cristaline. En début d’année, celle-ci (ainsi que Perrier, Vittel, Hépar et Contrex appartenant à Nestlé Waters) a été en effet accusée d’avoir recouru à des systèmes de filtration de son eau pourtant prohibés par la réglementation française pour maintenir la potabilité. L’affaire est toujours en cours. Le risque ultérieur d’amalgame aussi !

Capture réalisée par AFP Factuel

La Baleine : une infox qui ne manque pas de sel !

En avril 2024, c’est une autre marque célèbre des tables de cuisine françaises qui a subi une avalanche inopinée de fake news. Bien que la source initiale de l’infox demeure toujours inconnue à l’heure actuelle, elle a suscité des sueurs froides au sein du groupe La Compagnie des Salins, détenteur de la marque de sel de mer La Baleine qui fête justement ses 90 ans d’existence cette année. Sur TikTok, circulent alors plusieurs vidéos alarmistes émanant de comptes soi-disant consuméristes qui affirment que le sel La Baleine comprend des produits toxiques pour la santé humaine et qu’il est en cours de rappel du marché. D’autres ajoutent que l’alerte provient d’un cardiologue américain qui a mené des études sur le sel en question.

Au total, plus de 40 000 partages et plusieurs millions de vues ont été enregistrés sur TikTok (6). Un volume suffisamment conséquent pour faire réagir la Compagnie des Salins. Confrontée à un questionnement particulièrement inquiet de consommateurs, l’entreprise assure auprès de l’AFP qu’aucune procédure de rappel de produit n’est activée pour la marque La Baleine et que sa composition est tout à fait conforme aux règlements alimentaires. Ce que confirment mutuellement la direction générale de l’Alimentation et le moteur de recherche spécialisé gouvernemental, Rappel Conso. Quant au supposé cardiologue, ce dernier reste introuvable pour cette histoire qui ne manque de sel !

Capture réalisée par AFP Factuel

Une infox qui ne passe pas crème

Cet été, tandis qu’une vague de chaleur sans précédent traverse les Etats-Unis, c’est à une autre vague que les crèmes solaires doivent s’atteler. Sur TikTok, un influenceur et « coach en transformation » dénommé Jérôme Tan est parti en croisade contre les protections solaires dermatologiques. Fort de ses 400 000 abonnés, l’impétrant assène que l’usage de ces produits provoquent des cancers de la peau et qu’une exposition au soleil est préférable pour se prémunir à condition de « consommer des aliments naturels qui permettra au corps de fabriquer sa « propre crème solaire » » (7). Sa vidéo va être vue 430 000 fois au point d’hérisser tous les dermatologues, médecins et oncologues. Lesquels constatent avec dépit que l’usage de crèmes solaires recule progressivement aux USA. 75% des Américains utilisent de la crème solaire régulièrement soit une baisse de quatre points par rapport à 2022.

Ces allégations ubuesques et farfelues constituent pourtant une menace réputationnelle permanente. Jérôme Tan n’est ni le premier, ni le dernier à prodiguer des conseils qui n’ont aucun fondement scientifique et qui sont même carrément dangereux pour la santé. Toujours sur TikTok (mais aussi Instagram), certaines vidéos aux millions de vues partagent ainsi des recettes pour fabriquer sa propre crème solaire à base de gras de boeuf, de beurre d’avocat ou encore de cire d’abeille. D’autres vendent des onguents miracle contre monnaie sonnante et trébuchante.

Une tendance qui ne concerne qu’une poignée d’illuminés ? Pas vraiment. Près d’un adulte américain de moins de 35 ans sur sept estime qu’une application quotidienne de crème solaire est plus néfaste pour la santé qu’une exposition directe au soleil, selon une enquête de l’Institut de santé sur le cancer d’Orlando en 2024. Autant dire que le combat contre cette désinformation caractérisée est loin d’être terminée tant pour les marques que pour les experts sanitaires.

Que retenir de ces anecdotes ?

Même si les contextes et les sujets diffèrent d’une fake news à une autre, on peut remarquer certains principes récurrents qui vont ainsi conférer un air de véracité à une infox fabriquée de toute pièce. Dans le cas de la marque automobile Nio et de l’eau Cristaline, ce sont en effet des éléments piochés dans la réalité qui permettent ensuite d’accréditer la plausibilité d’un récit.

Nio possède en effet un niveau d’endettement particulièrement élevé dû à ses investissements conséquents pour mettre au point ses nouveaux véhicules. Récemment, la marque a également vu ses ventes se contracter en Chine du fait d’une conjoncture mauvaise et n’a pas progressé aussi vite en Europe du fait d’une taxation élevée de l’Union européenne sur les véhicules chinois importés. A partir de là, il est assez facile d’injecter des fausses informations qui englobées dans un contexte existant réellement, finissent par apparaître comme vraisemblables.

Idem pour Cristaline à Mayotte. La marque est d’une part accusée de filtrer son eau en France et d’autre part, a fait l’objet de deux alertes rapprochées de l’ARS. Là aussi, l’environnement est porteur. Mayotte est par ailleurs confronté à une forte épidémie de choléra du fait d’une mauvaise qualité des eaux d’adduction. L’assemblage d’un discours anxiogène devient alors un jeu d’enfant pour propager ensuite une fake news.

Les émotions, adjuvant officiel de fake news

Autre point d’observation : les peurs sanitaires. Qu’il s’agisse d’eau, de sel ou de crème solaire, le ressort de la menace sanitaire, avec potentiellement une grave maladie, un handicap ou même la mort comme conséquence ultime, est un terreau fertile pour faire prospérer des infoxs. La crise du Covid 19 et le déploiement des vaccins sont à cet égard une illustration flagrante pour nourrir des flux de désinformation. Peu d’acteurs sont prémunis contre ce schéma. Il fut un temps où Microsoft a dû longuement ferrailler contre des fake news affirmant que sa console de jeux Xbox présentait un risque d’avoir la gorge entaillée (voire tranchée !) par l’éjection du CD de jeu lors de l’ouverture du boîtier. Il y eut même un mort selon les propagateurs !

Au même titre que la peur, la colère et le dégoût constituent de puissants leviers de désinformation. Pour tenter d’anticiper de potentielles crises, y compris les plus lunaires ou extravagantes, la compréhension fine des contextes où opère une marque est essentielle. On le voit aujourd’hui avec les conflits en Ukraine et au Proche-Orient. Des marques ont été rattrapées à leur insu par des fake news visant à les dénigrer, les décrédibiliser ou les déstabiliser. Seule, la mise en place et la gestion de dispositifs de veille peuvent utilement permettent de tuer dans l’œuf la plupart des infoxs naissantes. Encore faut-il vouloir accepter que l’incertitude est malheureusement devenue la constante de nos sociétés si pétries de rationalité et de prévisibilité.

Sources