Bonnets rouges : Armor Lux risque-t-il le kidnapping politique ?

Jamais une marque d’habillement n’aura autant occupé le devant de la scène politique qu’Armor Lux. Après avoir été « élu » emblème du « made in France » par Arnaud Montebourg, l’enseigne bretonne s’engage désormais dans la fronde menée contre l’écotaxe en fournissant des bonnets rouges aux manifestants. Stratégie de communication risquée ?

Ni clin d’œil au Grand Schtroumpf, ni référence appuyée au commandant Cousteau, les bonnets rouges des opposants au projet gouvernemental d’écotaxe ont frappé les esprits et imprimé la rétine médiatique. Au point de susciter moult reportages sur le sens de ce couvre-chef détonnant qui s’avère être l’œuvre de l’entreprise textile Armor Lux. Celle-ci a confectionné et livré 900 bonnets en hommage aux ancêtres bigoudens qui s’étaient soulevé en 1675 contre une taxe exceptionnelle imposée par Louis XIV alors en pleine guerre contre … la Hollande ! Ca ne s’invente pas et cela a fait le buzz !

Un symbole régional assumé

Une marque à l'ADN totalement breton

Une marque à l’ADN totalement breton

S’il est une entreprise qui peut aujourd’hui se targuer d’assumer pleinement ses origines bretonnes, c’est bien Armor Lux. Née en 1938 à Quimper sous le nom originel de Bonneterie d’Armor, la société a été reprise et relancée dynamiquement en 1993 par deux hommes d’affaires du cru : Jean-Guy Le Floch et Michel Gueguen. Lesquels ont toujours mis un point d’honneur à maintenir une activité industrielle dans la cité quimpéroise tout en partant à l’assaut de nouveaux marchés et de nouveaux pays.

Au fil des ans, la société a toujours revendiqué et incarné ce positionnement régional. Tant dans le design et la confection de ses gammes textiles que dans sa participation à la promotion de la Bretagne, Armor Lux arbore fièrement ses couleurs et son terroir. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter le site Web institutionnel pour constater que la marque soutient de nombreux événements locaux comme le Festival du Bout du Monde à Crozon, celui des Vieilles Charrues à Carhaix, celui de Cornouaille à Quimper mais aussi les fêtes maritimes de Brest et le club professionnel de football de Lorient. Le site d’Armor Lux propose même une boutique en ligne où l’on peut acheter des spécialités alimentaires régionales.

Dans ce contexte, s’associer au mouvement de contestation breton contre l’écotaxe découle d’une certaine logique d’autant plus qu’on a pu voir sur les différents barrages, représentants du MEDEF, élus politiques de tous bords et syndicats s’unir « fraternellement » dans un même refus entêté de cet impôt supplémentaire. Dès lors, fournir 900 bonnets rouges issus d’un patrimoine fort et désormais connu de tous les Français, n’était en fin de compte pas si incohérent avec l’ADN profond d’Armor Lux.

Gare à la récup’ politique

La récupération politicienne n'a guère tardé

La récupération politicienne n’a guère tardé

Cet enracinement territorial pleinement assumé n’avait d’ailleurs pas échappé en octobre 2012 à Arnaud Montebourg en mal de symboles entrepreneuriaux véhiculant le « made in France » qu’il s’évertue à défendre. En osant poser en marinière siglée Armor Lux en Une du Parisien Magazine, le ministère du Redressement productif avait assuré un sacré coup de pub à la société bretonne. Le PDG, Jean-Guy Le Floch avait d’ailleurs publiquement salué la démarche du ministre (1) : « Je trouve ça tardif comme message mais c’est très courageux » en estimant que l’industrie textile française « a été sacrifiée sur l’autel de la mondialisation ».

Fier de cette saillie médiatique, le ministre trublion n’avait pas hésité à récidiver en août 2013 pour sa rentrée politique, la « Fête de la Rose » en commandant 400 marinières à 20 € pièce pour les participants de l’événement. Le même avait encore bataillé et plaidé (en vain) la cause d’Armor Lux quelques mois plus tôt lorsque l’entreprise eut perdu l’appel d’offres d’Etat pour la fourniture des pulls de la Police nationale.

A force d’être érigé en symbole politique, Armor Lux avance maintenant sur un terrain glissant. Si la livraison des bonnets rouges a généré un indéniable écho médiatique, la marque commence à être l’objet de récupérations diverses et variées. A commencer par Marine Le Pen qui s’est empressée sur Twitter d’appeler ses partisans à accoler un bonnet rouge pour leurs avatars sur les médias sociaux, histoire de signifier leur opposition résolue aux hausses fiscales. Un compte Twitter @BonnetsRouges a aussitôt capitalisé sur l’aubaine pour diffuser à son tour des messages au fumet populiste à peine masqué et ouvrir un cahier de doléances du même acabit sur Facebook.

Une marque n’a rien à gagner dans une joute politique

Jusqu'où assumer le symbole ? (photo Fred Tanneau - AFP)

Jusqu’où assumer le symbole ? (photo Fred Tanneau – AFP)

S’il était agi de sa propre survie économique, l’engagement militant d’Armor Lux pourrait probablement mieux se concevoir.

En revanche, sur le sujet de l’écotaxe (même si des effets collatéraux ne sont pas à exclure pour l’entreprise), l’implication aussi poussée d’Armor Lux est à double tranchant. De fédératrice dans sa région natale, elle peut à terme devenir destructrice de valeur d’image si le conflit venait à pourrir de manière nauséabonde.

On le voit déjà. Les tentatives de kidnapping politiques essaiment çà et là pour s’arroger la caution Armor Lux. Or, il n’est pas certain que l’entreprise bretonne ait grand-chose à gagner en termes de réputation à se retrouver associée (à son corps défendant) à des jacqueries dont certaines dépassent largement le simple cadre du rejet de l’écotaxe pour pousser des revendications nettement plus partisanes et aux relents extrémistes récurrents.

Il ne faudrait pas que le bonnet rouge d’Armor Lux se transforme en bonnet d’âne de la communication, en dépit de la recevabilité évidente des inquiétudes de la population bretonne. Attention à ne pas perdre son âme en endossant des combats qui dépassent l’entreprise et son image.

Sources

(1) – « Montebourg dope les ventes d’Armor Lux » – L’Expansion – 23 octobre 2012

A lire par ailleurs

– Samuel Laurent – « Ecotaxe : Comment la droitosphère a récupéré le mouvement breton ? » – Le Monde – 29 octobre 2013
– Alexandre Boudet – « Ecotaxe : Les bonnets rouges, de la FDSEA et Armor Lux à la droitosphère » – Huffington Post – 29 octobre 2013



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